Intervention de André Vantomme

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 28 juin 2011 : 1ère réunion

Photo de André VantommeAndré Vantomme, co-rapporteur :

Le Kosovo a proclamé son indépendance le 17 février 2008, au terme d'un long processus.

Ce petit territoire enclavé de plus de 10 000 km2, d'une taille comparable au département de la Gironde, est peuplé de 2,1 millions d'habitants, en grande majorité des Albanais, mais avec une minorité d'environ 100 000 Serbes (5 %), qui vivent pour un tiers (40 000) au nord de la rivière Ibar, autour de Mitrovica, et pour les deux tiers (60 000) dans des enclaves isolées au sud.

Le Kosovo fut pendant quatre siècles sous domination ottomane avant d'être intégré à la Serbie en 1913, puis à la Yougoslavie.

Le Kosovo est considéré comme le berceau de la civilisation serbe depuis la défaite des armées du Prince Lazar contre les Ottomans en 1389, lors de la bataille du Champ des Merles, dont nous avons visité le monument, ce qui explique la présence de très nombreux monastères orthodoxes, alors que les Albanais sont en grande majorité de confession musulmane, même si on compte également des communautés catholiques.

Bien que n'étant pas reconnue comme une république autonome dans le cadre de la Yougoslavie, à la différence par exemple de la Croatie ou de la Macédoine, le Kosovo a bénéficié d'une certaine autonomie, qui a été remise en cause en 1989 lors de l'arrivée au pouvoir de Slobodan Milosevic, qui a supprimé l'autonomie de cette province, le bilinguisme et licencié les fonctionnaires d'origine albanaise, y compris de l'enseignement ou de la santé.

La majorité albanaise organise alors une protestation pacifique avec la création d'une véritable société parallèle, dotée d'écoles et d'hôpitaux, et même d'un gouvernement, dirigé par l'écrivain Ibrahim Rugova.

Avec l'intensification de la répression par les autorités serbes, certains kosovars albanais changent de stratégie et, à compter de 1998, constituent l'armée de libération du Kosovo (UCK), qui lutte contre l'armée serbe.

Les mois de février et mars 1998 sont marqués par de violents combats et la destruction de nombreux villages albanais par l'armée et la police serbes, de violentes représailles de l'UCK, notamment contre les serbes et les monastères orthodoxes, et un flot massif de réfugiés.

Afin de mettre un terme au conflit, et après l'échec des négociations avec la Serbie, l'OTAN intervient par des bombardements aériens en mars 1999, qui contraignent Slobodan Milosevic à retirer ses troupes en juin 1999.

Le Kosovo est placé, par la résolution 1244 du Conseil de sécurité, sous administration de l'ONU, dirigée par notre compatriote Bernard Kouchner, et qui comprend le déploiement d'une force de l'OTAN.

L'envoyé spécial des Nations unies au Kosovo, le Finlandais Marti Ahtisaari, prix Nobel de la paix, présente en 2007 un plan préconisant l'accession à l'indépendance sous supervision internationale, accompagné d'un statut protecteur pour les minorités et des mesures de protection du patrimoine religieux, mais ce plan a été rejeté par la Serbie.

Le 17 février 2008, le Kosovo proclame alors son indépendance.

A ce jour, le Kosovo est reconnu par 76 Etats, dont les Etats-Unis et 22 des 27 Etats membres de l'Union européenne, c'est-à-dire tous les pays membres, dont la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, à l'exception de l'Espagne, de la Roumanie, de la Slovaquie, de la Grèce et de Chypre.

Les réserves de ces cinq Etats membres ne portent pas tant sur le Kosovo mais s'expliquent par la crainte d'un précédent concernant certaines régions (comme la Catalogne pour l'Espagne ou la partie Nord de l'île pour Chypre) ou minorités (comme les minorités hongroises en Slovaquie et en Roumanie).

La Serbie n'a pas reconnu l'indépendance du Kosovo, qu'elle considère comme faisant toujours partie de son territoire, de même que la Russie.

Saisie à la demande de la Serbie, la Cour internationale de justice a rendu, le 22 juillet 2010, un avis consultatif qui confirme la conformité au droit international de la déclaration d'indépendance du Kosovo.

Le Kosovo reste toutefois, comme nous avons pu le constater sur place, un pays coupé en deux, à la fois sur le terrain, mais aussi dans les esprits.

Au sud de la rivière Ibar, le territoire, majoritairement albanais, comporte des enclaves serbes, à l'image de la ville de Gracanica, dont nous avons rencontré le maire-adjoint et la députée, qui coopèrent avec les autorités de Pristina, mais on constate néanmoins un repli identitaire des deux communautés, qui vivent très cloisonnées et dans la peur l'une de l'autre.

En particulier, les églises orthodoxes et les monastères, parfois très isolés, doivent en permanence être protégés, soit par les militaires de la KFOR, soit par la police kosovare, par crainte de dégradations de la part des Albanais.

A cet égard, il ne s'agit pas réellement d'un conflit à caractère religieux, même si les Albanais sont majoritairement musulmans et les Serbes orthodoxes, mais d'un conflit à caractère national, car le Kosovo connaît un Islam très modéré.

On rencontre moins de femmes voilées à Pristina et dans les villes du Kosovo qu'à Paris ou en banlieue parisienne !

Le principal problème reste la partie située au nord de la rivière Ibar, dont le secteur nord de la ville Mitrovica, qui est principalement peuplée de serbes, qui ne reconnaissent pas l'autorité de Pristina et dont les « structures parallèles », c'est-à-dire les institutions municipales, les tribunaux, les écoles ou les hôpitaux, sont financées et appliquent les lois de Belgrade, avec une forte présence de réseaux criminels de type mafieux.

Le Kosovo a connu une grave crise politique à l'automne 2010, avec l'invalidation successive par la Cour constitutionnelle de deux présidents de la République. En définitive, une jeune femme de 36 ans, ancienne chef de la police, a été élue présidente de la République par le Parlement le 7 avril 2011.

L'essentiel du pouvoir se concentre toutefois dans les mains du Premier ministre M. Hashim Thaçi, dont le parti issu de l'UCK (PDK) est arrivé en tête lors des dernières élections législatives de décembre 2010, qui ont été marquées par des fraudes flagrantes.

De manière générale, le climat politique reste tendu, notamment entre le PDK, issu de l'UCK, et la LDK, fondée par Ibrahim Rugova, et avec une montée du parti d'autodétermination, qui est favorable au rattachement du Kosovo à l'Albanie.

Le Kosovo connaît aussi une situation économique et sociale délicate. Avec un taux de chômage de 45 %, touchant principalement les jeunes, un territoire enclavé, une agriculture délaissée et entravée par des constructions immobilières anarchiques, une absence presque complète d'industries, l'économie du Kosovo ne survit que grâce à l'aide de la communauté internationale et de la diaspora albanaise, surtout présente en Suisse et en Allemagne.

Le PIB par habitant, de l'ordre de 1 700 dollars par an, représente seulement 7 % de la moyenne communautaire.

Si le Kosovo dispose de richesses minières (notamment en lignite), le pays importe la quasi-totalité des produits (y compris alimentaires) et les besoins, en termes d'infrastructures et d'investissements, sont considérables. Notre collègue Jean Faure a ainsi visité la station de ski de Brezovica, dont les équipements sont totalement obsolètes.

Alors que l'aide internationale est cruciale, le Fonds monétaire international a récemment suspendu son aide, notamment en raison des soupçons de corruption concernant un coûteux projet d'autoroute vers l'Albanie.

En matière de politique étrangère, malgré une très forte américanophilie, qui s'explique par le fort soutien des Etats-Unis à l'indépendance, la priorité du gouvernement kosovar est le rapprochement avec l'Union européenne. Toutefois, si l'Union européenne a affirmé la perspective européenne de l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, ce rapprochement est freiné par la non-reconnaissance du Kosovo par cinq Etats membres. Ainsi, le Kosovo est le seul pays des Balkans occidentaux à ne pas bénéficier de la libéralisation des visas de court séjour avec l'Union européenne.

Dans ce contexte, les autorités du Kosovo fondent beaucoup d'espoirs sur le dialogue avec Belgrade, lancé le 8 mars 2011, sous l'égide de l'Union européenne, comme nous l'a indiqué la ministre chargée de ces négociations.

Les premières discussions ont porté sur des sujets techniques, importants pour la vie quotidienne des citoyens, tels que les documents d'état-civils (dont les originaux sont toujours détenus à Belgrade), le cadastre, les douanes, l'électricité, les télécommunications ou encore le survol du territoire.

A terme, le Kosovo souhaiterait obtenir de Belgrade, sinon une reconnaissance, du moins une normalisation des relations, qui permettrait, notamment, l'adhésion du Kosovo à l'ONU et dans d'autres organisations internationales, ainsi qu'un rapprochement avec l'Union européenne.

Ce dialogue n'a pas été remis en cause par les graves accusations portées par le député suisse Dick Marty, dans le cadre du Conseil de l'Europe, concernant un trafic d'organes prélevés sur des prisonniers serbes par les combattants de l'UCK, dont l'actuel Premier ministre kosovar.

S'il faut rester prudent sur ces allégations qui ne reposent sur aucune preuve et qui proviennent d'une personnalité qui s'était fortement opposée à l'intervention de l'OTAN et à l'indépendance, EULEX a été chargé d'une enquête sur ces allégations.

Ce dialogue suscite toutefois de fortes inquiétudes au Kosovo, en raison des déclarations de certains responsables politiques serbes, qui évoquent une partition du Nord du Kosovo ou un échange de territoires.

Or, une telle partition, qui serait contraire au principe de l'intangibilité des frontières, risquerait de provoquer de nouvelles tensions dans toute la région, notamment en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine (où vit une importante minorité albanaise).

Pour notre part, nous considérons qu'il faudrait que l'Union européenne dise clairement à la Serbie que l'idée d'une modification des frontières n'est pas acceptable et que la normalisation des relations avec le Kosovo est une nécessité pour son rapprochement avec l'Union européenne.

Avant d'être un grand marché, l'Union européenne est d'abord une construction fondée sur la réconciliation entre les peuples.

Par ailleurs, le précédent chypriote montre que l'Union européenne devrait éviter d'importer des conflits en son sein. Elle se doit au contraire d'encourager la coopération régionale.

Nous pensons également qu'il faudrait inciter les cinq Etats membres qui ne l'ont pas encore fait à reconnaître l'indépendance du Kosovo. Certes, la décision de reconnaître ou non un Etat est une décision souveraine de chaque Etat membre. Mais, comment expliquer que, sur un sujet de cette importance, qui la concerne directement, l'Union européenne ne parvient pas à parler d'une seule voix ? Au moment où l'Union européenne s'efforce de renforcer sa politique étrangère, avec le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le service européen pour l'action extérieure, créés par le traité de Lisbonne, il serait souhaitable de progresser sur cette question.

Nous estimons aussi que la France devrait se montrer plus ouverte à la perspective d'une suppression des visas, étant donné que, le Kosovo est le seul pays des Balkans avec lequel l'Union européenne a maintenu cette contrainte.

Enfin, nous pensons que, dans un contexte de diminution des militaires et des gendarmes français, la France pourrait utilement renforcer sa présence au Kosovo en matière économique et d'expertise.

Alors qu'il existe un marché pour nos entreprises, comment expliquer que notre ambassade soit dépourvue de conseiller économique ou d'attaché commercial ?

De même, notre pays dispose de nombreux experts ou organismes qui pourraient apporter une expertise, par exemple en matière agricole, de protection de l'environnement, de traitement des déchets ou de gestion de l'eau.

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