Je travaille sur ces notions depuis le vote des lois de bioéthique de juillet 1994. Le législateur avait alors fait oeuvre novatrice, instaurant quelque chose à la place de rien. La bioéthique à la française prenait naissance, fondée en particulier sur l'anonymat et la gratuité du don, sur la non-patrimonialité des conventions prenant le corps humain pour objet.
Quinze ans plus tard, alors que la deuxième grande révision de la législation est en cours, je ne suis pas certaine que cette méthode fondée sur l'affirmation de grands principes demeure opératoire. On pourrait choisir de réfléchir de façon empirique. Par exemple, le principe de la dignité de la personne humaine a enflammé les débats, le législateur de 1994 l'a inscrit dans le code civil, le Conseil constitutionnel lui a donné rang de principe de valeur constitutionnelle. Mais on réfléchit depuis vingt ans sur le refus des soins en fin de vie ou la délimitation des contours de la procréation médicalement assistée, sans progresser, c'est-à-dire en s'enlisant.
Le principe de dignité est ambigu. Le rapport du comité animé par Simone Veil, chargé d'étudier une éventuelle révision du Préambule de 1946, le rapport du Conseil d'Etat sur les moyens juridiques d'interdire le port du voile intégral ont souligné l'ambivalence du principe de dignité, qui peut se comprendre dans deux acceptions contradictoires. L'individu peut l'opposer aux tiers et à la société pour obtenir un droit ; mais la société et les tiers peuvent imposer une certaine lecture de la dignité, qui limite alors la liberté individuelle. Le comité Veil avait estimé urgent de ne pas constitutionnaliser le principe et de n'envisager que la notion d'égale dignité. J'en suis moi aussi convaincue. Mieux vaut partir du problème à résoudre plutôt que des grands principes.
Le projet de loi maintient l'interdiction de la recherche sur l'embryon, avec dérogations pérennes. Mais pourquoi appliquer un principe d'interdiction quand on vise à autoriser cette recherche, en raison des promesses thérapeutiques qu'elle recèle et de la nécessité pour la France d'être dans la course internationale ? Le Conseil d'Etat estime que l'interdiction avec dérogations et l'autorisation sous conditions reviennent au même. A un élément important près : la visibilité internationale du dispositif. La recherche sur les cellules souches mobilise dans le monde des sommes énormes, un nombre considérable de chercheurs, et la médecine régénérative suscite une très forte attente dans des sociétés vieillissantes. L'interdiction avec dérogations pérennes manque son but : les chercheurs se déplacent, ils s'installent dans l'environnement le plus favorable, y compris juridiquement, à leur activité. Or notre droit n'offre pas suffisamment de sécurité ni de visibilité. Le rapport Leonetti reconnaît que ce système est mal compris à l'étranger.