Intervention de Danièle Linhart

Mission d'information sur le mal-être au travail — Réunion du 17 février 2010 : 1ère réunion
Audition de Mme Danièle Linhart sociologue du travail directrice de recherche au centre national de la recherche scientifique cnrs

Danièle Linhart :

a souligné le rôle central du management : l'organisation interne des entreprises a été modifiée, à compter du milieu des années soixante-dix, pour répondre au rapport de force issu de mai 1968, qui était défavorable au patronat ; les employeurs se sont efforcés d'« atomiser » la classe ouvrière, de briser les collectifs en individualisant le travail. Il était difficile pour les salariés et leurs syndicats de s'opposer à cette évolution car elle s'appuyait sur l'aspiration, alors répandue, à une plus grande autonomie et à une plus grande capacité d'initiative individuelle. Le rapport du salarié à sa hiérarchie a donc été personnalisé, au travers par exemple de rendez-vous individuels d'évaluation.

Les formes d'organisation d'origine taylorienne, efficaces pour contrôler le travail des salariés, ne répondent plus aux exigences actuelles de qualité et de réactivité de la production, qui supposent une implication des salariés. Ceci aboutit à la création de formes d'organisation du travail hybrides, qui conservent des contraintes dans une logique taylorienne mais font également appel à la subjectivité des salariés. Ces formes d'organisation sont fragiles en ce qu'elles aboutissent à sous-traiter à chaque salarié l'organisation de son propre travail. Elles favorisent une homogénéisation de la situation des salariés à tous les niveaux de la hiérarchie, puisque les cadres ont des objectifs de plus en plus nombreux à atteindre et que les salariés moins qualifiés ont de plus en plus d'éléments à gérer.

Que ce soit dans le secteur public ou privé, dans les grandes ou les petites entreprises, on cherche à mettre les salariés en situation d'insécurité permanente et de précarisation subjective, dans le but de leur faire donner toujours le meilleur d'eux-mêmes. Le jeu des réformes et des réorganisations successives aboutit à un désapprentissage permanent et à l'obligation constante de faire ses preuves pour démontrer son employabilité. Le changement est devenu une valeur en soi, qui a remplacé celle de progrès.

Les managers de niveau intermédiaire sont fréquemment mutés pour éviter qu'ils nouent des liens affectifs avec leurs subordonnés. Dès lors, ils n'ont pas le temps de connaître le métier de ceux qu'ils encadrent et ne peuvent leur fixer des objectifs raisonnables. De même, ils sont incapables de reconnaître à leur juste valeur les efforts fournis par les salariés pour atteindre les objectifs fixés. Les salariés ont alors l'impression d'être abandonnés et de ne pas être écoutés alors qu'ils ont besoin de se sentir valorisés.

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