Au-delà des cellules souches embryonnaires, il faut également parler de la recherche sur l'embryon : cette recherche est indispensable si l'on travaille sur le premier stade du développement embryonnaire humain. Pour travailler sur l'adolescence, il faut des adolescents, même chose pour l'âge mûr ou pour la vieillesse. Si l'on veut travailler sur les déterminants du développement embryonnaire et sur les maladies associées, il faut bien évidemment étudier l'embryon.
Souvent, quand on parle de recherche embryonnaire, on a en tête la mise en oeuvre d'une médecine régénératrice, c'est-à-dire la culture de cellules miracles qui permettraient de soigner de nombreuses maladies. Aujourd'hui, il y a des méthodes plus prometteuses que l'étude des cellules souches embryonnaires pour obtenir des cellules régénératrices, notamment les cellules souches induites dont la découverte par un chercheur japonais en 2006 est extrêmement intéressante et a bouleversé la discipline. C'est pourquoi les parlementaires n'auront plus à se pencher sur le clonage thérapeutique, totalement passé de mode dès lors qu'il existe des méthodes beaucoup plus efficaces pour parvenir au même résultat.
Cela étant dit, les cellules souches induites ne permettent pas de travailler sur les premiers stades du développement embryonnaire. Pour lutter contre la stérilité et essayer de comprendre les anomalies du développement, faut-il poursuivre ces recherches ? Il n'y a guère d'autres possibilités. D'ailleurs, depuis longtemps ma conviction est faite : je ne trouve pas qu'il soit possible, même pour des croyants fervents qui considèrent que l'embryon est doté d'une âme dès la fécondation, de s'opposer à la recherche sur l'embryon. La recherche médicale doit s'opérer à tous les âges de la vie humaine et si l'on considère que le premier âge de la vie humaine est l'âge embryonnaire, il serait singulier d'écarter de toute recherche ce stade de développement. Certes, quand on fait une recherche sur un patient, on ne le détruit pas alors que tel est le cas pour la recherche sur l'embryon. Mais il faut rappeler que, naturellement, seul un embryon sur trois fécondés devient un bébé. Je me suis exprimé sur ces questions devant la commission pontificale de bioéthique et devant l'assemblée épiscopale de France : personne ne m'a démontré en quoi ce serait moins reconnaître la singularité de l'embryon humain que de le détruire sans autre forme de procès ou de le laisser dans l'azote liquide, ce qui aboutit au même résultat, plutôt que d'autoriser cette recherche dans des conditions très contrôlées et après que les géniteurs et l'agence de la biomédecine ont donné leur accord. D'ailleurs, chacun sait où nous en sommes actuellement : en 2002, il avait été proposé que la recherche sur l'embryon soit extrêmement contrôlée mais quand Jean-François Mattei est arrivé aux affaires, après le changement de majorité, il s'est trouvé confronté au dilemme suivant : chercheur biologiste de très grand talent, il connaissait l'importance de la recherche sur l'embryon mais catholique très engagé, il était également choqué par la recherche sur l'embryon. Il a donc proposé d'interdire la recherche sur l'embryon... tout en l'autorisant pendant cinq ans. Pour l'instant, le texte propose d'en rester là, ce qui est d'une logique assez singulière. Il serait plus raisonnable d'appréhender le problème dans toutes ses dimensions. Cela vous permettrait de discuter de la valeur et de la singularité de l'embryon, que je ne conteste nullement par ailleurs.
La troisième question portait sur la liberté du consentement pour les donneurs vivants. Nous sommes ici au coeur d'une interrogation de bioéthique. La bioéthique, c'est l'interrogation sur l'action correcte associée à l'obligation de spécifier les valeurs qui la fondent. Savoir si l'on peut ou non tuer son prochain n'est pas une question bioéthique. En revanche, la question de savoir dans quelle condition un donneur vivant peut consentir à ce qu'on lui prélève un organe ou un bout d'organe pour en soigner un autre est un vrai dilemme : d'un côté, les vies que l'on va sauver grâce à ce don et la beauté du don sont des engagements qui nous vont droit au coeur ; d'un autre côté, quelle est la situation d'un donneur vivant dont le génotypage a montré qu'il était le seul donneur de la famille compatible avec un enfant menacé de mort ? Si jamais il refuse de donner son organe, il sera responsable de la mort de cet enfant et le poids du regard des autres peut être écrasant. Peut-on dans ce cas parler d'un consentement libre et éclairé ? Certaines données épidémiologiques montrent que cette question est légitime : il y a une dizaine d'années, les dons de rein d'une femme à son mari étaient deux fois plus importants que les dons inverses, ce qui est d'autant plus curieux que la glomérulonéphrite est beaucoup plus fréquente chez les femmes que chez les hommes ! Nous sommes donc au milieu du gué et il faut trouver une règle pour ne pas dissuader la spontanéité du don tout en ne forçant pas les gens à le faire.
J'en viens à l'anonymat du don de gamètes. Pour faire un embryon, il faut des ovules et des spermatozoïdes. Lorsque les hommes sont stériles, une des solutions est d'utiliser le sperme d'un donneur. Même chose d'ailleurs pour les ovules dont les dons vont sans doute croître à l'avenir. Il y a trente ans, la question ne se posait pas car les Cecos maintenaient l'anonymat et il était presque entendu que les parents ne diraient jamais à l'enfant les conditions de sa naissance. La filiation humaine est double : le sang et le coeur, alors que la filiation animale ne se fait que par le sang. Notre entendement nous permet de léguer des valeurs et de l'amour à un enfant même si l'on n'en est pas le géniteur. Les exemples dans l'histoire sont multiples où cette filiation par l'esprit et par le coeur pallie l'absence de filiation par le sang. Cependant, la société a évolué et il est incontestable que nous assistons dans le monde entier à une marée montante d'un retour aux origines biologiques. Face à cette situation, un généticien comme moi ne peut s'empêcher de sourire : il sait bien que les hommes et les femmes s'attirent et qu'il arrive à des hommes et à des femmes de céder à des avances : avant que le contrôle des naissances n'ait fait des progrès, 10 % des hommes n'étaient pas les pères biologiques de leurs enfants. La notion de vérité des origines nous était totalement étrangère.
Mais un code du droit des enfants a été voté par l'ONU et il indique que tout enfant a droit à la vérité sur ses origines. Les psychiatres et les psychanalystes recommandent aux parents qui recourent à des donneurs de dire aux enfants les conditions dans lesquelles ils ont été conçus. Un enfant qui sait qu'il a été conçu dans ces conditions peut vouloir chercher des informations sur son géniteur : il existe environ cent cinquante cas de ce genre en France. C'est dans ce contexte là que Roselyne Bachelot-Narquin avait proposé qu'on se rapproche de la solution préconisée par Ségolène Royal en 2002 sur une éventuelle levée de l'anonymat des femmes qui accouchent sous X, celles-ci pouvant désormais fournir des informations non identifiantes les concernant et même accepter de rencontrer leurs enfants s'ils en font la demande. Lorsque j'ai parlé de cela devant les députés, j'ai bien vu qu'ils n'étaient pas convaincus par cet intégrisme de la vérité sur les origines et qu'ils n'étaient pas enthousiasmés par la proposition de la ministre de la santé. Quand Xavier Bertrand est arrivé, il a rétabli l'anonymat. L'hypertrophie de l'importance de la vérité des origines ne va pas dans le sens de l'intérêt général. Ce qu'il y a de plus humain dans la filiation, ce n'est pas ce qui passe par le sang.
Vous m'avez enfin interrogé sur l'encadrement des tests génétiques : ce serait extraordinairement difficile à réaliser. Nous sommes incapables de limiter l'accès à l'information. Nous sommes déjà démarchés pour réaliser des tests génétiques et, dans trois ou quatre ans, on nous proposera sans doute de télécharger sur notre portable notre code génétique. Parler d'une limitation de l'accès aux tests génétiques n'a pas beaucoup de sens.
Socrate nous dit « Connais-toi toi-même ». Ce serait une interprétation réductrice de croire que l'on ne peut se connaître soi-même qu'avec son code génétique sur son portable. Plutôt que de limiter l'accès au test, il faut mettre en place un système public de référence d'information sur la signification des données génétiques, car nos concitoyens vont être inondés de propositions. Il faut donc leur permettre de faire valoir leur autonomie. Des experts autonomes et indépendants devront pouvoir dire ce qui est intéressant et ce qui ne l'est pas. Certes, il ne faut pas revenir sur l'interdiction de l'utilisation des tests génétiques pour calculer les polices d'assurance. Mais pour ce qui est de limiter l'accès aux tests génétiques, c'est hors de votre capacité.