En septembre dernier, une délégation de la commission, que j'ai eu l'honneur de conduire et dont Brigitte Bout, Alain Gournac, Claire-Lise Campion, Christiane Demontès et Isabelle Pasquet étaient membres, s'est rendue à Québec puis à Montréal. Nous voulions étudier, sur place, la politique familiale provinciale, réputée généreuse, et le système de protection de l'enfance, que l'on disait efficace.
Les nombreux entretiens et visites que nous avons conduits nous ont amenés à la conclusion que l'exemple québécois pourrait utilement nourrir nos réflexions sur l'avenir de nos politiques de soutien aux familles comme d'aide à l'enfance en danger.
En matière de politique familiale, le Québec a fait le choix, en 1997, d'investir massivement en direction des familles, avec pour objectif de répondre à un double défi :
- rompre avec la spirale d'un déclin démographique annoncé : chute des naissances d'un tiers sur la décennie 1990, érosion continue de l'indice de fécondité, tombé à 1,36 enfant par femme en 1987 ;
- s'adapter à la diversité croissante des modèles familiaux et faciliter, en particulier, la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.
Trois mesures phares ont été retenues : simplifier et majorer les prestations monétaires en faveur des familles ; subventionner le développement d'un réseau de garde à contribution minime pour les parents ; créer, de toutes pièces, un régime d'assurance parentale propre à la province, pour un effort budgétaire global de l'ordre de 6,5 milliards de dollars canadiens (soit près de 4,6 milliards d'euros) en 2009 - 10 milliards de dollars avec les prestations fédérales - et un niveau de dépenses publiques rapporté au Pib qui place désormais la province dans le peloton de tête de l'OCDE (3,2 % contre 3 % en France en 2005).
D'abord, le « soutien aux enfants » : bien que prenant la forme d'un crédit d'impôt annuel remboursable, cette prestation monétaire est largement comparable à nos allocations familiales : il est non imposable et comprend une prestation universelle, variable suivant le nombre d'enfants. Mais il s'en distingue par le fait que les droits sont ouverts dès le premier enfant et, surtout, que s'y ajoute une composante variable, modulée selon le revenu familial. Ainsi, le soutien aux enfants s'échelonne, pour un premier enfant, de 619 à 2 204 $ sur l'année ; des majorations sont également prévues à compter du quatrième enfant, pour les familles monoparentales ainsi que pour les enfants handicapés.
D'autres prestations monétaires peuvent venir le compléter, qu'il s'agisse d'aides spécifiques - subventions ponctuelles aux naissances multiples, détaxation de produits courants (couches, biberons, etc.) entre autres -, de la « prime au travail » - équivalent de notre prime pour l'emploi - qui tient compte de la composition familiale, ou des prestations monétaires fédérales à destination des familles ;
Ensuite, les services de garde à tarif réduit : constatant que le manque de solutions de garde constituait l'un des freins majeurs à la réalisation du désir d'enfants, le Gouvernement québécois a misé, dès 1997, sur le développement accéléré d'un réseau de garde à contribution réduite - 5 $ puis 7 $ par jour à la charge des parents, soit moins de 14 % du coût réel du service - pour un coût budgétaire global évalué, en 2009, à 2,4 milliards de dollars.
Le nombre de places disponibles est ainsi passé de moins de 79 000 en 1997 à plus de 211 000 au 30 juin 2010, pour un objectif porté à 235 000 d'ici à la fin de l'actuelle législature, en 2013. Surtout, et contrairement à la pratique française qui fait varier les tarifs de garde collective en fonction du revenu familial, ces tarifs réduits sont accessibles à tous les parents d'enfants de moins de cinq ans, quels que soient leurs revenus, ce qui, au passage, ne désincite pas les mères, comme c'est hélas trop souvent le cas, à la reprise d'activité.
Les services de garde à contribution réduite sont dispensés dans trois types de structures bien distincts :
- les centres de la petite enfance (CPE), organismes parapublics à but non lucratif associant les parents à leur gestion selon un modèle coopératif - pour un total de 80 000 places environ ;
- les garderies subventionnées, entreprises privées principalement à but lucratif - pour un peu plus de 39 000 places ;
- et l'équivalent de nos assistantes maternelles, les quinze mille « responsables d'un service de garde en milieu familial », offrant un peu plus de 91 000 places. Précisons qu'ils peuvent accueillir de six à neuf enfants - dont deux à quatre enfants de moins de dix-huit mois - selon qu'ils sont seuls ou assistés d'un autre adulte, et qu'ils sont placés sous la supervision de bureaux coordonnateurs chargés du respect des normes de sécurité et de qualité applicables en la matière.
Malgré ces efforts, on estime qu'il faudrait créer environ quarante mille places à tarif réduit supplémentaires pour répondre aux besoins, ce qui explique le doublement des capacités d'accueil en garderie non subventionnée sur les cinq dernières années - pour un peu moins de 13 000 places. Du reste, la combinaison de trois dispositifs, l'un provincial - le crédit d'impôt remboursable pour frais de garde -, les deux autres fédéraux - prestation universelle pour la garde d'enfants et déduction pour frais de garde - a pour effet de réduire très largement le coût net de la garde non subventionnée pour le porter, dans certains cas, à un niveau voisin de celui des tarifs réduits.
Enfin, le régime québécois d'assurance parentale (RQAP) : entré en vigueur en 2006 en remplacement du volet « congé parental » du régime d'assurance emploi fédéral, le RQAP offre désormais les prestations les plus généreuses du pays, avec pour objectif de favoriser la conciliation travail-famille mais aussi de répondre à la pénurie de main d'oeuvre résultant du vieillissement de la population. Accessible aux parents dont les revenus annuels du travail sont compris entre 2 000 et 62 500 dollars, le régime prévoit :
- le versement de prestations de maternité et de paternité, respectivement réservées à la mère et au père ;
- et de prestations parentales, partageables entre les deux membres du couple.
Le total peut atteindre jusqu'à 75 % du revenu hebdomadaire moyen.
Il se caractérise également par sa souplesse puisque les parents peuvent opter entre deux régimes distincts :
- dans le « régime de base », choisi par les deux tiers des prestataires, les taux de remplacement varient de 55 % à 70 %. Le congé dure alors au minimum dix-huit semaines pour la mère, auxquelles s'ajoutent trente deux semaines partageables : si le couple s'accorde pour attribuer à la mère la totalité des semaines de prestations parentales, elle aura donc cinquante semaines de congé ; à l'inverse, si les parents choisissent d'affecter au père toutes les semaines partageables, celui-ci bénéficiera alors de trente-sept semaines de prestations ;
- dans le « régime particulier », le taux de remplacement est plus élevé (75 %) mais la durée maximale de congé parental moindre - quinze semaines minimum pour la mère et vingt-cinq partageables, soit un maximum de quarante semaines pour la mère selon la répartition retenue pour les semaines parentales.
En autorisant le partage des prestations parentales et en leur ouvrant des droits exclusifs, le RQAP encourage ainsi fortement les pères à participer activement aux premières semaines de l'enfant.
Au total, la mise en oeuvre de ces trois piliers - soutien aux enfants, garde à tarif réduit et assurance parentale - a produit des résultats probants :
- une inversion des principaux indicateurs démographiques : sur la dernière décennie, le Québec a connu la plus longue période de croissance des naissances depuis le « baby-boom » de l'après-guerre (88 300 naissances en 2010, soit 22,6 % de plus qu'en l'an 2000) et l'indice de fécondité est remonté à 1,73 enfant par femme, chiffre le plus élevé depuis 1977, avec à la clé une reprise de l'accroissement naturel de la population ;
- une hausse continue du revenu disponible des familles avec enfants - jusqu'à 43 % dans le cas d'une famille avec deux enfants disposant de 15 000 $ de revenus d'activité ;
- une présence accrue des femmes sur le marché du travail, avec un taux d'emploi des femmes âgées de vingt-cinq à quarante-quatre ans (79 %) désormais supérieur d'un point à la moyenne canadienne ;
- enfin, une place croissante des pères dans la vie de famille : plus de 75 % d'entre eux utilisent les droits aux congés qui leur sont ouverts à la naissance d'un enfant.
Cependant, la politique familiale québécoise est, en quelque sorte, victime de son succès :
- sous l'effet de la hausse des naissances, le développement, bien que rapide, du réseau de garde à tarif réduit peine à suivre la hausse de la demande, à la fois quantitativement et qualitativement : comme en France, il est en particulier difficile de satisfaire les besoins de garde à des horaires atypiques, alors même que les formes de travail à horaires décalés progressent ;
- de la même façon, la hausse ininterrompue des prestations versées par le RQAP depuis sa création pèse sur l'équilibre financier du régime et oblige à relever, chaque année depuis quatre ans, le niveau des cotisations acquittées par les salariés et les employeurs, pour résorber à terme un déficit cumulé estimé à 902 millions de dollars au plus haut (2014) ; en attendant, les difficultés de trésorerie sont couvertes par des prêts à taux préférentiel accordés par le Gouvernement ;
- enfin, la province est confrontée, comme partout, à une contrainte budgétaire forte (lors de notre visite : 3,2 milliards de dollars de déficit attendu en 2009-2010, pour un budget total de 67 milliards).
En matière de protection de l'enfance, le Québec fait figure de précurseur depuis l'adoption de sa loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) en 1977 et de ses révisions successives.
Fondée sur le principe de l'antériorité de l'intervention sociale sur le recours au juge, la LPJ vise à concilier respect de l'autorité parentale et préservation de l'intérêt de l'enfant. Ainsi le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) n'intervient que lorsqu'il y a compromission, ou menace de compromission, de la sécurité ou du développement de l'enfant.
Tout au long du processus, intervenants sociaux et judiciaires doivent s'assurer du respect des droits de l'enfant comme de la primauté de la responsabilité parentale, agir avec diligence et garantir la participation active de l'enfant et de ses parents, avec pour horizon le maintien de l'enfant dans son milieu familial ou, à défaut, l'établissement d'un projet de vie stable. Chaque fois que possible, des ententes sont conclues avec les parents sur la mise en oeuvre de mesures volontaires et même après l'intervention du juge, une approche consensuelle est privilégiée - au travers, notamment, de conférences de règlement à l'amiable.
Si ces concepts ont, depuis, été largement exportés, le Québec se distingue encore par l'introduction, en 2006, de délais maximaux de placement, au-delà desquels une solution de vie pérenne pour l'enfant doit avoir été trouvée, afin d'éviter les effets dévastateurs d'allers-retours permanents entre famille biologique et famille(s) d'accueil.
Parce qu'il est établi que plus l'enfant est jeune, plus il convient d'agir vite, cette durée maximale d'hébergement est modulée suivant l'âge de l'enfant : elle est fixée à douze mois s'il est âgé de moins de deux ans, dix-huit mois s'il est âgé de deux à cinq ans et vingt-quatre mois au-delà. A l'expiration de ce délai, et seulement si un retour dans la famille n'est pas possible, le tribunal doit rendre une décision visant à assurer un milieu de vie stable à l'enfant de façon permanente.
Dans tous les cas, l'application de cette date butoir, loin d'être une clause-couperet, est laissée à l'entière appréciation du juge. Ce dernier peut y déroger lorsque le retour de l'enfant dans sa famille est envisagé à court terme, dans l'intérêt de l'enfant ou pour des motifs sérieux, notamment dans le cas où les services sociaux et de santé aux parents n'auraient pas été rendus.
En pratique, le DPJ élabore simultanément, dès le début de l'intervention, deux projets de vie, l'un privilégié - le plus souvent, maintien ou retour dans le milieu familial -, l'autre alternatif - solution de repli n'advenant que par défaut, lorsque des motifs cliniques ou judiciaires s'opposent à l'autre.
Au total, les effets de la LPJ s'avèrent largement positifs : en privilégiant l'intervention en milieu parental, on a constaté une baisse des deux tiers du nombre des placements - de 30 000 au milieu des années 70, à 11 000 en 2009 - alors que le nombre des signalements faisait plus que doubler - 30 000 en 1980 puis 70 000 en 2009. En outre, depuis l'instauration de délais maximaux de placement, les enfants vivent globalement moins d'instabilité : moins de placements, changements de milieu de vie moindres et recours accru à la famille élargie ou aux personnes « significatives ».
En dépit de ces succès incontestables, certaines difficultés subsistent : comme en France, le recrutement de nouvelles familles d'accueil s'avère problématique tant les postulants sont rares. Il demeure par ailleurs de fortes inégalités territoriales dans l'application de la LPJ, les intervenants et les moyens manquant là où les besoins sont les plus criants : c'est notamment le cas de la communauté inuite du Nunavik, à l'extrême nord de la province. Enfin, la continuité du suivi des enfants entre les différents intervenants - en particulier les centres de santé et de services sociaux et les centres jeunesse - mériterait encore d'être améliorée afin d'éviter les « vides de services ».
En matière de justice pénale pour adolescents, enfin, les solutions retenues méritent également toute notre attention.
Depuis l'adoption, en 1982, de la loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSPJA) - législation fédérale mais administrée dans chaque province -, la voie des mesures et sanctions extrajudiciaires est privilégiée à chaque stade de la procédure : après l'intervention policière d'abord et s'il n'y a pas lieu d'engager des poursuites pénales, l'adolescent peut être orienté vers un programme ou un organisme communautaire susceptible de l'aider à ne plus commettre d'infractions ; à l'inverse, si une procédure judiciaire est engagée, le procureur peut toujours décider d'adresser le jeune contrevenant au DPJ qui pourra choisir de lui appliquer un programme de sanctions extrajudiciaires : travaux d'intérêt général, séance de médiation avec la victime, etc.
Pour autant, la préférence pour la non-judiciarisation ne confine pas au laxisme dans les cas les plus graves : ainsi le procureur peut exceptionnellement requérir l'application d'une peine pour adulte à l'égard d'un adolescent déclaré coupable d'un acte criminel passible d'une peine d'emprisonnement de plus de deux ans, dès lors qu'il était âgé d'au moins quatorze ans au moment des faits.
Enfin, l'accent est mis tant sur la responsabilisation des auteurs d'infractions que sur la recherche d'une participation accrue des victimes au processus de réparation : en organisant la confrontation physique entre le jeune contrevenant et sa victime, le recours à la médiation autorise en particulier l'adhésion et la prise de conscience du premier et permet de convenir du mode de dédommagement de la seconde.
Au total, la mise en oeuvre de ces mesures extrajudiciaires a permis, selon les organismes de justice alternative qui la conduisent, de réduire le taux de récidive des mineurs délinquants.
Après ce bref tour d'horizon, je souhaite vous exposer, mes chers collègues, les quelques propositions sur lesquelles la mission invite à la réflexion :
- le système québécois d'aide financière aux familles ayant permis d'accroître le soutien aux familles les moins aisées et aux classes moyennes, peut-être pourrions-nous nous en inspirer pour créer une part additionnelle d'allocations familiales, modulée en fonction du revenu, en complément de la part universelle actuellement versée à l'ensemble des familles, quel que soit leur revenu.
Pour tenir compte des contraintes budgétaires actuelles, ce supplément pourrait être financé par l'extinction de certains avantages fiscaux : suppression progressive de la demi-part fiscale supplémentaire accordée à tout parent célibataire, divorcé ou veuf, sans enfant à charge, qui a élevé seul un enfant, voire réforme de la règle du quotient familial. A niveau égal de dépenses de la collectivité en faveur des familles, cette dernière réforme conduirait non seulement à une redistribution forte des familles aisées vers celles à revenus faibles ou moyens mais renforcerait aussi la lisibilité et la cohérence d'ensemble de notre politique familiale ;
- il s'agirait ensuite de réfléchir à l'attribution d'allocations familiales dès le premier enfant comme cela existe déjà pour les agents de la fonction publique avec le supplément familial de traitement, à un montant certes minime (2,29 euros au 1er juillet 2010) ;
- en matière de garde d'enfants, nous pourrions aussi envisager l'institution d'un tarif de garde universel, indépendant du revenu familial, afin d'élargir les choix d'un mode de garde pour tous les parents ; comme les précédentes, cette proposition pourrait être financée par redéploiement des économies produites par la remise à plat de certains dispositifs fiscaux ; du reste, si un tel tarif universel était étendu non seulement aux modes de garde collective, mais aussi à la garde d'enfants à domicile, les avantages fiscaux pour l'emploi d'une personne à domicile pourraient également être réorientés vers le financement du dispositif ;
- enfin, il conviendrait d'étudier l'introduction, dans la législation française, de délais maximaux de placement des enfants en danger, établis en fonction de leur âge, au-delà desquels une solution de vie stable devrait avoir été trouvée. Comme au Québec, l'application de cette règle serait conditionnée à l'accompagnement effectif des parents et, dans tous les cas, laissée à l'appréciation du juge qui pourrait toujours y déroger à raison de circonstances particulières.
Je veux, pour finir, souligner l'accueil très chaleureux qui nous a été réservé par nos hôtes québécois ainsi que la parfaite information qu'ils ont su nous procurer. Je crois ne pas trahir le sentiment des autres membres de la délégation en disant tout le plaisir que nous avons eu à participer à cette mission !