Intervention de Axel Kahn

Commission des affaires sociales — Réunion du 2 mars 2011 : 1ère réunion
Bioéthique — Audition de M. Axel Kahn directeur de recherches à l'institut national de la santé et de la recherche médicale inserm président de l'université paris descartes

Axel Kahn :

La première question est d'un extrême intérêt mais aussi d'une extraordinaire difficulté tant d'un point de vue juridique que philosophique. Le terme de dignité doit être défini car on utilise ce mot sans s'interroger sur sa signification, son histoire, ses sens multiples.

Avec Mme Veil, j'ai fait partie d'un comité chargé de proposer au Président de la République une révision du préambule de la Constitution française et nous avons proposé d'écrire : « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droit ».

Plusieurs sens s'attachent à la notion de dignité.

La dignité, c'est un honneur que l'on acquiert et que l'on peut perdre, lorsqu'on est, par exemple, élevé à la dignité de chevalier de la légion d'honneur.

Pour les stoïciens, être digne, c'est rester impassible dans l'adversité et dans la douleur. On dit d'ailleurs : « Il est resté digne jusqu'à la fin ». C'est bien dans ce sens que le comprend l'association pour le droit à mourir dans la dignité.

La dignité, au sens religieux, c'est celle qui est conférée à la créature privilégiée, créée à l'image de Dieu. Comment serait-il possible que cette créature ne fut pas digne puisqu'elle a hérité d'une étincelle de la divinité ?

Kant a également défini la dignité : l'humanité doit être considérée dans notre personne, comme dans la personne de tout autre, comme une fin et jamais comme un moyen. Il y a des valeurs qui se prêtent à des opérations comptables, et qui ont donc un prix, et il y a une valeur qui n'a pas de prix et que l'on appelle la dignité.

Une des caractéristiques très importante de trois de ces définitions de la dignité est qu'elle est en partie extérieure à la personne. Des autorités extérieures sont opposables à la volonté de la personne. L'Eglise considère ainsi que cette dignité de la créature à l'image de Dieu implique qu'elle ne se comporte pas de façon indigne de cette magnificence dont elle a hérité par la création. Kant estime quant à lui que la dignité de la personne limite considérablement l'usage que toute personne peut faire de son corps. Evidemment, la dignité honorifique implique des droits, mais aussi des devoirs auxquels il convient de se conformer.

Une cinquième définition de la dignité est celle à laquelle on fait appel en droit : il s'agit d'une valeur intrinsèque à la personne, qui ne s'oppose pas à sa liberté. En d'autres termes, aucune définition de la dignité ne peut être opposable à l'expression de la liberté de la personne. Il est donc impossible de discriminer quiconque au nom de la dignité : il ne peut y avoir des êtres d'un rang supérieur à d'autres.

Seule cette dernière notion me semble importante pour le sujet qui nous occupe : toute l'histoire est pleine de décisions judiciaires très problématiques de ce point de vue. La plus célèbre est celle concernant le lancer de nain, qui a été interdit en raison de son atteinte à la dignité. Il s'agit là d'une définition de la dignité qui est extérieure à la personne de cet entrepreneur qui voulait gagner sa vie en servant de projectile. A moins que l'on considère, ce qui n'était pas le cas, que ce nain n'était pas libre de pouvoir refuser : on aurait pu lier à l'état de contrainte économique l'interdiction de cette activité. Il en va de même pour la prostitution.

Juridiquement, la notion de dignité est difficile à définir.

En revanche, la réponse à la question du rapporteur est aisée : dans ma définition de la dignité, je ne peux discriminer quiconque vis-à-vis de l'emploi, de l'assurance ou du droit de vivre en arguant que sa dignité serait insuffisante. Il revient à la personne elle-même de fixer les limites de sa propre dignité. On ne peut donc imposer à une personne des devoirs auxquels elle serait assujettie du fait d'une dignité à laquelle elle devrait déférer. Aucune notion de dignité ne doit ainsi être opposable à l'expression de la volonté d'une personne.

Peut-on se passer de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ? Ces cellules sont prélevées sur un embryon humain de six à sept jours. Il y a dans l'embryon une cavité et, faisant protubérance dans cette cavité, il y a un amas de cellules que l'on prélève et qui peuvent être mises en culture. Ces cellules ne sont pas un embryon, dont la définition est la suivante : état du développement qui, dans des conditions favorables et par lui-même, peut se transformer en un être complet. Or, des cellules souches embryonnaires placées dans l'utérus d'une femme donneraient une tumeur et non pas un bébé. Cependant, ces cellules sont bien évidemment dérivées d'un embryon qui a été détruit.

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