a d'abord rappelé le contexte dans lequel les négociations interprofessionnelles sur la pénibilité ont débuté à la fin de l'année 2004. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites invitait en effet les partenaires sociaux à engager, avant le 22 août 2006, une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité. Les séances de négociation entre les partenaires sociaux ont été axées autour de trois questions : qu'est-ce que la pénibilité ? Comment la prévenir ? Comment la compenser ou la réparer ? Après trois ans et demi de débat, les négociations se sont soldées par un échec en juillet 2008.
L'absence d'accord ne signifie pas que les partenaires sociaux n'ont réussi à s'entendre sur aucun de ces sujets, bien au contraire. Ainsi, sur les questions de la définition et de la prévention, une position unanime a pu être dégagée. Sur la définition de la pénibilité tout d'abord, les partenaires sociaux sont arrivés à la conclusion que la pénibilité résulte de conditions de travail qui laissent des traces durables et irréversibles sur la santé et l'espérance de vie d'un travailleur. Elle ne doit donc pas être confondue avec d'autres notions qui peuvent lui sembler proches comme les accidents du travail, les maladies professionnelles, la violence, le harcèlement ou le stress. Cette définition présente néanmoins trois difficultés :
- elle pose la question de l'appréciation objective de la pénibilité. Autrefois, la pénibilité résultait en effet du constat objectif d'atteintes portées à l'intégrité physique du travailleur. Or, aujourd'hui, se développent de nouvelles formes de pénibilité - comme les atteintes psychiques - qui rendent très complexe son objectivation ;
- elle se heurte aux difficultés de mesure de l'espérance de vie de chaque individu ;
- elle soulève le problème de la responsabilité juridique des entreprises dans la mise en place de conditions de travail difficiles.
Au-delà de la définition de la pénibilité, les partenaires sociaux ont réussi à s'entendre sur l'identification de ses principales causes. Ils en ont identifié quatre : l'existence de contraintes physiques (exigences de posture, port de charges lourdes, bruit intense...) ; le rythme ou la cadence de travail imposés (horaires alternés ou atypiques, travail de nuit, travail à la chaîne...) ; l'exposition à des agents toxiques ; les risques psychosociaux (harcèlement, isolement, absence de solidarité...). Le plus souvent, la pénibilité résulte d'un cumul de ces facteurs.
Sur la prévention ensuite, les partenaires sociaux sont parvenus à formuler plusieurs propositions communes : une meilleure formation des managers aux questions liées à la pénibilité et aux conditions de travail, une refonte du document unique de prévention et d'évaluation des risques professionnels, une réforme de la médecine du travail, une collaboration plus étroite avec l'ensemble des partenaires institutionnels concernés par le sujet. Les négociations sur le volet prévention ont toutefois achoppé sur la question du renforcement du rôle des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il est vrai que ces instances fonctionnent assez mal pour diverses raisons : faible implication des chefs d'entreprise, mode de désignation des membres discutable, mauvaise formation de ces derniers aux questions de santé au travail, etc. Par ailleurs, certaines entreprises sont dépourvues de CHSCT alors que la loi les oblige à en mettre en place. Actuellement, plus de 30 % des entreprises de plus de cinquante salariés n'en sont pas dotées. Sur cette question, deux camps s'affrontent : d'un côté, les organisations syndicales plaident pour une extension des pouvoirs du CHSCT, une meilleure formation de ses membres aux problématiques de santé au travail, un renforcement de son budget ; de l'autre, le patronat se montre réticent à l'idée d'accroître les pouvoirs des représentants de salariés au sein du CHSCT mais approuve la nécessité d'améliorer la formation de ses membres. Depuis peu, on observe néanmoins une évolution de la position du patronat sur ces sujets.
L'échec des négociations résulte avant tout de l'absence d'accord sur le volet compensation ou réparation de la pénibilité qui comporte trois questions : qui a le droit à compensation pour l'exercice d'un travail pénible ? Sous quelles formes la pénibilité doit-elle être compensée ? Comment financer cette compensation ?
Sur ce point aussi, deux thèses s'opposent : d'une part, les syndicats de salariés plaident pour un modèle de compensation collective qui n'est pas accepté par le patronat au motif qu'il ignore les facteurs personnels entraînant une réduction de l'espérance de vie ou un accroissement de la morbidité ; d'autre part, le patronat défend un modèle de compensation individualisée que les syndicats considèrent comme injuste car il dédouane l'entreprise de ses responsabilités dans l'organisation du travail pénible. Sur la question du financement de la compensation et des formes que celle-ci pourrait prendre, force est de constater que le patronat n'a pratiquement rien proposé lors des négociations. Quant aux syndicats de salariés, ils soutiennent l'idée d'un départ anticipé à la retraite en restant cependant très flous sur les sources de financement de cette mesure. Il semble toutefois que, dans leur esprit, les entreprises devront être les principaux financeurs puisqu'elles sont responsables de l'organisation du travail.
Après avoir dressé ce panorama des négociations interprofessionnelles, M. Jean-Frédéric Poisson a estimé que les avancées obtenues sur la définition de la pénibilité, l'identification de ses causes et les moyens de la prévenir doivent utilement servir aux négociations sur les retraites qui vont s'ouvrir dans les prochaines semaines. Assurément, la prise en compte de la pénibilité constitue, pour les organisations syndicales, une contrepartie à une nouvelle réforme du système de retraite qui pourrait se traduire par un allongement de la durée de cotisation et/ou par un report de l'âge légal de départ à la retraite.
A l'heure où l'on tend à mettre progressivement fin aux régimes spéciaux, il faut veiller à ce que le dossier de la pénibilité n'aboutisse pas à la création d'un nouveau régime spécial. Ce risque semble pour l'instant écarté dans la mesure où le Premier ministre en a rejeté catégoriquement l'éventualité. Ceci ne résout pas pour autant le problème de la prise en compte de la pénibilité auquel il est indispensable d'apporter des solutions. L'une d'entre elles pourrait consister en l'ouverture d'une possibilité de réduction de temps de travail en fin de carrière ou de départ anticipé à la retraite, mesures qui seraient financées à la fois par les entreprises et la collectivité. Recourir à un système de compensation purement collectif n'est pas souhaitable car cela reviendrait à nier l'influence des facteurs individuels. En outre, le coût financier serait très lourd puisqu'il faudrait indemniser tous les salariés exposés à au moins un facteur de pénibilité, soit entre 20 et 28,6 millions de personnes. Seule une prise en compte individuelle de la pénibilité est donc envisageable. Celle-ci suppose toutefois que les circonstances professionnelles à l'origine de la pénibilité au travail soient appréciées de manière pluridisciplinaire et paritaire. Une telle procédure n'est pas évidente à mettre en place.
a enfin mis en garde contre un argument régulièrement utilisé dans le débat sur la pénibilité qui consiste à dénoncer les écarts d'espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles, notamment entre les ouvriers et les cadres. Même si cet argument est fondé, il donne à croire que l'objectif est de tendre vers une égalisation des espérances de vie de l'ensemble des travailleurs, ce qui est impossible. En outre, il accrédite la thèse selon laquelle seul un modèle de prise en charge collective permettrait de compenser ce type d'inégalité.