Réservant l'analyse du projet de loi à la discussion de ses articles en commission qui aura lieu en présence de Mme Lagarde, je m'en tiendrai aujourd'hui à des considérations générales et politiques, au sens fort du terme. L'examen de ce texte est forcément un exercice délicat à l'heure où la place des parlements est de plus en plus difficile à apprécier, pour ne pas dire de plus en plus étroite. Deux raisons à cela. Tout d'abord, la régulation bancaire et financière étant de nature internationale et, a fortiori, communautaire, la tentation est grande de dire : « Mes bons amis, ne faisons rien ! Nous sommes en train de négocier ». Au contraire, il revient au Parlement de fixer un cap pour conforter la position de notre pays dans les discussions. Si nous devons avoir conscience que nous voterons, avec ce texte, des articles virtuels, du moins provisoires, il ne faut pas y voir une raison de ne rien faire, mais une raison supplémentaire d'agir.
L'exercice est donc particulier en ce que ce texte a vocation à s'articuler avec le droit communautaire. Or l'Union européenne ne fonctionne pas comme les Etats-Unis où la négociation est complexe mais le pouvoir fédéral. L'Union est cette chose qui comprend la Grande-Bretagne... Laquelle n'a pas les mêmes intérêts que l'Europe continentale en matière de régulation bancaire et financière. C'est une réalité géostratégique. Point n'est donc besoin de se voiler la face. Il nous faudra donc essayer d'aller le plus loin possible tout en conservant à l'esprit que le résultat de la mécanique poly-synodique et poly-institutionnelle européenne est souvent imprévisible, quel que soit le talent de nos ministres...
La seconde raison est liée à la compétitivité de la place de Paris. Interdire, réglementer, sanctionner, nous pouvons nous faire plaisir en expliquant, lorsque nous rentrons dans nos communes, combien nous avons été rigoureux mais « quid » des conséquences sur la localisation des activités ? Quel est l'intérêt supérieur à poursuivre ? Soyons volontaristes et lucides : évitons les postures qui provoqueraient une hémorragie des activités sur la place de Paris. Nouveau paradoxe : la place de Paris ne se porte pas si mal que cela ! Prenons les obligations foncières qui représentent aujourd'hui un énorme marché, cette réforme financière structurelle, parmi les plus fructueuses, a été faite par la place de Paris. En matière de règlement-livraison et de compensation, soit pour toutes les activités « post-marché », nous avons des chances réelles de fédérer à Paris les grands acteurs de l'industrie financière et bancaire. L'un des trois nouveaux organes européens sera d'ailleurs à Paris, et non l'un des moindres, celui qui s'occupera du marché des actions ! S'agissant de l'industrie de la gestion collective, il nous appartient de discipliner son cadre, d'affirmer sa régulation, mais aussi de conforter son rôle de leader européen.
Sur tous ces sujets, il convient de trouver le juste équilibre entre les objectifs quelque peu contradictoires que sont, d'une part, le maintien et le développement de la place de Paris et, d'autre part, la garantie de la sécurité et de la moralité financières - n'ayons pas honte de ce dernier mot que la crise nous impose d'utiliser.
Ce projet de loi est un texte utile. L'Assemblée nationale a bien travaillé. Le Sénat y apportera sa contribution. Il est, pour m'en tenir à un seul exemple, possible de créer de nouvelles techniques sur le marché obligataire pour mieux animer le marché secondaire des obligations. C'est un enjeu de place et d'emploi. En outre, les quotas de CO2, que Fabienne Keller a beaucoup étudiés, sont des objets techniques et financiers échangés sur des marchés, marchés à la fois primaire et secondaire. Il est essentiel de définir les principes et les compétences de régulation en la matière pour éviter des scandales et affirmer le rôle leader de l'industrie financière et de la place de Paris.
Pour conclure, dans cette phase de concertation avec vos collaborateurs, madame la ministre, chacun espère des concessions réciproques. Puissions-nous trouver un juste milieu !