Intervention de Philippe Douste-Blazy

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 décembre 2005 : 2ème réunion
Audition de M. Philippe Douste-blazy ministre des affaires étrangères

Philippe Douste-Blazy :

a relevé qu'il s'agissait d'une avancée considérable pour toute l'Europe, car la convergence économique et sociale qui en découlera entre anciens et nouveaux pays membres limitera les risques de « dumping » social et de délocalisation au sein de l'Union à vingt-cinq. Cet accord sur le financement de l'élargissement est également un élément positif pour la France, qui investit et commerce activement dans les nouveaux Etats membres, et notamment en Pologne.

Le ministre a souligné que le rôle joué par la France, tout au long de la négociation, a permis de promouvoir une communauté européenne d'intérêts. La qualité de la coopération avec l'Allemagne a été réaffirmée et s'est révélée déterminante dans l'issue favorable de négociations. Ce pilier franco-allemand s'est vu renforcé par son ouverture vers les nouveaux Etats membres, tels que la Pologne, la Hongrie ou la Lituanie, qui ont pris conscience de l'attention que la France portait à leurs intérêts. Le ministre a estimé qu'un autre motif important de satisfaction résidait dans la préservation des intérêts français ; ainsi, les crédits des actions de « marché » de la politique agricole commune ont été préservés au regard de la proposition initiale de la Commission. Ils représentent en effet 293 milliards d'euros sur les 301 milliards initialement proposés par la Commission, ce qui devrait assurer à notre pays des retours financiers d'environ 57 milliards d'euros pour la période 2007-2013. De plus, les bénéfices en matière d'action structurelle sont importants, estimés à 9 milliards d'euros sur la même période, assortis d'une allocation supplémentaire de 100 millions d'euros qui bénéficieront, pour 30 millions à la Corse et pour 70 millions au Hainaut français. Enfin, 6 milliards d'euros devraient revenir au développement rural français pour la même période.

a rappelé que le rabais britannique avait été durablement modifié pour la première fois depuis 1984, ce qui conduira le Royaume-Uni à payer sa juste part des coûts de l'élargissement européen. Seules resteront soumises au rabais britanniques les dépenses d'élargissement liées aux dépenses de « marché » de la PAC, ce qui équivaudra à une réduction de 10,5 milliards d'euros du rabais durant la période 2007-2013. Le ministre a salué, à cet égard, le courage et l'engagement européen manifesté par le Premier ministre Tony Blair, pour avoir accepté ce compromis. Il a rappelé que la participation britannique au financement de l'élargissement est un acquis définitif qui se prolongera au-delà de 2013, soulignant qu'il s'agissait là d'un point majeur pour la France. En revanche, les concessions financières obtenues par l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et l'Autriche sont temporaires et prendront fin en 2013. Cet accord conduit donc à un rééquilibrage entre le solde net français, qui sera en moyenne pour la période de 0,38 % sur la période considérée, et le solde net allemand qui s'élèvera pour sa part à 0,42 %.

En conclusion, le ministre s'est félicité de ce que les intérêts budgétaires français aient été préservés : avec un budget équivalent à 1,045 % du produit intérieur brut de l'Union européenne, la contribution française s'élèvera à 135 milliards pour la période 2007-2013, ce que la France avait accepté en juin dernier sous présidence luxembourgeoise. Le rythme d'exécution des différents programmes et la capacité d'absorption des fonds européens par les nouveaux Etats membres pourraient peut-être conduire à une contribution légèrement inférieure.

Le ministre a estimé que le risque de voir le Parlement européen, dont l'approbation est indispensable pour la validation de l'accord, tenter de négocier à la hausse le volume de ces crédits est faible, compte tenu de la difficulté de modifier ce point d'équilibre. Il a par ailleurs rendu hommage à l'action de Mme Catherine Colonna, ministre des affaires européennes, qui a permis la diminution de la contribution française au Fonds européen de développement (FED) de 24,3 % actuellement à 19,5 % pour le prochain FED, soit une économie d'1 milliard d'euros pour la période considérée. Enfin, le ministre a souligné que la clause de rendez-vous demandée par le Royaume-Uni, pour l'année 2008, portera sur l'ensemble des dépenses et des recettes du budget, et que d'éventuelles décisions du Conseil européen prises dans ce cadre nécessiteront l'unanimité.

Le ministre a ensuite évoqué le futur statut du Kosovo, sujet qu'il a évoqué lors d'un récent déplacement dans les Balkans. Rappelant que les négociations sur ce territoire ont commencé il y a trois semaines, avec les premières prises de contacts de l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Marti Ahtisaari, le ministre a constaté l'opposition profonde existant entre Belgrade et Pristina sur l'avenir de ce territoire. Les dirigeants serbes se disent ouverts à un compromis qui confèrerait au Kosovo « plus que l'autonomie mais moins que l'indépendance », mais les dirigeants kosovars albanais, au premier rang desquels le Président Ibrahim Rugova, n'ont d'autre option que l'indépendance, et sont soutenus sur ce point par 90 % de la population. Cette approche s'oppose frontalement à la conception serbe, exprimée tant par le président de la Serbie, M. Boris Tadic que par son Premier ministre, qui n'envisage aucune perte de souveraineté sur le Kosovo. Cette conviction se fonde essentiellement sur un argumentaire juridique, mais également sur la crainte qu'un recul, même minime, sur ce sujet sensible, ne favorise le retour au pouvoir, à Belgrade, des ultranationalistes.

Le ministre a indiqué qu'il avait appelé ses interlocuteurs à une attitude plus constructive, qui se traduirait par une décentralisation poussée du Kosovo, accompagnée d'un soutien européen dans la défense de la minorité serbe qui y réside. Le ministre a également incité ses interlocuteurs à plus de réalisme, dans la mesure où la Serbie a, dans les faits, perdu tout contrôle sur le Kosovo depuis la guerre de 1999 et que l'immense majorité de la population kosovare, à 90 % albanaise, revendique l'indépendance. Il a souligné qu'il convenait de canaliser les futures négociations selon les principes directeurs qui ont été élaborés par le groupe de contact dont la France fait partie, et qui ont été acceptés par M. Ahtisaari. Ces principes constituent des éléments directeurs importants pour la négociation, puisqu'ils excluent tant la partition du Kosovo qu'un retour au statu-quo antérieur à 1999, ou encore son rattachement à un Etat tiers, dans la perspective d'une « grande Albanie ».

Le ministre a souligné que le statut futur du Kosovo devrait intégrer la nécessité d'une forte décentralisation, d'une protection renforcée du patrimoine orthodoxe et du maintien d'une présence internationale. Il a précisé que ses entretiens avec les Kosovars albanais avaient mis l'accent sur la nécessaire protection des minorités, qui constitue la condition indispensable à une démarche indépendantiste crédible. Le ministre s'est réjoui qu'à l'occasion de sa récente visite à Paris, le président Tadic ait fait état de la priorité accordée à la protection de la minorité serbe et de son patrimoine religieux au Kosovo, suivant en cela les suggestions de la diplomatie française.

a alors évoqué sa visite à Belgrade, intervenue au lendemain de l'arrestation du général croate Ante Gotovina. Cette arrestation a fourni l'occasion de souligner l'absolue nécessité que MM. Mladic et Karadzic soient livrés au plus tôt au tribunal pénal international de La Haye. Cette exigence est un préalable indispensable à un éventuel rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne, mais également une obligation morale, dix ans après la signature des accords de paix de Dayton-Paris qui ont mis fin à la guerre de Bosnie.

Le ministre a ensuite évoqué l'action de la communauté internationale au Liban, qui s'est développée avec l'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri, condamnant vivement le récent assassinat du journaliste et député Gebrane Tueni. Il a rappelé que le gouvernement libanais avait saisi le Conseil de sécurité des Nations Unies d'une double requête, visant à élargir le mandat de la commission Mehlis à tous les assassinats perpétrés au Liban depuis la disparition de Rafic Hariri, et à mettre en place un tribunal international pour en juger les responsables. Par sa résolution 1644 adoptée à l'unanimité, le Conseil de sécurité a demandé à la commission d'enquête présente au Liban d'apporter son assistance technique aux autorités de ce pays, et a invité le Secrétaire général Kofi Annan, a examiner, en liaison avec le gouvernement libanais, la perspective d'un éventuel tribunal international. Le ministre a rappelé que la commission d'enquête internationale, dirigée par le juge Mehlis, qui achève son mandat, a présenté un nouveau rapport d'étape qui énumère plusieurs pistes possibles s'agissant d'éventuels suspects.

Cette même résolution 1644 prolonge le mandat de la commission d'enquête pour six mois, à compter du 15 décembre 2005 et réaffirme l'exigence posée par la communauté internationale d'une coopération inconditionnelle, immédiate et sans ambiguïté de la Syrie. Le ministre rappelé que la France était satisfaite du contenu de cette résolution qui a illustré l'unité du Conseil de sécurité sur le dossier libanais et le soutien qu'il apporte au premier ministre libanais Fouad Siniora.

Le ministre a évoqué enfin le récent sommet France-Afrique réuni à Bamako au Mali, rappelant que le continent africain avait déjà été à l'ordre du jour du dernier Sommet du G8 réuni en juin 2005, du Sommet du Millénaire à New York en septembre et de la réunion de l'Organisation mondiale du commerce qui vient de s'achever à Hong Kong. Le ministre a rappelé que le Sommet de Bamako s'était déroulé sur le thème de la jeunesse africaine ; en effet, les deux tiers de la population africain ont moins de 25 ans et constituent donc un enjeu social, politique et économique majeur. Il a rappelé la nécessité de fournir des perspectives positives à cette jeunesse dont la dynamique démographique pourrait, à défaut, constituer à l'avenir une menace, non seulement pour le continent africain, mais également pour la France et pour l'Europe. Le Sommet de Bamako a adopté une réponse globale à ce problème portant sur le refus de toute immigration illégale, sur l'amélioration de l'accueil des immigrants réguliers et sur le renforcement du développement dans les pays d'origine pour réduire l'incitation au départ de ses populations. Ce renforcement devra passer par une amélioration des conditions de santé et d'emploi prévalant sur le continent africain et par un retour des compétences et des capitaux dans leur pays d'origine. Le ministre a souligné qu'il entreprendrait un effort déterminé en faveur du co-développement dans les mois à venir.

Evoquant la Côte d'Ivoire, M. Philippe Douste-Blazy a rappelé que la phase actuelle de préparation des élections dans un processus encadré par les Nations unies et par l'Union africaine était cruciale et que sa réussite permettrait seule la résolution de cette crise. Le ministre a cependant rappelé que beaucoup restait à faire d'ici à l'échéance du 31 octobre 2006 pour assurer le retour de l'administration d'Etat sur l'ensemble du territoire et mettre en oeuvre le délicat processus de désarmement. Il a souligné que la récente nomination comme premier ministre de M. Charles Konan Banny était prometteuse, de même que le retour en Côte d'Ivoire du dirigeant d'opposition Alassane Ouattara.

Le ministre a enfin évoqué la situation préoccupante qui prévalait au Tchad, pays fragilisé par la crise qui a touché le Darfour voisin. La semaine écoulée a été marquée par des combats à l'Est du pays, à la frontière soudanaise, alors que les désertions se multiplient parmi les cadres civils et militaires proches du président Idriss Déby. Le ministre a évoqué les contacts entrepris avec l'Union africaine pour conjurer les tentatives de déstabilisation du président tchadien légitimement élu. La France a par ailleurs renforcé la sécurité des bases militaires de N'Djamena et d'Abéché, ainsi que celle des 1500 ressortissants français et 500 européens résidant au Tchad.

Un débat a suivi l'exposé du ministre des Affaires étrangères.

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