Intervention de Fabienne Keller

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 mai 2006 : 2ème réunion
Union européenne — Droit communautaire de l'environnement - communication

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller, rapporteur spécial :

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial, a présenté les conclusions de son contrôle effectué en application de l'article 57 de la LOLF portant sur les enjeux budgétaires liés au droit communautaire de l'environnement.

Après avoir exposé sa démarche et les auditions qu'elle avaient menées, elle a rappelé que ce contrôle trouvait son origine dans l'examen des crédits de l'écologie et du développement durable figurant dans le projet de loi de finances pour 2006, qui faisaient apparaître des provisions pour frais de contentieux liés à l'application du droit communautaire, à hauteur de 909.331 euros.

Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, elle a indiqué qu'environ 85 % du droit de l'environnement français avait une origine communautaire, ce qui avait un impact important sur le budget de l'écologie. Elle a souligné que la mise en oeuvre de Natura 2000 mobilisait ainsi, en 2006, 40 millions d'euros en autorisations d'engagement et 25,4 millions d'euros en crédits de paiement, tandis que dans le domaine de la politique de l'eau, la mise en place des directives communautaires représentait près de 40 % des moyens d'engagement des agences de l'eau sur la période 2003-2006, soit près de 3,2 milliards d'euros.

a indiqué que les sanctions pécuniaires liées à la non-application du droit communautaire de l'environnement représentaient une « épée de Damoclès » budgétaire pour la France. En effet, elle a rappelé que l'article 226 du traité instituant la Communauté européenne prévoyait les solutions à la disposition de la Commission européenne en cas de manquements des Etats membres à leurs obligations communautaires. Elle a précisé que l'article 228 du même traité fixait la procédure en cas de non-exécution des arrêts de la Cour de justice des communautés européennes, celle-ci pouvant alors infliger à l'Etat membre le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte. Elle a observé que la Grèce fut ainsi condamnée à des sanctions pécuniaires en 2000, l'Espagne en 2003, puis la France en 2005 et en 2006.

Elle a ensuite détaillé l'important arrêt rendu le 12 juillet 2005 par la Cour de justice des communautés européennes à l'encontre de la France dans l'affaire dite des « Poissons sous taille ». Après avoir rappelé que la Cour de justice exerçait en matière de sanctions pécuniaires un pouvoir de pleine juridiction et qu'elle ne se sentait pas liée par les propositions de la Commission, elle a noté qu'elle avait interprété de manière extensive l'article 228 du traité instituant la Communauté européenne en condamnant la France à payer à la fois une somme forfaitaire (20 millions d'euros) et une astreinte (57,8 millions d'euros par période de six mois). Elle a précisé que cet arrêt avait conduit à une prise de conscience des enjeux au sein de l'administration française et que le paiement de ces sanctions pécuniaires avait été ventilé entre cinq ministères.

a noté qu'à la suite de cet arrêt, la Commission européenne avait revu, dans un sens plus restrictif, sa doctrine relative aux sanctions en cas de non-application des arrêts de la Cour de justice par les Etats membres. Elle a, en particulier, relevé la décision de la Commission de demander systématiquement à l'avenir le cumul d'une astreinte et d'une somme forfaitaire, un montant minimal étant fixé pour chaque Etat membre, ainsi que sa volonté de ne plus se désister en cas de régularisation en cours d'instance.

Elle a indiqué que le commissaire européen chargé de l'environnement lui avait fait part de la préférence de la Commission pour la coopération avec les Etats membres, la voie contentieuse et les sanctions pécuniaires n'étant considérées que comme l'ultime moyen de parvenir à la pleine exécution du droit communautaire.

Elle a estimé, toutefois, que la France se trouvait dans une position difficile, l'environnement étant le premier domaine de risque de sanctions pécuniaires. Elle a précisé que le ministère de l'écologie et du développement durable était directement responsable de 82 procédures précédant un premier arrêt de la Cour et que l'on comptait, en janvier 2006, 14 affaires environnementales à risque (sur 30 au total) au titre de l'article 228 CE, dont 9 relevaient de la responsabilité du ministère de l'écologie, trois de celle du ministère de la santé et deux de celle du ministère de la recherche. Elle a cité, parmi les affaires sensibles, celles concernant les dossiers Natura 2000, la pollution par les nitrates en Bretagne, l'étang de Berre ou l'application de la directive « Eaux résiduaires urbaines ».

Elle a précisé que deux affaires avaient récemment été classées par la Commission, tandis que le ministère de l'écologie avait annoncé le respect des engagements pris sur le dossier Natura 2000, les sites manquants ayant été désignés. Elle a toutefois observé que le coût potentiel des sanctions pécuniaires demeurait élevé, puisqu'il se situait entre 109 millions d'euros et 1,2 milliard d'euros, pour la seule somme forfaitaire, si la clôture des contentieux Natura 2000 était confirmée.

a ensuite analysé les carences des procédures d'élaboration et d'application du droit communautaire de l'environnement.

Elle a relevé que les études d'impact réalisées par la Commission restaient lacunaires, en particulier d'un point de vue budgétaire, même si l'accord inter-institutionnel « Mieux légiférer », passé entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission, y portait une attention particulière. En outre, elle a observé que celles-ci n'étaient pas déclinées à l'échelon national, au moins d'un point de vue budgétaire, et a fait valoir que les ministres et les parlementaires européens n'avaient donc pas toujours conscience de la portée budgétaire, pour les Etats membres, des projets de directive ou de règlement qui leur étaient soumis. Elle a également estimé que l'application différée dans le temps des directives, en raison du délai de transposition, pouvait avoir un effet « déresponsabilisant ».

a noté, par ailleurs, que l'approche gouvernementale des projets de législation communautaire était jugée trop administrative par MM. Michel Barnier et Serge Lepeltier, qu'elle avait auditionnés en leur qualité d'anciens ministres de l'écologie. Elle a relevé que les relations entre le Parlement national et le gouvernement s'étaient accrues au cours des années récentes, la circulaire du Premier ministre du 19 décembre 2005 les ayant encore renforcées en prévoyant, notamment, que les ministres devraient présenter systématiquement les enjeux et les résultats de chaque Conseil des ministres européens. Enfin, elle a observé que les relations avec le Parlement européen demeuraient encore insuffisantes, alors que la procédure de codécision s'appliquait dans ce domaine.

S'agissant de la transposition des directives, elle a précisé que, d'une manière générale, la France se situait en « milieu de tableau » : 15e sur 25, au 8 mars 2006. Elle a relevé que de réels efforts avaient été accomplis au cours des dernières années, en raison de l'implication forte du Premier ministre d'alors, M. Jean-Pierre Raffarin : le stock de directives environnementales à transposer au 1er janvier était ainsi revenu de 28 en 2002 à 23 en 2003, 2004 et 2005 puis à 13 en 2006 (dont 9 en retard de transposition). Elle a noté que le ministère de l'écologie et du développement durable s'était doté d'une « task force juridique » pour faire face à cet enjeu, ce qui permettait à la ministre de l'écologie et du développement durable de considérer que le risque financier lié au retard de transposition des directives devrait être « quasi nul ».

a indiqué que, selon le commissaire européen chargé de l'environnement qu'elle avait rencontré lors de son contrôle, la France devait mieux gérer le délai de transposition, et a observé que la stratégie de négociation de dernière minute pour retarder les échéances avait gravement porté atteinte à la crédibilité de la France auprès de la Commission.

Elle a souligné que le pilotage de l'application et la coordination interministérielle devaient être renforcés, le ministère de l'écologie et du développement durable restant un « petit ministère », dépendant d'autres ministères pour la mise en oeuvre des actions par les services déconcentrés. Elle a également estimé que l'éclatement des polices de l'environnement (24 au total) ne favorisait pas le respect des obligations communautaires. En outre, elle a observé que le ministère de l'écologie et du développement durable n'était pas toujours chef de file sur les sujets environnementaux.

Par ailleurs, Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial, a noté que l'Etat était responsable devant les institutions communautaires de la mise en oeuvre des règlements et directives, mais que certaines décisions dépendent des collectivités territoriales. Elle a fait mention de la suggestion de Mme Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable, d'examiner les possibilités, pour l'Etat, de prévoir l'inscription de pénalités au sein du budget des collectivités territoriales, lorsque des manquements leur sont imputables. Elle a estimé que cette solution appelait une très grande réserve, dans la mesure où les collectivités territoriales n'étaient que peu associées au processus décisionnel.

A l'issue de ce constat, elle a jugé que la prise de conscience des enjeux était aujourd'hui réelle, mais que l'on « payait les défaillances passées ». Elle a ainsi considéré que le dispositif de suivi du droit communautaire de l'environnement devait être revu pour être rendu plus efficace, ce qui nécessitait de mener plusieurs actions :

- sensibiliser davantage les agents publics à l'importance du droit communautaire dans le domaine de l'environnement et accroître, de manière générale, leur « culture communautaire » ;

- se saisir très en amont des dossiers, dès les livres verts et livres blancs, plusieurs personnalités auditionnées lors de son contrôle ayant relevé la faiblesse de la France sur ce point ;

- disposer d'études d'impact juridiques, mais également budgétaires ;

- utiliser pleinement le délai de transposition et « banaliser » les transpositions de directives, en prévoyant des rendez-vous réguliers pour cela ;

- renforcer la coordination interministérielle et le pilotage, alors que le ministère de l'écologie et du développement durable est largement dépendant d'autres ministères pour l'application des mesures sur le terrain ;

- simplifier l'organisation des polices de l'environnement ;

- assurer, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), un suivi systématique des actions entreprises par le ministère de l'écologie et du développement durable pour traiter les dossiers faisant l'objet de litiges.

a également estimé qu'il faudrait développer à l'avenir une approche plus politique des dossiers européens, ce qui impliquait :

- de renforcer la place du Parlement national au sein du processus d'élaboration des textes communautaires ;

- de fortifier les relations entre le gouvernement, le Parlement national et le Parlement européen, afin d'établir de véritables relations de travail entre ces trois acteurs ;

- d'associer davantage les collectivités territoriales au processus de décision, le Sénat pouvant jouer, pour cela, un rôle majeur ;

- de développer une analyse coûts/bénéfices des mesures communautaires de l'environnement.

Au total, Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial, a considéré que l'enjeu était bien de « changer de culture », pour prendre la mesure de l'importance de l'Union européenne dans le domaine de l'environnement. Elle a souligné qu'il s'agissait d'une nécessité pour restaurer la crédibilité de la France dans ce domaine, aujourd'hui très entamée.

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