Intervention de Jean-Louis Montastruc

Mission commune d'information sur le Mediator — Réunion du 1er mars 2011 : 1ère réunion
Audition du professeur jean-louis montastruc chef du service de pharmacologie clinique au chu de toulouse directeur du crpv de toulouse

Jean-Louis Montastruc :

L'observation dont je parle est la première à avoir été publiée, contrairement à celle effectuée par le docteur Chiche. De même, les observations effectuées en 2004, concernant deux soeurs, à Toulouse, dont la pathologie n'était pas très évocatrice, n'ont pas été publiées.

Selon mon point de vue de pharmacologue, qui se bat jour après jour en faveur d'une bonne utilisation des médicaments, l'affaire du Mediator illustre deux carences majeures, en France.

La première carence concerne l'insuffisance de la culture pharmacologique, qui consiste à confronter les données de base du médicament à la pratique clinique. Rappelons que le Mediator n'est pas un médicament antidiabétique, ni un médicament destiné à favoriser l'amaigrissement. Il s'agit d'un produit amphétaminique qui, de par ses propriétés, produit des effets attendus et des effets défavorables. La question posée est donc la suivante : les propriétés de base d'un produit amphétaminique peuvent-elles être transférées à la pratique clinique, en fonction de ses avantages et de ses inconvénients ?

La deuxième carence concerne l'insuffisance de la culture relative au risque médicamenteux. En France, la pharmacovigilance est une branche méprisée, maltraitée de la pharmacologie. En comparaison avec toutes les actions engagées pour évaluer les bénéfices des médicaments, l'évaluation des risques reste insuffisamment développée. Je suggère donc cinq pistes de réflexion.

D'une part, il me paraît très important de renforcer le fonctionnement des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV). Nos missions sont immenses alors que nos moyens sont ridicules par rapport aux autres services hospitaliers. En 2005, une modélisation a été effectuée par la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (Dhos) et par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) sur le personnel dans ces centres : parmi ces trente et un centres, vingt et une structures ont à peine les moyens de fonctionner. Depuis cette date, au CHU de Toulouse, je plaide en faveur d'un deuxième praticien hospitalier. Or je me heurte systématiquement au refus des autorités.

Les CRPV ont besoin de praticiens hospitaliers pour valider les signaux. Depuis 2006, au CHU de Toulouse, la direction des relations humaines nous a attribué des assistants de recherche clinique (Arc) qui, dans tous les hôpitaux de la région, relèvent les effets indésirables des médicaments. En cinq ans, cette initiative, peu coûteuse et particulièrement efficace, a permis de multiplier par 4,5 le nombre d'observations réalisées, puisque 148 observations ont été relevées en 2006 contre 674 observations en 2010.

D'autre part, dans le domaine de la pharmaco-épidémiologie, j'insiste sur l'importance de la notification spontanée, qui reste la base du signal. Celle-ci exige à la fois une compétence médicale et une compétence pharmacologique. S'agissant du Mediator, elle a été négligée. Il faut absolument la renforcer, par des moyens modernes. A Toulouse, une notification en ligne a été mise en place depuis juillet 2010. En ce début du mois de mars 2011, cent notifications en ligne ont d'ores et déjà été effectuées.

Le nombre de notifications pourrait constituer un élément important pour l'accréditation des services, des pôles hospitaliers, des hôpitaux, des médecins et des pharmaciens. A mon sens, un médecin généraliste qui, durant une année entière, ne déclare aucune observation de pharmacovigilance ne répond pas à sa mission de santé publique.

Certes, une équipe de l'Inserm se consacre à la pharmaco-épidémiologie. Néanmoins, contrairement à une affirmation répandue, celle-ci ne peut répondre à l'ensemble des questions.

C'est à partir des notifications spontanées, et non sur la base d'un simple brassage des données, qu'une étude de pharmaco-épidémiologie peut être lancée. Entre 1998 et 2005, parmi vingt et un médicaments qui ont été retirés du marché, la pharmaco-épidémiologie n'a été à l'origine que d'un seul retrait. Ce sont les notifications spontanées qui ont suscité la majorité des décisions : il a fallu ce signal pour que l'Afssaps réalise une étude sur les valvulopathies sous benfluorex, auprès de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).

Le recours à la pharmaco-épidémiologie pose le problème de la qualité des bases de données : actuellement, aucune base, notamment à la Cnam, n'est constituée pour étudier les effets indésirables des médicaments.

Enfin, la mise en place des études de pharmaco-épidémiologie est une aubaine pour les firmes car plusieurs mois s'écoulent entre l'évocation d'un signal et le résultat des études. Durant ce délai, le médicament reste sur le marché. Si les signaux relatifs au Mediator avaient été suivis, ce médicament aurait pu être retiré beaucoup plus tôt du marché, sans attendre les données de pharmaco-épidémiologie.

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