Intervention de Francis Grignon

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 octobre 2006 : 1ère réunion
Industrie du bâtiment et des travaux publics — Examen du rapport d'information

Photo de Francis GrignonFrancis Grignon, rapporteur :

a rappelé les trois motifs qui l'avaient conduit à proposer ce rapport :

- d'abord, le constat réalisé, lors des travaux de la commission sur les délocalisations, d'un besoin d'homogénéité entre les économies européennes ;

- ensuite, la volonté de disposer d'une information précise sur la situation particulière du secteur ;

- enfin, le besoin de remettre en perspective les débats intervenus au sujet de la proposition de directive dite « Bolkestein ».

Il a fait valoir que la France était aujourd'hui confrontée à un problème spécifique et nouveau, d'une ampleur très supérieure à celui qui a suivi l'adhésion de l'Espagne et du Portugal en 1986, rappelant à ce propos que la différence entre le salaire français et le salaire espagnol était de 1 à 2 en 1986, alors qu'il est aujourd'hui de 1 à 5 entre la France et la Pologne.

Puis il a exposé les différents statuts juridiques auxquels peuvent être soumis les travailleurs européens susceptibles d'intervenir en France, à savoir :

- le statut de salarié détaché d'une entreprise de leur pays d'origine ;

- le statut de travailleur intérimaire, envoyé par une entreprise de travail temporaire de ce même pays ;

- le statut d'artisan indépendant, par lequel le travailleur est à lui-même sa propre entreprise.

Il a indiqué que les difficultés rencontrées étaient centrées sur le problème du détachement des travailleurs.

A ce titre, il a rappelé que la liberté de prestation de services étant un des principes du traité de Rome, il n'y avait aucun obstacle à ces mouvements de travailleurs entre les 25 Etats membres de l'Union européenne, la seule condition posée par la directive n° 96/71 étant l'obligation d'appliquer aux salariés détachés l'essentiel des droits sociaux du pays d'accueil, notamment en matière de salaire minimum.

Il a précisé qu'en revanche, les salariés détachés restaient affiliés à la sécurité sociale de leur pays d'origine.

Il a ensuite décrit les différents types de violations dont était victime le système du détachement.

Il a souligné qu'à côté des abus visibles, qui ont trait au non-respect des règles de sécurité ou de temps de travail, étaient constatées des fraudes moins apparentes, consistant en un non-paiement du salaire minimum du pays d'accueil, malgré des fiches de paye apparemment en règle.

Il a aussi évoqué des cas de contournement plus subtils, citant l'affaire des ouvriers polonais de la centrale EDF de Porcheville.

Il a poursuivi en indiquant que les résultats des contrôles de terrain laissaient supposer que des fraudes massives portaient aussi sur la sécurité sociale, consistant en un non-paiement des cotisations sociales dans le pays d'origine des salariés.

S'agissant de l'évaluation de l'ampleur du phénomène, il a fait valoir que plusieurs indices et études officielles, présentés dans son rapport, amenaient à penser que les fraudes au détachement concernaient plusieurs dizaines de milliers de travailleurs européens, avec une forte augmentation depuis 2003, liée à l'élargissement.

Il a ensuite tenu à mettre en lumière le fait que la proposition de directive dite « Bolkestein » n'avait -aussi surprenant que cela puisse paraître- qu'un rapport très indirect avec ces problèmes, dans la mesure où le texte prévoyait dès l'origine le maintien de la directive 96/71 sur le détachement des travailleurs, c'est-à-dire de l'obligation de rémunérer les salariés détachés aux conditions du pays d'accueil. A ce titre, il a précisé que la seule disposition dangereuse du projet « Bolkestein » en matière sociale était la remise en cause de l'obligation, pour l'entreprise qui vient exécuter une prestation avec des travailleurs détachés, de les déclarer à l'administration du pays d'accueil, faisant valoir que cette disposition n'avait pas été reprise dans la nouvelle proposition de directive sur les services présentée par la Commission européenne le 4 avril dernier.

Il a ajouté que la concurrence déloyale créée par les fraudes au détachement était d'autant plus inacceptable que, même si la directive 96/71 était parfaitement respectée, le coût d'un ouvrier polonais du BTP serait toujours d'environ 50 % inférieur à celui d'un ouvrier du BTP français, compte tenu du différentiel de charges sociales entre les deux pays, d'un biais fiscal et du fait que, dans un secteur comme le BTP, les ouvriers français sont payés 20 à 30 % au-dessus du salaire minimum.

Ensuite, il a estimé que, face à ces situations, une action était à la fois nécessaire et possible, estimant qu'il serait dangereux de s'en remettre au seul rattrapage économique des nouveaux pays de l'Union.

Il a même considéré qu'il était indispensable d'anticiper l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, prévue pour le 1er janvier 2007, ainsi qu'un éventuel retournement du cycle dans le domaine de la construction, qui pourrait aviver la concurrence par les prix et augmenter encore l'avantage donné à ceux qui pratiquent le dumping social.

Il a aussi insisté sur la nécessité d'un programme d'actions spécifiques distinct des dispositifs existant en matière de « travail illégal ».

C'est dans ce cadre que M. Francis Grignon s'est félicité des progrès déjà accomplis :

- au niveau européen, avec la réécriture complète de la proposition de directive relative aux services, ne remettant plus en cause le principe de la déclaration préalable au détachement ;

- au niveau des pouvoirs publics français, le Gouvernement ayant pris la décision courageuse, le 1er mai dernier, d'autoriser plus largement l'emploi direct de salariés des nouveaux pays de l'Union, dans les secteurs en pénurie de main-d'oeuvre comme le BTP. Il a estimé que cette mesure permettait de mettre fin à une situation paradoxale dans laquelle les entreprises françaises avaient du mal à recruter et étaient, soit concurrencées par des entreprises des nouveaux Etats membres, soit incitées à leur sous-traiter des chantiers dans les conditions qu'il venait de dénoncer ;

- au niveau des acteurs de terrain, soulignant les efforts remarquables de sensibilisation et d'information menés en direction des entreprises, des maîtres d'ouvrage et des salariés par les organisations professionnelles en partenariat avec les services de l'Etat.

Estimant nécessaire d'accentuer l'ensemble des initiatives déjà prises, il a soumis à l'approbation de la commission un plan composé de quatorze actions réparties en trois axes.

Il a indiqué que le premier axe consistait en un renforcement des maillons faibles du cadre juridique actuel, s'agissant des informations que l'Etat d'accueil est en droit d'exiger en cas de contrôle, des échanges d'informations entre les sécurités sociales européennes, ou des menaces pesant sur le système de la déclaration préalable obligatoire. Sur ce dernier point, il a mis en garde contre les risques présentés par un projet de décret qui permettrait de dispenser de cette obligation les détachements de travailleurs inférieurs à quinze jours.

Il a ensuite présenté le deuxième axe, visant à favoriser l'action des pouvoirs publics sur le terrain, et notamment de l'inspection du travail dont il a souligné le rôle clé. Il a estimé nécessaire d'encourager cette action, au-delà des moyens supplémentaires prévus par le Gouvernement, en adaptant mieux les contrôles et en mettant très vite en place une coopération systématique avec la sécurité sociale, comme cela existe déjà en matière de lutte contre le travail illégal.

Enfin, il a insisté sur l'importance du troisième axe relatif à la responsabilisation des maîtres d'ouvrages en cas de sous-traitances multiples et à l'élargissement du droit de regard des comités d'entreprise sur ces cas de sous-traitance.

Il a conclu en soulignant la nécessité de poursuivre le travail dans un cadre européen et précisé que c'est dans cet esprit qu'il envisageait de rencontrer prochainement Mme Schroedter, députée européenne allemande du groupe des Verts, qui finalise un rapport au Parlement européen sur le détachement des travailleurs.

Il a indiqué que, dans la continuité des travaux déjà menés au sein de la commission au sujet des délocalisations, l'objectif était de contribuer à ce que l'intégration européenne se réalise par le haut.

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