Intervention de Alain Rousset

Mission commune d'information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux — Réunion du 13 avril 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Rousset président de l'association des régions de france arf

Alain Rousset, président de l'Association des Régions de France :

Je comparerai la RGPP à une tondeuse à gazon : tous les services de l'État ont été arasés uniformément ce qui montre d'ailleurs les limites de cette politique. En règle générale, un chef d'entreprise, préalablement à toute organisation, définit les produits qu'il souhaite vendre et les entreprises qu'il va filialiser, supprimer ou conserver. Ce n'est pas la logique qui a guidé la RGPP : celle-ci a été indifféremment appliquée ; elle est souvent douloureusement vécue. Philippe Séguin avait d'ailleurs déclaré « Tout ça pour ça » : le fait de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux est insuffisant et mérite une réflexion plus approfondie.

Les régions ont vécu la mise en place de la RGPP avec beaucoup de surprise et d'agacement. En effet, l'État souhaite exercer des compétences dont il a perdu l'ingénierie. On le voit, par exemple, lors des réunions organisées dans des bassins d'emploi par les sous-préfets alors qu'ils ne disposent d'aucun moyen. Les régions y participent pour apporter l'ingénierie nécessaire aux projets. Dans l'enseignement, les régions sont amenées à doter les lycées professionnels et parallèlement, des sections scolaires sont fermées et des équipements non utilisés. Un tel constat n'est pas rationnel du point de vue de la décentralisation. Cette mécanique d'économie apparente et de débudgétisation est malheureusement à l'oeuvre dans tous les domaines.

Votre mission pourrait évaluer le coût lié à l'appel de consultants privés par l'État, suite à la diminution de sa propre ingénierie. Cela ne sert à rien de diminuer ses propres services pour ensuite faire appel à des entreprises extérieures. Aujourd'hui, en matière de maîtrise d'ouvrage directe, l'État perd toute son ingénierie. Par exemple, dans le cadre du plan Campus, Mme Valérie Pécresse elle-même m'avouait récemment que son ministère ne disposait plus des moyens et des compétences nécessaires pour réhabiliter les universités, d'où le recours aux partenariats public-privé. Or, le recours aux PPP a un coût colossal, non seulement pour l'avenir en reportant la charge de la dette sur les générations futures, mais également pour le présent avec la réduction de l'autonomie des universités qui devront arbitrer entre l'appel budgétaire aux régions ou l'augmentation des droits d'inscription.

L'État aurait dû définir préalablement les compétences régaliennes qu'il souhaitait conserver. Aujourd'hui, on constate que l'État est à la fois la tour de contrôle et le pilote de l'avion et qu'il est également dans la soute à bagages. Une telle conception de l'État n'est pas responsable et rationnelle.

Aujourd'hui, on est donc face à des services de l'État qui ont perdu leur ingénierie et leurs moyens financiers et qui, dans le même temps, souhaitent continuer à commander. En matière d'apprentissage, par exemple, l'objectif est de doubler le nombre d'apprentis, sans comprendre que celui-ci est lié à la volonté des entreprises, et alors que le taux d'échec est de 10 % plus élevé que celui de l'échec scolaire.

La France se caractérise par un paradoxe : on estime que, dans notre pays, le coût de la décision publique, c'est-à-dire celui de l'administration, et le temps de la décision publique sont plus lourds et plus longs qu'ailleurs, en raison du nombre élevé de fonctionnaires et de para-services publics. Or, l'État ne peut se permettre de perdre de la compétence. Hier, lors de la commission de la Défense à l'Assemblée nationale, le pilote de la construction du site de Balard, prévu pour réunir les services du ministère de la Défense, nous confiait que l'État est incapable de construire un Pentagone à la française. C'est pourquoi une entreprise privée - Bouygues - a obtenu le marché. De même, l'État est incapable de réhabiliter l'université de Jussieu. Il est choquant que l'État perde de l'ingénierie.

Il est tout aussi choquant que l'État conserve des services et des agents dans des compétences qui ont été transférées aux collectivités territoriales. L'État est responsable des doublons comme, par exemple, pour la gestion des fonds européens ou la gestion de la solidarité et de l'action sociale. D'où la nécessité d'une organisation rationnelle de l'État, afin de diminuer le coût et le temps de la décision publique.

Les exemples de l'innovation et du service public de l'emploi sont révélateurs de ce manque de rationalité. A titre d'exemple, le service public de l'emploi se compose de plusieurs strates successives : Pôle Emploi qui traverse actuellement une crise liée à la fusion de deux métiers différents - l'insertion et l'indemnisation -, les missions locales pour les jeunes, auxquels s'ajoutent les dispositifs mis en place par les communes, les EPCI et les régions. Ainsi, la politique de l'emploi se caractérise par une absence de pilote, d'organisation de l'information et de la mobilité régionales et par un cloisonnement entre les mondes de la formation et de l'entreprise. Comment peut-on avoir confiance dans un État donneur de leçons de rationalité qu'il ne s'applique pas à lui-même ?

Nous sommes favorables à une RGPP intelligente. Nous avons besoin de gendarmes, de policiers, de juges, de diplomates, d'enseignants, de chercheurs. Nous devons également rémunérer correctement nos fonctionnaires afin d'éviter que les meilleurs d'entre eux aillent pantoufler dans le secteur privé. L'expert de la dette française travaille actuellement chez Véolia et il est régulièrement consulté par le Ministère des Finances !

Les régions ne souhaitent pas que des services déconcentrés quasi-inexistants viennent leur donner des leçons sur l'application de leurs politiques publiques locales. En revanche, dans les domaines où les services de l'État sont nécessaires - les compétences régaliennes -, ils ont disparu. Les sous-préfets, des DRIRE ou des DRASS sont le reflet d'une protection paternaliste envers les collectivités à laquelle il faut mettre fin. La décentralisation va avec la responsabilité !

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