Je veux évoquer les problèmes de la prévision sous l'angle philosophique et pratique. La difficulté vient de ce qu'il y a d'une part l'échelle de temps à quelques décennies, d'autre part des événements extrêmes à petite échelle d'espace. C'est la combinaison la plus difficile à traiter pour la prévision.
La question du changement climatique a une histoire très particulière. Il a y eu trois temps de la recherche. Dans les années cinquante et soixante, on a mis en évidence que des gaz à effet de serre, CO2 en particulier, pouvaient s'accumuler dans l'atmosphère, l'océan et la végétation ne pouvant les absorber entièrement. Puis, dans les années soixante-dix, à l'ère des spectroscopistes, on a montré que ces émissions pouvaient affecter le bilan radiatif de la planète : cette phase est très liée à l'observation spatiale. La première communication sur les perturbations possibles a été faite devant l'Académie des sciences américaine en 1979. Puis est arrivée la première phase de modélisation des modifications potentielles du système climatique. La modification de la composition chimique de l'atmosphère a été confirmée par les modèles plus complexes : le réchauffement est plus fort sous les hautes latitudes et les continents, moindre dans les océans ; les précipitations seront plus élevées là où il pleut déjà, autour de l'Equateur, et plus faibles en zone subtropicale. Les émissions de gaz à effet de serre ont commencé dans les années cinquante, les premiers effets climatiques - correspondant au délai de réchauffement des océans - apparaissent depuis quelques années.
Le passage de ces grandes échelles aux petites échelles atmosphériques pose des problèmes physiques considérables. Il y a certes un pilotage des secondes par les premières, mais partiel, difficile à mettre en évidence. Et plus l'échelle est petite, plus les événements sont rares, plus le recul statistique est faible. Le problème est encore plus ardu pour les précipitations, par essence liées aux circulations dans l'atmosphère, phénomènes épisodiques. Plus les événements sont extrêmes, et plus grande est la difficulté statistique.
Comment estimer le risque encouru par l'Europe de l'ouest, qui est soumise à l'influence de l'Atlantique, mais moins que ne l'est le continent américain à l'influence du Pacifique ? Comment les changements climatiques affectent-ils notre région ? La première phase du changement climatique consiste en une variation de fréquence et d'intensité de certaines structures météorologiques. Il convient d'utiliser tous les documents, en remontant dans un passé même lointain, car tout ce qui est arrivé a vocation à revenir. Ce doit être le point central de toute politique de sécurité. Il faut exploiter statistiquement l'historique des aléas. Mais l'observation du passé ne fournit pas une image de tous les risques possibles, en raison, précisément, des modifications climatiques. Si l'on ne sait pas préciser les risques, on en a du moins une idée générale.
Mon laboratoire, au sein de l'Institut Pierre Simon Laplace des sciences et de l'environnement (IPSL) a travaillé avec le Centre de recherche de Météo-France de Toulouse et nous avons publié une cartographie et un rapport. Plus le climat est chaud, plus l'atmosphère comprend d'eau, et plus sont favorisés les orages convectifs et les tornades. Les tempêtes hivernales n'entrent pas dans cette catégorie ; leur processus est peu lié à ces sources de chaleur et elles n'ont pas de lien clair avec le réchauffement climatique.
En Europe, on s'attend, par un grossissement de l'anticyclone des Açores, à ce que l'Europe du sud devienne plus sèche, l'Europe du nord plus humide, avec une modification de la route des tempêtes. Les études sur les échelles qui se développent visent à cerner les mécanismes liant les échelles globales, que l'on comprend mieux, et les échelles locales, que l'on comprend moins. La démarche est double, car on s'efforce aussi de comprendre en quoi les infrastructures climatiques sont vulnérables à des aléas, pour réinterroger ensuite les connaissances, incertaines, sur les évolutions climatiques. Cet aller-et-retour entre une modélisation incertaine et des infrastructures dont on tente de préciser la vulnérabilité à ces éléments de prévision est indispensable. Il doit à mon sens fonder toute notre approche de la sécurité.