Intervention de Neelie Kroes

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 avril 2008 : 1ère réunion
Union européenne — Audition de Mme Neelie Kroes commissaire européen en charge de la concurrence

Neelie Kroes, commissaire européen en charge de la concurrence :

a noté que la France, qui se donnait pour ambition d'entreprendre, de créer, d'innover, de « travailler plus pour gagner plus », semblait quelquefois avoir peur de la concurrence et de la politique européenne de la concurrence. Pourtant, elle a besoin d'une saine concurrence pour moderniser son économie, favoriser sa croissance, améliorer le pouvoir d'achat de ses citoyens.

De même, la France semble parfois avoir peur de la mondialisation. Elle compte pourtant un grand nombre de « champions mondiaux » et profite de l'ouverture des marchés et de la demande des pays émergents.

Pour Mme Neelie Kroes, il faut combattre les préjugés contre la concurrence, qui est un instrument de politique économique susceptible de dynamiser encore l'économie française, afin de permettre à la France de continuer à tenir son rang dans un monde en mutation.

Relevant que la richesse d'un pays venait des entreprises, du talent des hommes et des femmes au service de projets économiques, elle a remarqué qu'il fallait que le marché soit libre et ouvert pour que chacun puisse entreprendre et être récompensé de son travail et de ses mérites : pour cela, une politique de la concurrence est essentielle. Pourtant, en France, la concurrence est trop souvent associée à des faillites, des délocalisations, des pertes d'emplois. On donne l'impression que le marché sanctionne les plus faibles et que l'Etat est le seul recours. Il s'agit là d'une mythologie éloignée de la réalité : il faut regarder le réel et se garder de la naïveté comme de l'idéologie aveugle. La concurrence favorise la croissance et la confiance permet de saisir les opportunités. Mme Neelie Kroes a considéré que ses effets bénéfiques étaient révélés a contrario des situations où elle n'existait pas, mentionnant les Etats membres qui avaient vécu pendant 40 années sous l'influence de l'économie soviétique.

Elle a affirmé que le modèle économique européen était fondé sur le postulat qu'entre la « jungle et la tyrannie » existe l'économie sociale de marché. La politique de la concurrence en est un des instruments de régulation : l'idée n'est en effet pas de promouvoir le laisser-faire mais la libre entreprise et l'efficacité. A cet égard, Mme Neelie Kroes a dit partager l'opinion exprimée par M. Daniel Cohn-Bendit qui affirmait préférer voir, dans une économie de marché, une concurrence non faussée plutôt que la confiscation, à son avantage exclusif, du pouvoir économique par un monopole.

Indiquant que la Commission avait essayé de mesurer l'impact de la politique de concurrence européenne, Mme Neelie Kroes a souligné que les économies directes réalisées par les consommateurs en 2007 grâce aux actions menées dans les domaines du contrôle des ententes, des abus de position dominante, des concentrations et de la libéralisation pouvaient être évaluées à 13,8 milliards d'euros, soit un montant supérieur au coût du « paquet fiscal » adopté l'été 2007 en France.

Elle a donc estimé que pour augmenter sa croissance, la France devait développer la concurrence, gage de baisse des prix, de meilleurs choix offerts aux consommateurs, et qui constitue une assurance contre les défis de la mondialisation, comme en témoignent les résultats obtenus dans les secteurs des télécommunications, du transport aérien, de l'électronique. Selon l'OCDE, a-t-elle ajouté, la généralisation dans toute l'Europe des politiques les plus favorables à la concurrence permettrait d'augmenter de 3 % le PNB par habitant.

Récusant tout clivage artificiel entre politique de la concurrence et politique industrielle, Mme Neelie Kroes a jugé qu'elles étaient, au contraire, complémentaires, pouvaient concourir à accroître le potentiel économique européen dans son ensemble et constituer des investissements pour notre avenir à long terme.

La concurrence stimule la croissance et l'innovation et des conditions de concurrence équitables peuvent apparaître comme une expression moderne des principes d'égalité et de fraternité, en permettant aussi de donner sa chance à chacun, dans un esprit de « fair-play » et de sportivité. Affirmant faire clairement le choix de la concurrence contre celui du protectionnisme, Mme Neelie Kroes a précisé qu'elle défendait la concurrence équitable et la liberté d'entreprendre, mais non le laisser-faire.

Remarquant que des conditions de concurrence équitables n'empêchaient pas la réciprocité, Mme Neelie Kroes a annoncé qu'en août 2008 les autorités chinoises mettraient en oeuvre des règles de concurrence inspirées des règles européennes : l'Europe a soutenu la Chine et celle-ci lui rend la pareille en prenant part au dialogue international. L'Union européenne a également obtenu des avancées dans le domaine de la propriété intellectuelle et compte demander la réciprocité en matière de normes environnementales et de gouvernance : la stratégie d'accès au marché de l'énergie en est une preuve, comme les projets de code de bonne conduite pour les fonds souverains. Refuser le protectionnisme signifie, en effet, vouloir appliquer les mêmes règles à tous.

a également noté que des conditions de concurrence équitables ne faisaient pas obstacle aux choix économiques et sociaux nationaux, comme le montrent les exemples suédois ou finlandais, mais des niveaux élevés de protection sociale ne sont possibles que sur une base économique solide.

Enfin, elle a observé que des conditions de concurrence équitables étaient un facteur d'efficacité et offraient le moyen de baisser les prix et de répondre aux préoccupations croissantes des citoyens en matière de pouvoir d'achat, se félicitant que le gouvernement français semble partager ce jugement en proposant de renforcer la concurrence et le rôle de l'autorité nationale compétente en matière de contrôle de la concurrence.

En ce qui concerne les aides d'Etat, Mme Neelie Kroes a déclaré qu'elles pouvaient créer des distorsions de concurrence, mais que la Commission européenne admettait aussi, dans certains cas, leurs bienfaits. Elle a par exemple autorisé des régimes d'aides très généreux en faveur des PME, de la recherche ou de préservation de l'environnement. Elle a ainsi permis aux PME de disposer de davantage d'aides, plus rapidement et dans de plus nombreux domaines, tels que les zones franches urbaines, les aides aux jeunes entreprises innovantes, aux pôles de compétitivité, ou aux énergies renouvelables.

Evoquant les concentrations, elle a souligné que la Commission ne se montrait pas « dogmatique » et bloquait moins de 1 % des opérations proposées, notant que les entreprises françaises avaient bénéficié de cette politique, qu'elle les autorisait à procéder à des acquisitions, telle celle de KLM par Air France, ou les protégeait de la création de positions dominantes, telle celle qui aurait résulté de la fusion Ryanair - Aer Lingus.

a ensuite insisté sur le fait que la France avait des raisons d'aborder avec confiance la libre concurrence et l'ouverture de la concurrence à l'économie mondiale :

- elle est dans une situation démographique favorable, avec un taux de fécondité en progression favorisant l'accroissement de sa population active, alors que beaucoup de pays sont confrontés à la contraction de leur main-d'oeuvre ;

- la France dispose de leaders mondiaux qui tirent profit de la mondialisation. De l'industrie du luxe (LVMH) à la grande distribution et aux services de restauration (Carrefour et Sodexho) en passant par les transports (Alstom, Airbus), l'énergie (Total, Areva), la construction (Lafarge, Saint-Gobain, Bouygues), les entreprises de services à l'environnement (Suez), les cosmétiques (L'Oréal) ou l'hôtellerie (Accor), les entreprises françaises sont omniprésentes, et ce succès s'explique par une attitude commune : ne pas envisager l'avenir avec appréhension, mais avec audace, esprit d'entreprise et en sachant saisir les opportunités ;

- le spectre des délocalisations est « une erreur statistique ». S'il faut aider certaines entreprises à se réorienter, et assurer un accompagnement social du changement, les chiffres sont formels : les délocalisations représentent moins de 8 % des pertes d'emplois en Europe, moins de 4 % en France. Par comparaison, la mondialisation crée des centaines de milliers d'emplois et l'on estime que les économies résultant du commerce mondial pourraient rapporter à chaque ménage plus de 5.000 euros par an.

Relevant que l'on pouvait multiplier les exemples de réussite française dans la mondialisation - France 24, nouvel acteur de l'actualité internationale, Renault-Nissan, constructeur automobile rentable, les 2 500 entreprises françaises qui se sont implantées aux Etats-Unis - et invoquant sa propre expérience professionnelle des entreprises françaises, Mme Neelie Kroes a établi, à cet égard, un parallèle avec son pays, les Pays-Bas, qui après avoir connu son « âge d'or » financier et commercial au XVIIe siècle, faisait aujourd'hui un « retour en force ».

Remarquant que cet esprit d'entreprise était le « véritable visage de la mondialisation », elle a souligné que la France et l'Europe « tiraient leur épingle du jeu » même dans des secteurs où on ne les attendait pas : ainsi la France est-elle exportateur net de services commerciaux et l'Europe maintient-elle, en dépit de la concurrence à bas prix, sa part de la production manufacturière mondiale.

Affirmant sa conviction que la France, consciente de son rôle moteur, réagirait comme une grande nation aux défis et aux potentialités issues de la concurrence mondiale, elle a déclaré que « tourner le dos » à la mondialisation et aux marchés concurrentiels serait « tourner le dos » à la vie, et à l'avenir de l'Europe. En imprimant sa marque à ces marchés, l'Europe assurerait sa prospérité pour les années à venir.

Citant la formule de Jean Monnet, « nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes », elle a espéré que se rejoignent les visions européenne et française de l'économie de marché, et réaffirmé que la politique de la concurrence était un atout pour l'Europe et pour la France.

Cet exposé a été suivi d'un large débat.

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