Intervention de Raphaël Hadas-Lebel

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 12 mai 2010 : 1ère réunion
Rendez-vous 2010 pour les retraites — Audition de M. Raphaël Hadas-lebel président du conseil d'orientation des retraites

Raphaël Hadas-Lebel, président du Cor :

a tout d'abord rappelé avoir présenté au Sénat, en janvier dernier, le septième rapport du conseil, élaboré à la demande du Parlement et consacré aux effets du passage éventuel d'un régime de retraites par annuités à un régime par points ou fondé sur les comptes notionnels. Ce rapport a montré qu'une telle réforme dite « systémique » est possible, quoique difficile à mettre en oeuvre. Le système suédois des comptes notionnels a l'avantage de s'autoréguler et de répondre aux évolutions économiques et démographiques prévisibles, mis à part le papy-boom qui occasionne des besoins spécifiques. Mais une réforme de l'architecture globale du système de retraites n'est pas à l'ordre du jour : les syndicats ne s'y intéressent guère, sauf la CFDT, et le Gouvernement semble vouloir conserver le système actuel tout en en modifiant les règles.

Depuis lors, le Cor a poursuivi ses travaux et préparé le rendez-vous actuel entre le Gouvernement et les partenaires sociaux. Il a fallu actualiser les projections à moyen et long terme élaborées en 2007 mais rendues caduques par la crise économique et financière. Le huitième rapport du Cor, adopté en réunion plénière le 14 avril, est donc essentiellement consacré aux effets de la crise sur les régimes de retraites. En raison de l'incertitude des perspectives économiques, trois scénarios ont été formulés. Le scénario A est fondé sur l'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 % en 2025 et d'un taux de croissance annuel de la productivité du travail de 1,8 %, ces deux facteurs déterminant la masse salariale, donc le montant des cotisations. Cette hypothèse est assez optimiste mais il faut noter que la réduction du taux de chômage à 4,5 % n'est plus prévue pour 2015, comme c'était le cas dans le rapport de 2007, mais pour 2025. D'après le scénario B, le taux de chômage serait de 4,5 % en 2025 - il faut espérer que la politique de l'emploi finira par porter ses fruits - et la progression de la productivité du travail de 1,5 % par an. Quant au scénario C, il prévoit un taux de chômage de 7 %, comme immédiatement avant la crise, et une progression annuelle de la productivité de 1,5 %. Le Medef voulait travailler sur une hypothèse encore plus pessimiste, mais pas tout à fait irréaliste - 9 % de chômage et 1,2 % d'augmentation annuelle de la productivité - mais le Cor n'a pas voulu retenir ce scénario catastrophe. L'étude prend en compte les principaux régimes de retraites : le régime général, ceux de la fonction publique de l'Etat et des collectivités territoriales et les régimes complémentaires des salariés du secteur privé, relevant de l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et de l'association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco).

Il a été établi qu'à moyen terme, les perspectives financières des régimes de retraites sont fortement affectées par la crise et la montée du chômage, auxquelles s'ajoutent des facteurs démographiques comme le papy-boom et l'allongement de l'espérance de vie. Le besoin de financement en 2050 s'élèverait, dans le scénario A, à 72 milliards d'euros, soit 1,7 % du Pib, à 103 milliards d'euros, soit 2,6 % du Pib dans le scénario B, et à 115 milliards d'euros, soit 3 % du Pib dans le scénario C. Surtout, la crise pose un problème à très court terme : dès 2010, les besoins de financement du système de retraite s'élèvent à 32 milliards d'euros, soit 1,7 % du Pib, et ils se monteront en 2015 à 40 milliards d'euros. Le déficit pourrait ensuite ralentir sa progression.

Le Cor a aussi pour mission de mesurer les effets des réformes envisageables. Mais lorsqu'il a présenté ses hypothèses au mois de mars, il s'est heurté à une réaction très violente des syndicats. Il est vrai que des informations avaient fui dans la presse avant même la réunion du conseil... Les syndicats ont donc refusé l'idée même de simulations. C'est pourquoi l'idée a été avancée d'élaborer deux documents : un rapport sur les besoins de financement, délibéré par le conseil, et dont les conclusions ne sont contestées par personne, et un « dossier » technique publié hier sous la responsabilité du secrétariat général du Cor, qui comporte des simulations sur les effets de diverses réformes possibles. Les hypothèses retenues dans ce dossier n'expriment pas la position du Cor sur les réformes à mener : les syndicats et la presse l'ont bien compris, et c'est ce qui explique les réactions modérées à la publication du dossier. Le conseil a travaillé en étroite collaboration avec la Cnav, le service des retraites de la fonction publique d'Etat et l'Arrco, mais il n'a pas pu, en un mois et demi, prendre en compte les autres régimes.

Plusieurs voies s'offrent à nous pour revenir à l'équilibre. Lors d'une précédente audition, ont été présentés les abaques du Cor, qui ne sont pas des bouliers chinois mais des graphiques : en abscisse figure le ratio entre la valeur moyenne des pensions et des salaires, en ordonnée la hausse du niveau des cotisations et autres ressources ; on peut tracer plusieurs courbes en fonction de l'âge effectif de départ à la retraite. Ces abaques représentent les trois leviers de réforme. On peut d'abord solliciter davantage les sources de financement : cotisations salariales et patronales, qui s'élèvent aujourd'hui à 28,8 % des rémunérations brutes ; impôts et taxes affectées, comme la CSG et les compensations d'exonérations de cotisations ; contributions de l'Etat au régime de la fonction publique et prise en charge par l'Etat de certaines cotisations implicites et prise en charge de cotisations à des régimes spéciaux ; transferts de cotisations de l'Unedic, comme cela était envisagé en 2003. Si le chômage diminue, conformément aux scénarios A et B, un tel transfert pourrait représenter 0,4 % du Pib vers 2015. Il est également possible de déléguer à la Cnaf certaines prestations familiales liées aux retraites. Le Cor n'a pas voulu envisager une modification de l'assiette des cotisations, car le conseil d'orientation de l'emploi et le conseil d'analyse économique l'avaient fait avant lui, lorsqu'il était question de créer une TVA sociale ; il paraît d'ailleurs souhaitable d'asseoir les cotisations de retraite sur les salaires car les pensions sont généralement considérées comme des salaires différés. Il pourrait aussi être opportun de revoir certaines exonérations fiscales et sociales, liées notamment à l'épargne retraite et à l'intéressement. Enfin il faudra recourir dès 2020 au fonds de réserve des retraites qui, si le taux de rendement s'élève à 4 % par an, pourrait fournir alors 70 milliards d'euros ; peut-être cette hypothèse doit-elle être revue en raison des derniers aléas boursiers.

Le deuxième levier consiste à modifier le ratio entre la pension moyenne et le revenu moyen des actifs. Actuellement, ce ratio diminue, non que les pensions régressent en valeur absolue : bien au contraire, elles augmentent, car ceux qui partent aujourd'hui à la retraite ont des revenus plus élevés qu'il y a dix ou quinze ans. Mais depuis 1993, les pensions sont indexées sur les prix alors que les revenus des actifs progressent plus rapidement. A la demande de FO, le Cor a évalué le coût d'une augmentation des pensions supérieure à celle des prix : un point de plus coûterait 2 milliards d'euros, ce qu'il faut garder en tête.

Enfin - c'est le troisième levier - on pourrait relever l'âge effectif de départ à la retraite, qui était de 60,6 ans en 2008. Pour y parvenir, il faut soit augmenter la durée de cotisation, soit relever l'âge légal d'ouverture des droits ou l'âge du taux plein. Plusieurs simulations ont été élaborées à ce sujet. La variante 1 suppose une augmentation progressive de la durée de cotisation, dans le prolongement de la loi Fillon de 2003, jusqu'à 43,5 ans en 2050. Le passage de 40 à 41,5 annuités entre 2008 et 2020, déjà prévu par la loi Fillon, rapporterait 10 milliards d'euros, et le passage de 41,5 à 43,5 annuités, entre 2020 et 2050, 10 autres milliards. L'effet d'une telle mesure serait limité, mais prolongé. La variante 2 est fondée sur un report de l'âge d'ouverture des droits de soixante à soixante-trois ans et de l'âge du taux plein de soixante-cinq à soixante-huit ans, au rythme d'un trimestre par an de la génération de 1951 à celle de 1962, soit à peu près de 2011 à 2025. Cela dégagerait 17 milliards d'euros en 2030, soit 50 % du besoin de financement, mais les effets de cette mesure s'atténueraient par la suite. La variante 3 cumule les hypothèses et les effets des deux précédentes.

Le Cor a également mis au point des « tests de sensibilité » en fonction d'hypothèses plus dures, à la demande du Medef. La variante 1-a suppose que l'on aille au-delà de la loi Fillon pour augmenter la durée de cotisation d'un trimestre par an, jusqu'à quarante-cinq ans pour la génération de 1968, ce qui couvrirait 30 % des besoins. Dans la variante 2-a, l'âge légal d'ouverture des droits est porté à soixante-cinq ans en 2050, l'âge du taux plein à soixante-dix ans, hypothèse insupportable d'après les syndicats ; deux tiers des besoins seraient ainsi couverts en 2030, puis les effets de la réforme s'amoindriraient. La variante 2-b est fondée sur une hypothèse légèrement différente : le report de l'âge d'ouverture des droits, non du taux plein. Enfin la variante 3-b, la seule qui ait retenu l'attention des médias, suppose, d'une part, une durée de cotisation de quarante-cinq ans, d'autre part, un report de l'âge légal d'ouverture des droits à soixante-trois ans et de l'âge du taux plein à soixante-huit ans. Les effets bénéfiques s'en feraient sentir dès 2020 et de plus en plus jusqu'en 2030, avant de s'atténuer. En toute hypothèse, il serait impossible de couvrir plus de la moitié des besoins de financement.

Il faut d'ailleurs noter que le report de l'âge d'ouverture des droits pénaliserait surtout ceux qui ont commencé à travailler jeunes et seraient autrement partis en retraite dès soixante ans, tandis que le report de l'âge du taux plein atteindrait plutôt ceux qui attendaient d'avoir soixante-cinq ans pour liquider leurs droits, c'est-à-dire ceux qui ont eu des carrières courtes ou chaotiques.

Le travail du Cor a été délibérément technique, mais toute réforme suppose bien sûr un débat de société et des choix politiques.

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