Je vais commencer par répondre sur l'embryon : aujourd'hui, les iPS sont beaucoup plus crédibles que le clonage thérapeutique. C'est pourquoi Wilson a abandonné ses recherches. Cela faisait d'ailleurs dix ans que je disais que le clonage thérapeutique était une mystification. La suite des événements m'a donné raison. Mais les iPS ne permettent pas de mener des recherches sur le développement embryonnaire. En outre, on ne peut pas se passer de recherche sur l'embryon, même si celles pratiquées sur les animaux sont utiles. La recherche médicale passe obligatoirement par la recherche sur l'homme.
La loi actuelle ne doit pas être maintenue en l'état parce que la situation est absurde. Il serait vraiment préférable d'indiquer que la recherche sur l'embryon ne peut se faire que dans des conditions particulières, extrêmement encadrées, compte tenu de la singularité et de la valeur que l'on accorde à l'embryon. Il n'est vraiment pas possible d'institutionnaliser un moratoire sur une interdiction : c'est un problème de cohérence. J'ai discuté de cette question avec des orthodoxes et c'est d'autant plus intéressant qu'ils considèrent que l'animation de l'embryon est immédiate. Ils sont dépositaires d'une tradition de certains pères de l'Eglise du deuxième siècle de notre ère et qui considéraient que l'animation était contemporaine de l'orgasme masculin. L'un d'eux estimait même que ce que ressent l'homme à ce moment-là manifestait l'insufflation de l'âme dans l'embryon, ce à quoi Saint Augustin répondait qu'il y avait tellement d'orgasmes non suivis d'embryon qu'il s'étonnait qu'il y ait autant d'âmes qui se promènent dans la nature. Le débat est donc extrêmement ancien. Il m'importe que toute position éthique puisse être fondée sur des valeurs explicites et partagées. Toutes les recherches sur la personne sont encadrées et celles sur l'embryon doivent l'être d'autant plus.
Monsieur Pinton m'a parlé de l'adoption animale : je suis un homme de cheval et j'ai les mêmes expériences que lui. Quand un poulain perd sa mère, on le frotte avec l'urine d'une autre jument ayant pouliné pour le faire adopter. Mais tous ces cas relèvent en réalité d'une erreur de la mère, qui croit avoir affaire à son rejeton biologique, et non d'une adoption par le coeur.
J'en viens au transfert post mortem : faut-il légiférer alors que le nombre de cas est restreint ? L'urgence d'une législation est liée au nombre de cas concernés. Il n'empêche que si l'on veut que la loi de bioéthique soit une loi-cadre, à savoir qu'elle pose des valeurs partagées par l'immense majorité de nos concitoyens, il est important de se référer aux principes. A vous entendre, il y aurait autant de raison à dénoncer une loi le permettant qu'une loi l'interdisant. Il n'empêche que la loi l'interdisant est moralement problématique. Prenons un exemple concret : un couple souhaite un enfant et a recours à une assistance médicale à la procréation. Malheureusement, le conjoint décède. Certes, il faut empêcher que la femme se précipite pour demander un transfert d'embryon, car il y a un temps de sidération affective qui ne permet pas de prendre une telle décision de façon réfléchie. Mais après une période de deuil d'une ou deux années, si cette femme persiste dans sa demande, la situation mérite qu'on y réfléchisse. Certes, l'embryon n'est pas un bien qu'elle a hérité de son mari. Il n'empêche que c'est elle qui a le plus de droits sur cet embryon qui ne lui appartient pas : il procède d'une partie d'elle-même et elle l'a voulu avec cet homme là. Comment justifier que l'Etat s'arroge un droit supplémentaire sur le devenir de cet embryon ? Je ne vois aucun argument d'ordre moral qui puisse justifier cette nationalisation.
J'en arrive à la déperdition de la légitimité des lois de bioéthique : j'ai été un peu déçu par les débats à l'Assemblée nationale. Pour moi, la loi idéale ne devrait pas être révisée tous les cinq ans. Soit on considère qu'elle doit tout prévoir, et elle sera toujours en retard d'une guerre ou d'un métro, soit les bases de la pensée morale doivent être révisées à l'aune des progrès scientifiques, mais j'estime que la morale n'est pas soluble dans la science. Les parlementaires doivent donc indiquer dans la loi quelles sont les valeurs qui sont essentielles, qui pourraient être menacées par l'évolution des techniques et qu'il s'agit de protéger. Cette loi-cadre devrait permettre de finaliser les valeurs essentielles fondant l'humanité de l'homme. Bien évidemment, il faut donner des exemples. Il importe en outre de mettre en place un dispositif de suivi complet et précis de la loi de telle sorte qu'en tant que de besoin on puisse légiférer : si un point mérite qu'on y revienne, pourquoi attendre cinq ans ? Une loi-cadre et un système de veille sont donc nécessaires. La règle, ce n'est pas de faire une loi à chaque fait divers. Jusqu'à ces dernières années, les lois fixaient les cadres généraux et les tribunaux essayaient d'appliquer l'esprit des lois à la particularité des situations. C'est ce qu'on appelait l'enrichissement jurisprudentiel. En termes de bioéthique, c'est ce qu'il faut faire : les diverses instances devront interpréter l'esprit de la loi afin de déterminer ce qu'il convient de faire ou pas.
Vous m'avez interrogé sur les mères porteuses : tout d'abord, il faut parler vrai et différencier deux niveaux : le projet d'avoir un bébé par un couple hétérosexuel ou homosexuel ne peut faire l'objet d'une approbation morale. Ceci étant, si la légitimité du couple à vouloir un enfant n'appelle de la société aucun commentaire, elle n'impose pas pour autant à la société de l'exaucer. Si les parlementaires veulent autoriser que l'amie d'un couple homosexuel ou qu'une femme, par pure générosité, qui souhaite porter un enfant pour une autre mère puisse le faire, je n'en serais pas choqué. En revanche, ce n'est pas ce qui se passe dans 98 % des cas : en Floride, en Californie, en Inde, en Ukraine, les mères porteuses, qui sont presque toujours dans le besoin, signent un contrat : il y a donc une pression de la nécessité. Dans ce contrat, ces femmes s'engagent à ne pas interrompre la grossesse, à subir un diagnostic prénatal, à avorter en cas de problème, à accepter que l'on pratique une césarienne en cas de besoin et à abandonner l'enfant à sa naissance. Elles s'engagent donc à n'être que des utérus vivants mais artificiels pendant neuf mois. Sommes-nous prêts à accepter une telle loi ? Le principe de considération de la personne est-il compatible avec une telle activité ? La loi française dit que la mère d'un enfant est la personne qui en accouche : il ne faut rien changer dans ce domaine. Que l'on tente de faciliter les conditions dans lesquelles une mère puisse abandonner son enfant de telle sorte que ce dernier puisse rapidement être adopté, pourquoi pas ? Mais il faut bien se garder d'infliger aux enfants la double peine : des couples fortunés peuvent dépenser 50 000 dollars pour avoir une mère porteuse à l'étranger. Il faut trouver une solution pour que le désir que l'on a de ne pas légaliser cette pratique ne nuise pas à l'enfant : il n'a pas à être l'otage de nos discussions ni de nos incertitudes. Pour autant, il ne faut pas ouvrir la porte à une pratique que l'on récuse. Pourquoi ne pas pénaliser cette pratique, même réalisée à l'étranger, comme cela se fait pour la pédophilie ?
J'en viens au Cecos : dans le temps, les parents ne disaient pas à leur enfant quelle était son origine. Il fallait donc que les Cecos comparent l'apparence du donneur à celle de la famille ; il ne s'agissait nullement de sélection mais de crédibilité de l'enfant. Les parents doivent avoir la liberté de dire ou de ne pas dire.
La congélation lente d'ovocytes fonctionnait, mais assez mal. La fécondabilité de ces ovocytes était amoindrie et les nouvelles méthodes de vitrification donnent de meilleurs résultats, mais il ne s'agit que d'une amélioration technique qui ne soulève aucune question éthique.
Concernant l'anonymat, dans les pays où il a été levé comme en Suède, on constate une légère diminution du nombre des donneurs mais, surtout la réintroduction du secret dans les familles pour éviter tout risque d'interférence avec le géniteur. Autrement dit, la levée de l'anonymat a eu l'effet inverse à celui escompté : elle pousse les parents à ne rien dire aux enfants des conditions dans lesquelles ils ont été conçus.
J'en viens aux progrès de la thérapeutique pour l'embryon. Pour moi, la question est plutôt celle du progrès dans la compréhension de l'embryologie. Des travaux ont été effectués sur le développement embryonnaire des souris ; mais les différences sont considérables entre les espèces. En partant de ce qui est connu chez l'animal, des processus à l'origine des infécondités ou des malformations ont été repérés. La recherche sur l'embryon, si elle n'est pas considérable, a donc pu être menée dans les conditions actuelles.
Il est impossible de limiter l'accès aux tests génétiques. Je suis très opposé aux tests de filiation et ce, depuis 1989, date à laquelle j'ai été associé, en tant que commissaire du gouvernement, à la préparation de la loi de 1992. J'ai directement participé à l'écriture de l'article imposant la saisine judiciaire pour les tests de filiation. L'objectif était que la profondeur du lien social, qui unit le père à l'enfant, ne soit pas sujette aux conséquences d'une querelle entre l'homme et la femme, qui conduirait à l'homme à saisir un cheveu de l'enfant pour pratiquer un test de filiation. Cet article a été voté dans la nuit par les quelques députés présents ; depuis, il n'a pas été modifié. Dans la pratique, on fait aujourd'hui comme s'il n'existait pas. Pour autant, la loi a pour fonction de poser des limites ; elle a une fonction pédagogique ; elle doit dire les valeurs qui sont importantes pour notre société. Avec cet article, il s'agissait de dire que la filiation ne peut en aucun cas être réduite à sa dimension biologique. D'où mon opposition totale à l'amendement de M. Mariani sur les tests ADN.