Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 2 juillet 2008 : 1ère réunion
Traités et conventions — Protection contre les disparitions forcées - examen du rapport

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam, rapporteur :

a tout d'abord rappelé que cette convention avait été adoptée le 20 décembre 2006 par l'Assemblée générale des Nations unies et ouverte à la signature le 6 février 2007, à Paris. A la fin mai 2008, 73 Etats l'avaient signée et 4 l'avaient ratifiée. Cette convention entrera en vigueur lorsque 20 Etats l'auront ratifiée. Le rapporteur a ensuite précisé que l'article 2 de cette convention définit la disparition forcée comme la conjonction de trois éléments, à savoir : l'arrestation, la détention, l'enlèvement, ou toute autre forme de privation de liberté d'une personne, par des agents de l'Etat ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'Etat, et qui dénient la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant ainsi à la protection de la loi.

a indiqué que le texte dont la ratification est soumise au Parlement condamne ce genre de pratique et a exprimé cinq séries de considération.

En premier lieu, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a rappelé que la disparition forcée est historiquement apparue en Amérique latine dans les années 1960. Sa méthode a pris forme au Guatemala, entre 1963 et 1966, et s'est diffusée, pendant deux décennies, dans l'ensemble de l'Amérique du Sud. De 1966 à 1986, 90 000 personnes de différents pays du continent latino-américain en ont été victimes. Même les démocraties, ou réputées telles, ont parfois recouru à ce type de violences : le Mexique, la Colombie, le Pérou, l'Algérie, le Sri Lanka, la Russie en Tchétchénie, les Philippines ou encore l'Inde au Cachemire. Selon les Nations unies, depuis 1980, 40 000 êtres humains ont disparu dans 90 pays. En 2005, 535 nouveaux cas ont été établis.

En second lieu, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a indiqué qu'il s'agit d'un crime particulièrement odieux et inhumain, dont le mode opératoire est toujours le même : d'une part, la clandestinité et l'absence de revendication, et bien souvent la disparition physique des corps, car, sans victime, il ne peut y avoir ni délit, ni coupable ; d'autre part, des effets psycho-sociaux collatéraux importants : non seulement la victime directe disparaît, mais sa famille est psychologiquement détruite, rongée par l'ignorance, l'espoir, la peur, le doute, sentiments qui s'entrechoquent avec une intensité d'autant plus violente que le sort d'un être aimé ou proche est en jeu. Progressivement, toute la société est paralysée, car elle ignore avec précision quelles sont les personnes visées.

En troisième lieu, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a déclaré que les disparitions forcées violent toute une série de droits inhérents à la personne humaine : le droit à la sécurité et à la dignité ; le droit de ne pas être soumis à la torture ou à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; le droit à des conditions de détention humaines ; le droit à une personnalité juridique ; le droit à un procès équitable ; le droit à une vie de famille ; le droit à la vie. En outre, la disparition forcée est particulièrement cruelle dans la mesure où elle touche également les proches de la victime. Pourtant, les lois en vigueur dans les Etats ne permettent pas d'appréhender ce type de crime, puisque, par définition, il n'y a ni auteur, ni victime. En effet, la définition juridique des crimes d'enlèvement, de détention arbitraire, de tortures, d'assassinat, etc.... ne permettent pas de qualifier, en droit, la disparition. L'enlèvement, qui en est le crime le plus ressemblant, s'en différencie par le fait que l'auteur, bien qu'il agisse dans la clandestinité, finit généralement par se manifester, ne serait-ce que pour revendiquer ou pour demander une rançon. On a ainsi la certitude qu'il y a bien enlèvement. La détention, légale ou illégale, accompagnée ou non de mise au secret, diffère également de la disparition par le fait que les autorités admettent retenir la victime. On ne peut donc appréhender la disparition forcée en tant que telle et c'est pourquoi il est apparu indispensable d'établir un délit pénal spécifique.

En quatrième lieu, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a précisé qu'après diverses réactions, tant au niveau régional qu'à celui de l'ONU, l'Assemblée générale des Nations unies a commencé un travail d'élaboration d'une convention en 1992. Ce travail fut achevé en 1998, avec la rédaction, par l'expert français Louis Joinet, d'un projet d'instrument contraignant sur les disparitions forcées. La commission des Droits de l'Homme constitua ensuite un groupe de travail, qui se réunit la première fois en 2003 et aboutit à l'adoption d'un projet de texte, le 23 septembre 2005. L'élaboration fut laborieuse, certains Etats contestant la nécessité d'une telle convention. En outre, la question s'est posée de savoir s'il fallait étendre la disparition forcée aux enlèvements commis par des individus ou des groupes agissant à leur propre fin. Le projet de convention fut adopté par le Conseil des Droits de l'Homme le 29 juin 2006, puis, définitivement, par consensus et avec 103 coparrainages, par l'Assemblée générale des Nations unies, le 20 décembre 2006. La France a joué un rôle éminent dans son adoption, puisqu'étant particulièrement à l'origine de la première résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en 1978. C'est pourquoi l'ouverture à la signature a eu lieu à Paris et a été placée sous le haut patronage du Président de la République française et la présidence du ministre des affaires étrangères.

Enfin, en cinquième lieu, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a précisé le contenu de cette convention et ses principaux apports. Il s'agit du premier traité définissant la disparition forcée comme un crime et l'interdisant. Ce traité poursuit trois objectifs et organise un mécanisme de contrôle et de suivi.

Le premier objectif de la convention est de combattre l'impunité. En ratifiant la convention, les Etats parties s'obligent à établir la disparition forcée comme une infraction au regard de leur droit pénal national et à traduire en justice les auteurs de disparitions forcées. Les parties s'engagent également à poursuivre les auteurs, les commanditaires et les complices des disparitions forcées. A cet égard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur a précisé que la convention stipulait qu'aucun ordre ou instruction émanant de l'autorité publique, civile, militaire ou autre ne pouvait être invoqué pour justifier d'une disparition forcée. Les Etats parties s'engagent enfin à poursuivre les auteurs de l'infraction, non seulement lorsqu'ils ont commis le crime de disparition forcée sur le territoire de l'Etat partie, mais également lorsque l'infraction alléguée relève d'une autre juridiction. Au-delà de ces obligations, la présente convention pose le principe d'une coopération renforcée entre les Etats parties, reposant sur une entraide judiciaire la plus large possible. Elle vise à porter assistance aux victimes de disparition forcée ainsi qu'à rechercher, localiser et libérer des personnes disparues.

Le deuxième objectif de cette convention est de prévenir la pratique des disparitions forcées. Dans cette perspective, la convention prévoit, notamment :

- l'interdiction des lieux de détention secrets, ce qui signifie que les Etats parties doivent garder toutes les personnes privées de liberté dans des lieux de détention « officiellement reconnus et contrôlés », tenir des registres actualisés, disposer de dossiers détaillés sur tous les détenus et les autoriser à communiquer avec leur famille et un avocat.

- l'institution d'un droit d'accès aux informations relatives aux personnes privées de liberté en faveur de leurs proches ou de leurs avocats, ainsi que des mesures de protection de ces derniers contre toute forme d'intimidation ou de sanction en raison de la recherche de ces informations.

Le troisième objectif est d'établir de nouveaux droits pour les victimes et leurs proches. Entre autres avancées, la convention énonce un droit des victimes à connaître la vérité sur les circonstances de la disparition forcée et le sort de la personne disparue, reconnaissant ainsi la légitimité du « droit de savoir » et proclamant également un droit des victimes à réparation du préjudice moral et physique subi, susceptible de prendre la forme d'une indemnisation ou d'une réhabilitation.

Enfin, la convention institue un mécanisme de suivi au travers d'un « comité des disparitions forcées », composé de dix experts indépendants élus pour une durée de quatre ans, renouvelable une fois. Ce comité veille, de façon classique, à l'application des stipulations du traité. Mais il est également censé jouer un rôle préventif afin d'empêcher la survenance de disparitions forcées. Dans ce but, il est doté de pouvoirs d'investigation et d'une capacité d'interpellation. Il peut être saisi, en urgence, par les proches d'une personne disparue, d'une demande visant à la chercher et à la retrouver. S'il admet la recevabilité de la plainte, le comité demande à l'Etat concerné de lui fournir des renseignements sur la situation de la personne recherchée. Au vu des informations obtenues, il peut lui transmettre une requête demandant de prendre « toutes les mesures, y compris conservatoires, pour localiser et protéger la personne recherchée conformément à la présente convention». Le comité peut effectuer des visites sur place, en cas de grave atteinte à la convention avec l'accord de l'Etat concerné. Enfin, le comité peut émettre des appels urgents auprès de l'Assemblée générale des Nations unies, s'il reçoit des informations selon lesquelles la disparition forcée est pratiquée de manière généralisée ou systématique sur le territoire d'un Etat partie à la convention.

Estimant l'ensemble de ces stipulations extrêmement positives pour l'avancée du droit international et la défense des Droits de l'Homme, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a cité, en conclusion, le Président de la Commission de la Croix-rouge internationale, selon lequel la ratification de cette convention est une « oeuvre urgente d'humanité ». En conséquence, elle a recommandé d'adopter ce projet de loi et a suggéré, compte tenu du consensus dont il faisait l'objet, que la commission propose qu'il soit adopté selon une procédure simplifiée en séance publique.

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