Intervention de Jean Chapelot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 8 décembre 2010 : 1ère réunion
Archéologie préventive — Audition de M. Jean Chapelot directeur de recherche au centre national de la recherche scientifique cnrs de M. Dominique Hoestland administrateur de l'institut national de recherches archéologiques préventives inrap et ancien président de l'union nationale des industries de carrières et matériaux de construction unicem de M. Bertrand deSmarest dirigeant de la carrière desmarest et de Mme Maud Tarnot chargée des relations institutionnelles auprès de la direction générale de l'unicem

Jean Chapelot, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique :

Je travaille dans l'archéologie médiévale depuis une quarantaine d'années, lorsque Fernand Braudel m'avait recruté comme l'équivalent de ce qui est aujourd'hui un ingénieur d'études et je suis également devenu un spécialiste des sites archéologiques coloniaux français en Amérique du Nord. Dans ma carrière, j'ai également occupé des fonctions administratives au ministère de la recherche, puis au ministère de la culture, comme sous-directeur de la recherche et de l'archéologie. Je vous donnerai donc le point de vue d'un chercheur, avec à mon actif plus de 200 ouvrages et articles publiés, mais aussi celui d'un responsable administratif.

Les archéologues, d'abord, sont tributaires de l'autorisation de fouiller qu'on leur accorde et l'intervention du législateur, depuis le début des années 2000, leur a été très précieuse pour pouvoir intervenir sur des terrains qui ne leur appartiennent pas et s'insérer dans des opérations d'aménagement : nos archives ne sont pas stockées à l'abri, à la disposition des chercheurs, comme celles des historiens.

L'archéologie sur notre sol est récente. En 1972, j'ai ouvert à Paris l'enseignement de l'archéologie médiévale rurale, qui n'existait jusqu'alors qu'à Caen et à Aix-en-Provence et la protohistoire n'a été enseignée à la Sorbonne qu'à partir de 1970. Notre législation en la matière est tardive : les Américains et les Canadiens ont légiféré dès les années 1960, nous avons signé la convention de Malte en 1992, nous l'avons promulguée en 1995 et notre première loi relative à l'archéologie préventive date de 2000. Longtemps, la communauté scientifique s'est donc polarisée sur la question de la destruction des sites.

Depuis dix ans, la situation a profondément changé. Nous avons, d'abord, obtenu un accroissement sensible de nos moyens. En 1999, le budget de l'association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN) s'élevait à 60 millions d'euros, pour 1 250 équivalents temps pleins ; l'INRAP, qui lui a succédé, disposait en 2009 de 150 millions, pour 2 100 équivalents temps pleins et le secteur, avec les 60 services des collectivités territoriales et les 20 entreprises agréées, disposait de 230 à 240 millions, pour 3 600 emplois : les moyens ont donc quadruplé en dix ans. Les emplois, cependant, ont changé : nous sommes passés d'équipes formées de professeurs qui fouillaient avec leurs étudiants, à des équipes professionnalisées, avec des gestionnaires, des topographes et divers corps de métier. Dans l'archéologie médiévale, les emplois ont doublé, mais la proportion de docteurs reste faible : 25 docteurs, sur un ensemble de 300 emplois, alors que l'on compte environ 150 docteurs de cette discipline à l'Université et au CNRS. L'archéologie préventive dans son ensemble compte peu de docteurs : moins de 100, sur 2 200 emplois. On constate donc un déséquilibre entre l'INRAP d'un côté, et l'Université et le CNRS, de l'autre.

Depuis une dizaine d'années aussi, le ministère de la culture n'informe plus la communauté scientifique du nombre, de la localisation, et a fortiori du contenu des fouilles réalisées. On estime que 2 300 à 2 500 fouilles ont été réalisées en dix ans. Le dernier bilan complet date de 1991. Pour l'Ile-de-France, la moitié à peine des fouilles ont fait l'objet d'un bilan depuis 1998. En 2004, le ministère de la culture a demandé un bilan décennal pour la période 1995-2004 : six ans plus tard, seules trois régions ont répondu, pour ce qui est de l'archéologie médiévale.

Dans ces conditions, nous ne savons pas quoi prescrire et ce qui nous manque est moins une carte archéologique qu'un état des recherches déjà conduites. Cette connaissance des études réalisées nous aiderait à identifier les recherches les plus utiles, les sites à surveiller, les questions déjà élucidées. Au lieu de quoi, l'archéologie préventive actuelle est aléatoire et nécessairement coûteuse.

En réunissant des données encore inédites, je voudrais vous présenter la situation plus en détail (M. Chapelot distribue des dossiers). Les entreprises et les services agréés des collectivités territoriales, d'abord, sont très inégalement répartis sur notre territoire. Le syndicat national des professionnels de l'archéologie, ensuite, évalue à 400 le nombre d'emplois créés par les 20 entreprises agréées, qui ont réalisé 123 fouilles en 2009, contre 228 pour l'INRAP. L'Association nationale des archéologues de collectivités territoriales, de son côté, ne nous a pas encore communiqué ses statistiques.

L'Institut national réalise moins de la moitié des fouilles. Certains services de collectivités territoriales sont très importants. Le pôle archéologique interdépartemental rhénan, par exemple, compte 75 salariés et réalise le tiers des fouilles sur son territoire. La direction archéologique de l'agglomération de Douai, quant à elle, compte 95 salariés et réalise l'intégralité des fouilles de son secteur géographique. Et ces services des collectivités territoriales ne rencontrent pas de problèmes de financement : la redevance leur convient.

Le nombre de diagnostics et de fouilles réalisés par l'INRAP diminue mais les surfaces augmentent : les sites compris entre 10 et 100 hectares sont les plus courants, ce qui signifie également que des sites plus petits ne sont pas étudiés. Les fouilles de sites médiévaux ruraux suivent la même tendance, et le nombre de sites d'ateliers potiers a même été divisé par quatre entre 1988-1992 et 2003-2007.

Enfin, la part de l'INRAP dans les publications est faible. Sur les 168 ouvrages d'archéologie médiévale publiés entre 1999 et 2008, seuls 11 ont été écrits par des chercheurs de l'INRAP, dont 5 sont des thèses. Ceci, alors que l'archéologie médiévale française peine à fournir suffisamment de recherches pour une publication comme la Revue d'archéologie médiévale.

Comment en sortir ? Il convient de mettre les textes en conformité avec la réalité : la réglementation date des années quatre-vingt dix ! Il est temps d'adapter la législation sur deux points essentiellement, le bâti et la protection des sites. On peut fouiller les fondations d'une maison du XVe siècle mais non l'élévation, c'est un paradoxe. En 2000, un député avait présenté un amendement pour empêcher l'aménagement des sites qui s'avèrent remarquables. Le secrétaire d'État de l'époque l'avait refusé, au motif que le nouvel établissement subirait une baisse de recettes. La meilleure archéologie préventive est celle qui ne fouille pas... A Angers, on a découvert un temple de Mithra exceptionnel : à l'issue de la fouille, on l'a détruit, faute de moyens pour le protéger. La vision d'une archéologie opportuniste et préventive imposée doit laisser place à une démarche claire. Il n'existe aujourd'hui aucun lieu de discussion entre les archéologues, les aménageurs et les élus, à l'exception du conseil d'administration de l'INRAP, dont ce n'est pas la fonction, et la commission du FNAP. Le ministre de la culture n'a jamais organisé la réflexion.

J'ai proposé récemment au ministre un colloque national qui soit l'occasion de replacer le ministère de la culture au centre du jeu. Il est le seul service public archéologique ! A lui de faire un bilan chiffré, un bilan intellectuel, de réinsuffler de l'énergie dans les régions. Je préconise de rendre au ministère de la culture, mais aussi à celui de la recherche, la place centrale. Le ministère de la recherche ne s'est jamais engagé, pour diverses raisons historiques. Un colloque national sur le métier d'archéologue et sur le cadre législatif serait utile : le rôle des ministères est passé au second plan parce que l'on se souciait d'abord des problèmes financiers de l'archéologie préventive. Je travaille au Château de Vincennes. J'ai effectué des fouilles jusqu'en 2007 avec l'INRAP, je suis l'un des rares de ma génération à avoir fait des fouilles préventives...

L'archéologie préventive, ce n'est pas seulement l'INRAP, et l'archéologie, ce n'est pas seulement la prévention.

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