Intervention de Agnès Van Zanten

Mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation — Réunion du 1er février 2011 : 1ère réunion
Audition de Mme Agnès Van zanten directrice de recherche au centre national de la recherche scientifique cnrs observatoire sociologique du changement laboratoire de recherche de l'institut d'études politiques de paris

Agnès Van Zanten, Observatoire sociologique du changement, laboratoire de recherche de l'Institut d'études politiques de Paris :

Je me suis beaucoup intéressée ces derniers temps à toutes ces questions et nous avons conduit nous-mêmes un certain nombre d'évaluations, dans le cadre des travaux menés récemment sur les politiques d'ouverture sociale, notamment.

Pour le cas que vous évoquez, nous nous situons dans une configuration un peu particulière dans la mesure où aucun ministère n'est pleinement compétent sur la question des grandes écoles. Celles-ci ne dépendent pas toutes, en effet, du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de l'éducation nationale est encore moins compétent sur toutes ces problématiques. Certaines de ces institutions se montrent en outre très réticentes lorsqu'il s'agit de communiquer sur certains types de résultats, portant notamment sur les élèves qui échouent, tandis que d'autres font l'objet d'une importante médiatisation. Les grandes écoles ont effet entrepris un important travail de légitimation, en regard des critiques de fermeture sociale dont elles font souvent l'objet, et ne sont donc pas très enclines à fournir des chiffres susceptibles d'apporter de l'eau au moulin de leurs détracteurs.

J'estime pourtant que certaines de ces écoles ont su mettre en place des dispositifs efficaces, comme le modèle de dissémination expérimenté par l'ESSEC, apportant par là même leur contribution à l'amélioration du management des réformes. Le nouveau modèle d'intégration proposé par Sciences Po a lui aussi démontré son efficacité. Néanmoins, dans la mesure où ces initiatives suscitent généralement une forte attention médiatique, il me semble que l'on est en train de glisser vers l'idée que l'on ne peut pas s'attaquer aux difficultés du plus grand nombre et que l'on doit se contenter d'extraire les meilleurs éléments des établissements les plus défavorisés pour les sauver. Les tentatives de contournement de la carte scolaire pour les élèves boursiers les plus méritants, ou la mise en place d'internats d'excellence, participent également à un tel glissement.

Tous ces dispositifs reposent sur l'idée d'une « contamination positive » possible, au sein d'une même famille ou d'un même lycée. Néanmoins, s'il n'est pas exclu que la réussite de quelques-uns ait des effets favorables sur le plus grand nombre, on peut également recenser, dans le même temps, une foule d'effets négatifs sur le thème du « pourquoi pas moi », impliquant un découragement des individus qui n'auront pas été sélectionnés dans le cadre d'une première vague d'expérimentation.

La problématique de renouvellement des élites est tout à fait différente de celle consistant à lutter contre les inégalités d'éducation. Aux États-Unis notamment, nous avons assisté à un grand mouvement de renouvellement des élites, grâce aux politiques d'affirmative action, et ce alors même que la situation des élèves noirs dans les lycées les plus défavorisés n'a fait que se dégrader au fil des ans.

De fait, il est beaucoup plus facile de travailler avec un petit groupe d'élèves très motivés et bien encadrés, issus de milieux sociaux pas nécessairement très défavorisés, plutôt que de s'attaquer aux difficultés du plus grand nombre. A cet égard, les enseignants très militants que j'ai connus dans les ZEP dans les années 1980 sont aujourd'hui ceux qui enseignent dans les lycées partenaires de Sciences Po ou qui participent activement à toutes ces expériences plus ciblées et dont le retour sur investissement est plus directement visible. Pour intéressantes qu'elles soient, toutes ces expériences n'en sont pas moins problématiques dans la mesure où elles ont tendance à se substituer à une réelle politique de lutte contre les inégalités.

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