Intervention de Son Exc. M. Tomasz Orlowski

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 juin 2011 : 1ère réunion
Priorités de la présidence polonaise de l'union européenne — Audition de s. exc. M. Tomasz Orlowski ambassadeur de pologne en france

Son Exc. M. Tomasz Orlowski, ambassadeur de la République de Pologne en France :

C'est un très grand honneur pour moi de pouvoir présenter devant vos deux commissions les priorités de la présidence polonaise de l'Union européenne et je voulais donc vous remercier pour votre invitation.

Avant d'évoquer ces priorités et de répondre à vos questions, je voudrais vous dire la très grande satisfaction de mon pays, à la veille de sa présidence du Conseil de l'Union européenne, pour la nomination d'une grande figure européenne, Mme Christine Lagarde, à la direction générale du Fonds monétaire international. La nomination d'une femme politique française, ancienne ministre du gouvernement français et d'une personnalité européenne de premier plan à la tête du FMI montre, en effet, que l'Europe est visible et qu'elle a un rôle essentiel à jouer sur la scène internationale.

A partir du 1er juillet, la Pologne exercera, pour la première fois depuis son adhésion à l'Union européenne, le 1er mai 2004, la présidence du Conseil de l'Union européenne.

Cela représente un moment particulier, car pour les Polonais, la perspective de l'adhésion à l'Union européenne était intimement liée à la volonté de retrouver leur place au sein de l'Europe, après la chute du communisme en 1989.

Forte de son expérience, qu'elle souhaite partager avec les autres Etats membres et partenaires, la Pologne souhaite donc placer sa présidence de l'Union européenne sous les auspices de deux mots d'ordre : la solidarité, qui est le nom du mouvement ayant permis de renverser le régime communiste, et l'optimisme, qui a permis de rendre possible ce qui paraissait aux yeux de beaucoup comme impossible.

Notre sentiment est qu'aujourd'hui, face à la crise, l'Union européenne a besoin à la fois de solidarité et d'optimisme, et que les deux se complètent mutuellement.

L'Union européenne a besoin de solidarité. Elle a besoin de solidarité à l'intérieur, entre ses Etats membres, entre les anciens et les nouveaux, entre les pays du Nord et du Sud, entre les régions riches et les régions pauvres, entre les villes et le monde rural. Elle doit aussi se montrer solidaire avec ses voisins du Sud ou de l'Est, et, plus largement, au niveau mondial. A cet égard, le fait que la présidence polonaise de l'Union européenne coïncide avec la présidence française du G8 et du G20 représente une réelle opportunité et nos gouvernements ont d'ores et déjà commencé à travailler ensemble et à se concerter étroitement.

Mais nous avons aussi besoin d'optimisme, car l'Europe connaît aujourd'hui un certain ralentissement, un manque de volonté, une absence d'enthousiasme. Or, seuls l'optimisme et une forte volonté politique seraient en mesure de relancer aujourd'hui le projet européen. Face aux pessimistes, nous voulons faire preuve d'optimisme. Nous pensons que l'Europe représente une réelle opportunité face à la crise économique et financière mondiale et qu'elle peut apporter une véritable plus-value.

Notre présidence se veut modeste et utile. Les priorités de la présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne s'articulent autour de trois grands thèmes : la croissance économique, la sécurité et l'ouverture.

Ces trois priorités sont complémentaires. Il ne peut y avoir de croissance économique sans sécurité et sans ouverture au reste du monde, on ne peut s'ouvrir vers l'extérieur sans croissance et sans sécurité, et la sécurité dépend aussi de la croissance économique et des relations avec l'extérieur.

La première priorité porte sur l'intégration européenne en tant que source de croissance économique. Face à une situation économique et budgétaire très difficile, nous sommes convaincus que l'Union européenne, qui représente le plus grand marché et la première puissance commerciale, pourrait jouer un rôle de levier pour stimuler la croissance économique en Europe. Il nous semble en effet qu'une action au niveau européen peut avoir des effets d'économie d'échelle par rapport à des actions nationales.

Il nous faut tout d'abord remettre de l'ordre dans nos finances publiques, car c'est la condition de la confiance. L'Union européenne a tiré les conséquences de la crise financière : de nouveaux modes de gouvernance économique ont été mis en place, ainsi que de nouveaux outils, comme le mécanisme européen de stabilité, qui vise à éviter une éventuelle répétition de ces crises.

Nous pensons cependant qu'il faudrait maintenant passer à l'étape suivante et élaborer un nouveau modèle de croissance, qui permettrait à l'Union européenne de bénéficier dans les prochaines décennies d'une croissance économique suffisante pour assurer le bien-être de ses citoyens. Si l'Union européenne veut rester compétitive à l'échelle mondiale, elle ne peut pas se contenter de réformer ses finances publiques et de limiter les déficits budgétaires, mais elle doit impérativement engager des actions en faveur de la croissance.

L'achèvement du marché unique permettrait ainsi de réaliser des gains importants en termes de croissance économique, évalués jusqu'à 3 ou 4 % du PIB selon le rapport Monti.

Afin d'achever le marché unique, la Pologne souhaite, avec la Commission européenne, mettre l'accent, par exemple, sur la levée des obstacles au commerce électronique intra-communautaire, en supprimant les barrières nationales, techniques, administratives, juridiques ou financières, qui empêchent les opérations commerciales, comme les achats sur Internet entre les Etats membres.

La levée de ces obstacles, qui faciliterait la vie quotidienne des 500 millions de citoyens européens, aurait notamment un impact important pour les petites et moyennes entreprises.

La deuxième priorité concerne la sécurité. Même si la dimension militaire ne représente qu'un des aspects de la sécurité, je commencerai par ce sujet, qui nous tient particulièrement à coeur, à nous Polonais, comme à vous Français.

Quelles sont les raisons qui expliquent l'importance qu'attache la Pologne à l'Europe de la défense ? Je distinguerai trois raisons principales.

Tout d'abord, nous assistons au commencement d'un repli stratégique des Etats-Unis du continent européen, qui fait que l'Europe devra être en mesure d'assurer de plus en plus sa défense dans le futur.

Ensuite, dans un contexte marqué par une réduction sensible des budgets de la défense en raison de la crise, à l'exception notable de la Pologne, il est évident que ces réductions budgétaires devraient entraîner une coopération et des mutualisations accrues au niveau européen afin d'éviter les doubles emplois.

Comment expliquer, en effet, le nombre très élevé de projets industriels d'armement menés par les Etats membres et qui sont en concurrence ? Nous considérons qu'il serait souhaitable d'identifier quelques grands projets industriels en matière d'armement qui devraient être menés en commun et qui pourraient faire avancer la coopération industrielle en matière de défense au niveau européen.

La présidence polonaise souhaite donc travailler avec l'agence européenne de défense pour identifier certains projets présentés par des groupes d'Etats membres, procéder à une sélection d'ici la fin de l'année, et dégager quelques projets prioritaires au niveau européen.

Enfin, alors que j'entends encore souvent dire en France que la Pologne ne voit pas la politique de sécurité et de défense en dehors des Etats-Unis et de l'OTAN, je dois vous dire que l'évolution majeure de l'attitude de la Pologne à l'égard de l'Europe de la défense, ces cinq dernières années, a été facilitée par la décision courageuse du Président de la République française du retour de la France au sein du commandement intégré et des structures de l'OTAN. En effet, cette réintégration pleine et entière de la France au sein de l'OTAN a permis de lever le doute sur l'ambiguïté de la position française concernant les objectifs de la défense européenne, souvent perçue comme étant dirigée contre l'OTAN.

Les ministres des affaires étrangères et de la défense des pays du triangle de Weimar, c'est-à-dire la France, l'Allemagne et la Pologne, ont écrit une lettre à la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton, afin de lui proposer une relance de la politique de sécurité et de défense commune, autour de quatre thèmes : le renforcement des capacités de planification et de conduite des opérations, le développement capacitaire, le développement des groupements tactiques et l'approfondissement de la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN. Cette lettre, dont nous attendons la réponse, constitue la « feuille de route » de la présidence polonaise en matière de politique de sécurité et de défense commune. A cet égard, le triangle de Weimar représente le meilleur cadre pour le renforcement de l'Europe de la défense.

La Pologne figure parmi les pays qui ont une forte volonté de renforcer la politique de sécurité et de défense et qui consacrent une part importante de leur budget à la défense, puisque la part du budget consacré à la défense se situe en Pologne à 1,95 % du PIB, soit à un niveau proche du seuil de 2 % recommandé par l'OTAN, ce qui représente une exception en Europe, avec le Royaume-Uni, la France et, encore jusqu'à présent, la Grèce.

Toutefois, il ne faut pas s'attendre, dans ce domaine, à des miracles sous la présidence polonaise. En effet, les premières consultations que nous avons menées avec les différents Etats membres, ces trois derniers mois, montrent qu'il n'existe pas aujourd'hui de volonté unanime d'avancer en matière de défense européenne.

Ainsi, le ministre polonais des affaires étrangères voulait aller très loin dans ce domaine et mettre en place la « coopération structurée permanente » prévue par le traité de Lisbonne, qui permet aux Etats qui le souhaitent et qui répondent à certains critères, d'aller plus loin en matière de défense, mais nous avons dû finalement y renoncer dans l'immédiat devant les fortes réticences de plusieurs pays membres. Ceux-ci veulent d'abord voir ce que l'on peut faire à vingt-sept avant d'envisager une coopération limitée à un groupe d'Etat. Sous présidence polonaise, plusieurs séminaires thématiques devraient être organisés et élaborer une série de recommandations.

Parmi les priorités de la présidence polonaise, en matière de défense, figure le renforcement des capacités de planification et de conduite des opérations, et notamment l'amélioration de la gestion civile des crises, à la lumière de l'expérience de la crise libyenne, qui pourrait peut-être donner lieu à une mission humanitaire européenne, après la phase militaire de l'opération de l'OTAN.

Nous soutenons aussi l'idée d'un quartier général européen, mais comme vous le savez, cette proposition se heurte toujours à de fortes oppositions de certains Etats membres.

Nous souhaiterions également développer les groupements tactiques, sur le modèle du groupement tactique des pays du triangle de Weimar, afin qu'ils puissent servir de réserve opérationnelle pour les interventions de l'Union européenne.

En matière de politique étrangère, et en particulier les relations avec la Russie, je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir mentionné la tribune conjointe que j'ai co-signée avec mon ami, l'ambassadeur de Russie en France, et qui n'est que le reflet de la position de nos deux pays.

Aujourd'hui, la Pologne, rassurée par sa position en Europe, apaisée dans sa politique intérieure et extérieure, est désireuse de renforcer ses relations avec la Russie. Et, nous savons que, malgré les difficultés qui subsistent, cette volonté est également partagée par la Russie. Cette volonté de renforcer la coopération entre l'Europe et la Russie, face à des défis communs, nécessite un certain temps de maturation, mais constitue une nécessité, car l'Europe et la Russie ne peuvent pas être considérées comme des adversaires, mais comme des partenaires l'une de l'autre, dont la coopération a vocation à se renforcer à l'avenir.

Pour la Pologne, ce rapprochement avec la Russie représente un choix stratégique et, dans le même temps, un défi comparable à la réconciliation franco-allemande. Toutefois, il est indispensable, car il permettra de renforcer à la fois la sécurité de la Pologne et sa position au sein de l'Union européenne.

Le fait que la Russie soit entrée dans une période électorale, avec l'approche des élections législatives de décembre et des élections présidentielles de 2012, ne facilite pas les choses, et il ne faut pas s'attendre à des avancées spectaculaires sous notre présidence, mais la Pologne s'efforcera d'encourager le renforcement des relations entre l'Union européenne et la Russie sur le long terme.

Le Président de la République de Pologne, Bronislaw Komorowski, a déclaré récemment que la Russie devrait, à l'avenir, avoir la même place, pour la Pologne, que l'Allemagne, et que la Russie occupe déjà une place comparable à la France en Pologne, notamment sur le plan économique.

Je voudrais également dire un mot du partenariat oriental. Ce n'est pas un exercice anti-russe puisque nous nous efforçons, dans le même temps, de renforcer les relations entre l'Union européenne et la Russie. A l'image de ce que la France a proposé pour les pays de la rive Sud de la Méditerranée, la Pologne souhaite mettre en place un processus pour favoriser les échanges entre l'Union européenne et ses voisins orientaux, afin de soutenir la croissance, la transition interne de ces pays et leur développement. Nous voulons aussi développer la coopération régionale, mais aussi la diffusion des valeurs européennes. Il n'y a donc pas de différence, dans notre esprit, entre la politique de voisinage au Sud et à l'Est, mais une politique unique de voisinage, qui s'efforce de favoriser la paix et la stabilité aux frontières de l'Union européenne.

En conclusion, je voudrais dire que la Pologne fonde beaucoup d'espoirs sur le triangle de Weimar. Nous sommes convaincus que le triangle de Weimar constitue une réponse à un certain manque de volonté politique et à l'affaiblissement de la construction européenne. Dans l'Europe à douze ou à quinze, le couple franco-allemand jouait le rôle de moteur de la construction européenne. Aujourd'hui, dans l'Europe élargie, le moteur franco-allemand semble insuffisant pour permettre à l'Union européenne d'avancer et il semble manquer un troisième rouage à ce moteur, qui pourrait être la Pologne. Telle est en tout cas la volonté de la Pologne.

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