Intervention de Laurent Collet-Billon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 janvier 2011 : 1ère réunion
Contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et marchés de défense et de sécurité — Audition de M. Laurent Collet-billon délégué général pour l'armement

Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement :

Permettez-moi de vous remercier Monsieur le Président, pour l'opportunité qui m'est donnée de m'exprimer sur ce sujet majeur de la transposition des directives du paquet défense. Ce sujet est fondamental car il fondera durablement les conditions d'acquisition des équipements de défense pour nos forces, donc notre capacité à maîtriser notre sécurité d'approvisionnement, mais aussi l'environnement dans lequel notre BITD, française ou européenne, pourra développer des activités compétitives sur les marchés européens comme sur le marché mondial.

Vous le savez, les textes issues de ce processus de transposition fixeront le cadre de notre action auquel nous devrons nous conformer strictement pour de nombreuses années.

En conséquence, des questions telles que la maîtrise de l'ouverture des marchés de défense européens et mondiaux, ou même plus prosaïquement l'homogénéité des interprétations des directives parmi les Etats membres doivent être considérées avec la plus grande attention.

A la lumière de ces enjeux, j'insisterai avant tout sur la transposition de la directive européenne relative aux marchés de défense et de sécurité, « MPDS ».

La transposition de la directive relative aux transferts intracommunautaires de produits de défense (TIC) ne pose pas en soi de problèmes philosophiques, même si des questions pratiques restent à résoudre.

Je ne reviendrai pas sur l'historique de la directive MPDS et notre action pour son adoption dans le paquet défense lors de la Présidence française de l'Union européenne.

Je rappellerai simplement que le ministère de la défense, et en particulier la DGA, a soutenu ce projet comme une opportunité de construction de l'Europe de la défense à un moment clé : le consensus des Etats membres était accessible, la dynamique créée par la présidence française du conseil de l'UE était forte. Le ministère de la Défense et la DGA en particulier ont ainsi participé très activement à l'élaboration de la directive. Nous nous étions fixés des objectifs précis sur le contenu souhaité pour cette directive. La grande compétence de l'équipe de négociation interministérielle a conduit à ce que l'essentiel des objectifs fixés ait été atteint.

Je citerai quelques points essentiels de cette directive qui satisfont nos objectifs.

En premier lieu, le champ de la directive a été rédigé de façon la plus large possible. Il comprend les armes, munitions et matériels de guerre et les prestations de sécurité, mais il comprend aussi, à notre demande, tout ce qui est maintenance, soutien, moyens d'essais, démantèlement des armements. Ainsi la directive pourra être utilisée pour des prestations aujourd'hui non considérées comme des armements comme, par exemple, la maintenance des moyens d'essais et moyens de soutien.

En second lieu, les exceptions au champ de cette directive ont été reprises de celles de la directive générale sur les marchés publics tout en les élargissant ; les principales exceptions retenues sont, d'une part, les marchés de recherche dont le champ s'étendra jusqu'aux démonstrateurs, ce qui couvre le périmètre actuel des études amonts gérées par la DGA dont je vous rappelle qu'elles constituent le seul véritable outil de mise en oeuvre d'une politique industrielle de défense effective (de l'ordre de 700 millions d'euros par an). Autres exceptions, les projets en coopération, sous réserve qu'ils soient fondés sur une part de recherche, pourront bénéficier d'une exception sur la totalité du cycle de vie, dès lors qu'il y aura un simple engagement international. Ce point est essentiel pour la mise en oeuvre des projets que nous envisageons avec les britanniques.

Sur un plan plus technique de la passation des marchés, la directive intègre notre expérience des marchés publics de défense, comme par exemple la procédure négociée, mieux adaptée à l'acquisition de systèmes complexes, qui devient la procédure de droit commun. Les marchés pourront être négociés sans mise en concurrence sur la base de raisons techniques, comme pour notre décret défense. Enfin, la directive consacre la liberté des maîtres d'oeuvres dans le choix de leurs sous-traitants et fournisseurs. Néanmoins le pouvoir adjudicateur pourra refuser un sous-traitant ou un fournisseur sur la base de critères de sélection qualitatifs.

En synthèse, cette directive est satisfaisante, et elle a également satisfait l'ensemble de nos partenaires européens. Elle porte les principes essentiels qui doivent nous permettre d'homogénéiser les cadres juridiques pour les marchés de défense entre pays membres, ce qui est impératif pour le développement de la BITD européenne. Nous devons maintenant nous soucier que la transposition de cette directive n'introduise pas de régression sur ces principes. Nos textes ne doivent pas présenter de failles.

Avant d'aller plus loin, je voudrais revenir sur l'exception de l'article 346 du TFUE et surtout sur son utilisation, présente et future. La plupart des Etats membres utilisent très largement cette exception afin d'acheter les matériels de défense comme bon leur semble. Cette exception au droit européen vaut aussi pour les recours, pour les délais de paiement, pour toutes les directives européennes. La France est le seul Etat membre de l'Europe qui a règlementé la passation des marchés de défense avec le décret 2004-16 du 7 janvier 2004. Ce décret met en place un régime de concurrence modérée avec comme procédure principale la procédure négociée avec une publicité au seul BOAMP. Ainsi la concurrence est la base, mais peut être réduite au périmètre national en cas de secret de défense ou de nécessité spécifique de sécurité d'approvisionnement.

De plus, nous nous sommes imposé le même régime de délais de paiement et le même régime de recours que pour les marchés civils relevant du champ de la directive générale.

Chez nos partenaires, l'absence de texte européen adapté aux achats d'armement a fait que l'usage de l'article 346 du traité TFUE s'est considérablement développé en Europe.

Cette situation devrait disparaître avec la directive et de facto, l'usage de l'exception devrait se restreindre puisqu'il sera difficile de justifier de l'impossibilité d'utiliser la nouvelle directive dans de nombreux marchés d'armement.

C'est sur cette approche que repose la nouvelle directive : sans changer le texte de l'article 346 du traité, elle en limite l'usage en offrant une alternative à utiliser préférentiellement. Néanmoins, en pratique, c'est bien la jurisprudence de la CJUE qui déterminera à l'avenir le champ de cette exception. La mise en place de cette jurisprudence prendra sans doute un certain temps.

Pour ce qui concerne la France, j'estime que resteront notamment dans l'exception tous les marchés relevant des réels domaines de souveraineté nationale que sont les domaines nucléaire, la cryptographie mais aussi probablement la guerre électronique et la réduction de signatures. Dans ces domaines, nous n'hésiterons pas à recourir à l'article 346.

En synthèse, la directive assainit la situation au niveau européen en limitant et encadrant le recours à l'article 346, donc au bénéfice de la compétition intra-européenne.

Quelques mots sur les offsets ou compensations économiques.

Nous ne pratiquons pas les offsets et nous sommes l'un des rares pays à ne pas les pratiquer. La directive, sans jamais les citer, les proscrit en interdisant la sous-traitance nationale imposée par le pouvoir adjudicateur.

De plus les offsets n'étant jamais nécessaires du point de vue des intérêts essentiels de sécurité, ils devraient être proscrits aussi dans le champ des exceptions de la directive.

Les offsets sont une entrave à la capacité d'exportation de nos PME qui, contrairement aux grands groupes, ne disposent pas des moyens permettant de prendre en compte cette pratique. La lutte contre les offsets, qui d'une manière générale perturbent le marché européen des armements constitue dorénavant l'un des objectifs essentiels que la Commission s'est fixé, et qu'il faut soutenir.

Nos entreprises, pénalisées par les offsets pratiqués par les autres Etats membres ont tout à gagner à la disparition de ces pratiques. La directive devrait contribuer à fortement réduire les offsets en Europe.

Ma principale préoccupation sur le projet de loi est le dispositif législatif permettant de contrôler l'ouverture de nos marchés aux industriels des pays tiers à l'Union européenne.

L'article 37.2 de l'ordonnance 2005-649 pose le principe de la fermeture de nos marchés de défense et de sécurité aux opérateurs tiers à l'Union européenne, sauf si le pouvoir adjudicateur en décide autrement.

Cet article est nécessaire, toutefois il n'est pas suffisant.

En effet, une entreprise qui a son seul siège social en Europe est considérée comme européenne et donc l'article 37.2 est insuffisant pour empêcher qu'un marché attribué à une entreprise européenne ne soit en grande partie, comme cela se voit quelques fois, sous-traité dans un pays tiers.

Il faudra donc être en mesure d'éliminer, si nécessaire, pas seulement des candidatures mais aussi des offres : celles qui seraient réalisées, voire conçues, dans des pays tiers, éventuellement par l'intermédiaire de sous-traitants.

Nous aurons besoin d'un dispositif législatif pour éviter cela. Faute de quoi, un candidat respectant les critères de candidature pourrait contourner ces derniers en proposant dans un deuxième temps une offre fondée sur des prestations, dont nous n'aurons absolument aucune maîtrise.

Sans ce type de précaution législative, nos entreprises seront soumises à une concurrence déloyale extra-européenne. Cette concurrence déloyale évincerait notre industrie de ses principaux marchés actuels, ce qui lui interdirait toute compétitivité et crédibilité sur le marché mondial. Elle serait probablement accompagnée d'importants contentieux. Nos principaux partenaires européens s'en sortiront mieux en disposant d'ores et déjà d'un code leur permettant de défendre leurs intérêts essentiels, tout en bénéficiant à la marge de notre manque de protection. Cela m'amène donc à attirer votre attention sur l'importance de la formulation des textes qui vous seront présentés.

Nous regardons de très près les conséquences des textes qui pourraient être adoptés. Un gros travail d'analyse est ainsi mené en ce moment pour calibrer des textes qui seraient à la fois inattaquables par la Commission, car respectueux de la ligne de la directive, et juridiquement solide pour constituer une base efficace pour garantir la préservation de nos intérêts.

Au final, la marge de manoeuvre est étroite et l'équilibre fragile.

Que font nos partenaires ?

Comme nous l'avions fait pendant la négociation de la directive, nous avons évidemment noué des contacts avec nos principaux partenaires européens sur la transposition.

Pour ce qui concerne l'ouverture aux opérateurs tiers, il faut souligner que les codes britannique, italien et espagnol prévoient déjà pour les achats hors armement, des dispositions restrictives vis-à-vis des opérateurs tiers ou de pays non parties à l'Accord sur les Marchés Publics, accord établi dans le cadre de l'OMC. Ces pays prévoient de poursuivre dans la même voie. Le Royaume-Uni est particulièrement bien outillé avec une part de droit coutumier non écrit.

Concernant les véhicules législatifs et réglementaires, les bases de la transposition de la directive sur les marchés publics de défense et de sécurité sont d'ordre législatif. Toutefois, de nombreux points sont de nature règlementaire et feront l'objet d'une troisième partie du code des marchés publics. Mes services travaillent avec les ministères de l'Économie et de l'Intérieur sur le projet de décret. Nous avons l'espoir et la volonté d'aboutir d'ici l'échéance du 21 août 2011.

En conclusion, je soulignerai que la directive est une excellente chose pour développer la BITD européenne.

Notre transposition ne doit pas être en retrait et ne doit pas modifier l'équilibre entre ouverture des marchés et protection des intérêts de sécurité au risque d'être lourdement dommageable. Nos partenaires se dotent de l'arsenal pour préserver leurs intérêts essentiels dans le respect de la directive. L'équilibre des textes est très fragile et exige les plus grandes précautions.

Enfin, avant de répondre à vos questions, je soulignerai deux points qu'il convient de garder à l'esprit.

Le premier est que la défense ne sera jamais un marché libre, du simple fait du contrôle des exportations et des aides diverses pratiquées par certains pays.

Le second est que croire à l'ouverture réciproque et sincère des marchés au niveau mondial est une vision naïve - collectivement en France nous sommes d'ailleurs les derniers à la croire - que nous ne pouvons plus nous permettre dans le contexte de guerre économique actuel, pour reprendre les propos récents d'un ministre.

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