Intervention de Jean Faure

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 28 juin 2011 : 1ère réunion

Photo de Jean FaureJean Faure, co-rapporteur :

Après cette présentation de la situation du Kosovo, je voudrais maintenant aborder l'action de la communauté internationale, de l'OTAN et de l'Union européenne, et la place et le rôle des militaires et des gendarmes français.

Trois ans après l'indépendance et malgré une situation sécuritaire calme (les derniers incidents remontent à 2004, avec des heurts violents entre Albanais et Serbes autour du Pont d'Austerlitz de Mitrovica), la communauté internationale occupe encore une place très importante, ce qui n'est pas sans soulever des questions en ce qui concerne cette « tutelle » internationale.

Cette supervision internationale est très complexe, car elle fait intervenir plusieurs acteurs, dont les objectifs ne sont pas toujours identiques.

On trouve d'abord un bureau du Représentant civil international, dont nous avons rencontré l'un des représentants, de nationalité américaine, qui est chargé de mettre en oeuvre « le plan Ahtisaari » et de rendre l'indépendance du Kosovo irréversible. Ainsi, ce bureau est chargé de conseiller les autorités et peut même s'opposer à certaines décisions qu'il estimerait contraires au « plan Ahtisaari ». Il finance notamment l'installation au Nord, d'institutions kosovares formées de Serbes ayant accepté de reconnaître le gouvernement de Pristina, et dont nous avons rencontré des représentants.

On trouve également un Représentant spécial de l'Union européenne, ainsi qu'un bureau de la Commission européenne, qui gère l'aide financière très importante apportée par l'Union européenne au Kosovo, et dont le mandat s'appuie sur la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies et qui est neutre à l'égard du statut. Je rappelle à cet égard que le Kosovo est l'un des premiers pays au monde en termes d'aide financière par habitant.

L'aide de l'Union européenne et de ses Etats membres est évaluée à 800 millions d'euros entre 2008 et 2011.

L'Union européenne est aussi présente par l'intermédiaire d'EULEX, qui constitue la plus grande mission de gestion civile des crises de l'Union européenne jamais déployée et qui est dirigée par le Français Xavier Bout de Marnhac.

EULEX est chargée, depuis décembre 2008, d'accompagner les autorités kosovares dans le domaine de la justice, de la police et des douanes. Elle comprend près de 2 000 policiers, gendarmes, magistrats et douaniers, et 1 200 agents locaux, soit plus de 3 000 personnes. Elle a vocation à remplacer progressivement la KFOR de l'OTAN, dont les effectifs sont en diminution.

Le volet policier, qui comprend 1 400 policiers et gendarmes, est déployé sur l'ensemble du territoire et joue un rôle d'appui à la police kosovare.

La composante judiciaire compte, quant à elle, 300 personnes, dont plusieurs magistrats français, et est chargée d'assister et de conseiller les juges kosovars et d'enquêter sur certaines affaires, comme les crimes de guerre. Nous avons ainsi rencontré une juge française siégeant au sein de la nouvelle Cour de Mitrovica, située au nord de l'Ibar.

Enfin, la composante douanière, qui comprend une centaine de personnes, est notamment chargée de la surveillance des postes-frontières avec la Serbie.

EULEX est souvent critiquée, notamment par les autorités kosovares et par les Etats-Unis, pour sa très grande timidité à l'égard des Serbes du Nord et pour la faiblesse de ses résultats, notamment dans la lutte contre la criminalité organisée.

L'action d'EULEX et, plus généralement, celle de l'Union européenne est toutefois surtout entravée par la non-reconnaissance de l'indépendance du Kosovo par cinq des vingt-sept Etats membres.

En effet, faute de consensus suffisant entre les Etats-membres, les responsables de l'Union européenne ne semblent pas en mesure de faire preuve d'une réelle volonté politique et de s'accorder sur des directives claires, ce qui explique largement la prudence dont EULEX fait parfois preuve.

Dans ce contexte, la France, qui s'était fortement investie au sein de la mission EULEX de l'Union européenne et qui exerçait par ce biais une forte emprise, semble avoir beaucoup perdu de son influence, avec la décision prise par le ministère de l'intérieur, en février 2011, de retirer l'escadron de gendarmes mobiles et de le rapatrier en France.

L'escadron de 120 gendarmes était notamment chargé du maintien de l'ordre sur le pont Austerlitz, situé en plein centre de Mitrovica, qui sépare les quartiers albanais au sud de l'Ibar, et les quartiers serbes au nord, et principal lieu des violents affrontements entre les deux communautés.

Il constituait le principal « fer de lance » en matière de maintien de l'ordre d'EULEX au nord de l'Ibar.

Même si notre pays a conservé une unité d'une quarantaine de gendarmes et quatre véhicules blindés à roue de gendarmerie au camp de Novo Selo, auxquels s'ajoutent trente gendarmes répartis sur l'ensemble du territoire, ce dispositif semble largement insuffisant pour faire face à des affrontements.

Certes, les gendarmes français pourraient compter sur le renfort de carabiniers italiens, de gendarmes roumains ou polonais, mais, à la différence de nos gendarmes, les autres ne sont pas regroupés en unités constituées et n'ont pas la même expertise, ni la même expérience en matière de maintien de l'ordre.

De plus, les gendarmes français étaient les seuls à être disponibles en permanence (notamment de nuit ou le week end) et étaient très appréciés à la fois des Albanais et des Serbes, ce qui est moins le cas des Américains ou des Allemands, qui hésitent de surcroît à se rendre au Nord.

Le rapatriement de l'escadron de gendarmes mobiles s'explique principalement par la diminution des effectifs et la suppression de quinze escadrons de gendarmes mobiles dans le cadre de la RGPP, par le coût des opérations extérieures supporté par la gendarmerie, ainsi que par la volonté de donner la priorité à la sécurité sur le territoire national.

Toutefois, le retrait de l'escadron de gendarmes mobiles a d'autant moins été compris par les Kosovars et par nos partenaires européens qu'il coïncidait avec la diminution de moitié de notre présence militaire au sein de la KFOR.

La KFOR de l'OTAN occupe encore une place importante au Kosovo, même si elle a connu une diminution de ses effectifs ces derniers mois. Le mandat de la KFOR est de participer à la sécurisation du Kosovo dans le cadre de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies. Ses missions recouvrent la préservation du cessez-le-feu, le maintien de l'ordre public, le déminage, la protection de la présence internationale, et même la protection du patrimoine culturel et des églises orthodoxes.

Nous avons ainsi rencontré une section de militaires français de la brigade franco-allemande, qui garde en permanence le monastère orthodoxe serbe de Devic et protège ses nonnes. Ce monastère, entièrement isolé et entouré de villages albanais, avait été entièrement brûlé par des Albanais en 1999.

Alors qu'en 1999, la KFOR comptait jusqu'à 45 000 hommes, dont 7 000 militaires français, elle a connu, depuis 2001, une nette diminution de ses effectifs, qui s'est poursuivie ces derniers mois. Cette réduction de la KFOR s'explique principalement par la situation sécuritaire, qui reste calme, mais aussi par les contraintes opérationnelles liées aux engagements des pays de l'OTAN en Afghanistan.

Ainsi, alors qu'en janvier dernier, le contingent de la KFOR comptait encore 13 000 militaires, ce contingent a été réduit de moitié à 6 200, avec le passage de la phase active à la posture dite de « présence dissuasive », qui est censée précéder le « désengagement » complet. Dans cette deuxième phase, la KFOR est censée intervenir en troisième recours, après la police kosovare et après les policiers et gendarmes d'EULEX au sud de l'Ibar, mais intervient souvent en premier au nord, en raison de l'absence de la police kosovare.

La KFOR est une « force robuste » et fait preuve d'une très grande efficacité. La KFOR reste aussi très populaire chez les Albanais à la différence d'EULEX, qui est souvent critiquée pour sa timidité à l'égard des Serbes. Le contingent français a été réduit de moitié, passant de 700 à 320 militaires.

La France figure au 7e rang des pays contributeurs, après l'Allemagne (1 200), les Etats-Unis (800), l'Italie (620), la Turquie (480), l'Autriche (470) et la Slovénie (330). La Grande-Bretagne a, quant à elle, retiré toutes ses troupes.

Dans le cadre de la réorganisation du dispositif sur le terrain, la France a rétrocédé le camp militaire du Belvédère à la municipalité de Mitrovica. Elle conserve le camp de Novo Selo, que nous avons visité.

Avec la diminution du nombre de ses hommes et la réorganisation du dispositif de la KFOR, par la suppression des cinq commandements régionaux au profit de deux commandements, l'un à l'Est, attribué à un officier américain, l'autre à l'Ouest, attribué à un italien, la France a toutefois perdu le commandement de la région de Mitrovica Nord.

Notre contingent, placé sous commandement américain, doit assurer le soutien logistique au profit des militaires d'autres nationalités présents sur ce camp. Comme me l'a confié un officier français, un peu désabusé, « la France est passée d'une politique d'influence à une logique de contributeur ».

Le coût de la participation française est passé de 16,5 millions d'euros en 2010 à 13,5 millions d'euros en 2011, mais pourrait s'alourdir si aucune solution n'est trouvée pour la remise en état du camp de Novo Selo.

L'état-major des armées espère que le passage à la phase de désengagement, qui devrait entraîner le rapatriement complet des militaires français, pourra intervenir au printemps de l'année prochaine.

Des tensions liées aux prochaines élections en Serbie ou à une reprise des tensions à Mitrovica pourraient toutefois ralentir ce calendrier. Ainsi, au cours de notre visite, des manifestations avaient été organisées par des Serbes pour protester contre l'arrestation par EULEX au Nord d'un Serbe, qui est soupçonné d'être le trésorier d'un groupe mafieux.

Pour conclure, le sentiment que nous retirons de notre déplacement est que, trois ans après l'indépendance, le Kosovo est confronté à de nombreux défis et qu'il lui reste encore d'importants progrès à accomplir sur la voie de l'Etat de droit, de la viabilité économique et de la réconciliation entre les communautés qui le composent.

L'Union européenne devrait donc continuer de soutenir et d'accompagner le Kosovo, mais l'efficacité de son action sera d'autant plus grande qu'elle parviendra à mettre un terme à ses divisions internes et à parler d'une seule voix, et qu'elle pourra offrir au Kosovo des perspectives de rapprochement à l'image des autres pays des Balkans occidentaux.

Seule la perspective du rapprochement avec l'Union européenne me semble de nature à permettre, sinon une reconnaissance, du moins une normalisation des relations entre Pristina et Belgrade et un règlement pacifique de la situation du nord du Kosovo.

Or, la clé du développement économique du Kosovo tient en grande partie au rétablissement des relations avec Belgrade et à son désenclavement. La France, qui entretient des relations d'amitié à la fois avec la Serbie et avec le Kosovo, a de ce point de vue un rôle particulier à jouer, à condition qu'elle reste présente et attentive à la situation de ce pays et de cette région.

Toutefois, il faut aussi s'interroger sur les limites de l'action de la communauté internationale, qui a investi beaucoup d'efforts et d'argent ces dernières années, sans toujours obtenir les résultats espérés. Alors que le Kosovo a bénéficié d'une importante aide internationale, les infrastructures demeurent délabrées, l'agriculture délaissée et la protection de l'environnement absente.

Le temps du protectorat semble aujourd'hui dépassé et il est grand temps pour les autorités du Kosovo de prendre leur destin en main.

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