Accueillant l'amiral Jacques Lanxade, M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que celui-ci avait exercé les fonctions de chef d'état-major des armées de 1991 à septembre 1995, et qu'il avait rédigé, avec ses anciens homologues allemand, américain, britannique et néerlandais, un rapport, paru au mois de janvier dernier, intitulé « Vers une grande stratégie pour un monde incertain : renouvellement du partenariat transatlantique ». Ce rapport appelle de ses voeux un renouvellement du partenariat transatlantique et contient un certain nombre de propositions, portant notamment sur le rôle de l'action militaire dans le règlement des crises, la stratégie nucléaire, l'OTAN et l'Europe de la défense. M. Josselin de Rohan, président, a souhaité que l'amiral Lanxade précise ces différents éléments et les conséquences à en tirer pour l'OTAN et l'Europe de la défense, notamment dans le contexte du débat sur la position de la France dans l'OTAN.
En introduction, l'amiral Jacques Lanxade a indiqué que l'origine de ce rapport venait d'une initiative qu'il avait prise, en tant que chef d'état-major des armées, avec ses homologues allemand, américain et britannique, rejoints plus tard par le chef d'état-major hollandais, de se réunir régulièrement de manière informelle pour évoquer les questions de défense et de sécurité. De ces rencontres régulières est née l'idée de ce rapport intitulé « Vers une grande stratégie dans un monde incertain : renouvellement du partenariat transatlantique » et publié au mois de janvier 2008. Il a précisé que la rédaction du rapport avait fait l'objet d'une « négociation » entre ses différents auteurs qui avaient nécessairement dû accepter des compromis, mais qu'il s'associait pleinement au document final.
Ce rapport comporte 4 chapitres.
Le premier chapitre procède à une analyse géostratégique des défis de sécurité actuels et à venir. Il cite les différents facteurs de crise ou de tension en insistant sur la nécessité de les prendre en compte par une approche globale. Il souligne également la montée des menaces asymétriques.
Le deuxième chapitre évalue la capacité du système international actuel à faire face à ces nouveaux défis. Aux Nations unies revient le rôle essentiel de faire respecter le droit international, mais leur capacité réelle est amoindrie par des désaccords politiques insurmontables du fait de la règle du consensus et par des faiblesses dans la conduite des opérations de maintien de la paix. L'Union européenne dispose d'une réelle capacité politique et économique, mais elle est handicapée tant par l'absence de consensus entre ses Etats membres que par l'insuffisance de ses capacités dans les domaines de la défense et de la sécurité. Quant à l'OTAN, elle a efficacement rempli sa mission pendant toute la guerre froide, mais le fait qu'elle dispose de moyens essentiellement militaires limite son aptitude à faire face au nouveau contexte stratégique. Le rapport conclut qu'aucune organisation internationale ou régionale, ni aucun pays, pas même les Etats-Unis, n'est en mesure, à lui seul, de faire face aux nouveaux défis. Un tel constat représente en lui-même une évolution significative au regard des conceptions traditionnelles de certains de nos partenaires.
Le troisième chapitre identifie les éléments d'une « grande stratégie » visant à mettre en oeuvre de manière conjointe et coordonnée tous les moyens de la puissance pour atteindre un objectif politique donné, en temps de paix comme en temps de guerre. Cette stratégie devrait englober les quatre phases de la crise (la prévention, la gestion de la crise par les moyens non militaires, l'engagement militaire et la stabilisation), et s'inscrire dans la durée. L'un des principaux enseignements des conflits actuels concerne le temps nécessaire au règlement des crises, qui a été gravement sous-estimé.
Le dernier chapitre regroupe les propositions portant sur l'organisation du système international. Il constate qu'aucune organisation internationale ou régionale n'est en mesure de répondre à elle seule aux défis actuels, sans pour autant proposer la création d'une nouvelle organisation, ni de confier à une seule organisation l'ensemble des missions. Le rapport propose plutôt de réformer les organisations existantes, en particulier l'Union européenne et l'OTAN, et d'organiser une meilleure coopération entre elles.
En ce qui concerne l'OTAN, le rapport considère qu'elle doit absolument se doter d'un nouveau concept stratégique en remplacement de celui de 1999, aujourd'hui dépassé. Il est également nécessaire de modifier le mécanisme de prise de décision. La règle de l'unanimité devrait être réservée aux affaires traitées par le Conseil de l'Atlantique Nord, organe de direction de l'OTAN. Dès lors qu'une décision a été adoptée à l'unanimité du Conseil, un vote à la majorité devrait suffire pour sa mise en oeuvre pratique au sein des comités ou groupes de travail subordonnés. Il serait également souhaitable que, seules, les nations qui contribuent militairement à une opération aient voix au chapitre dans la conduite de cette opération.
Par ailleurs, pour tenir compte de l'expérience des opérations précédentes, par exemple en Afghanistan, le rapport préconise l'abrogation des restrictions nationales (« caveats ») par lesquelles les nations encadrent la mission de leurs contingents sur le terrain. Le commandant d'opération de l'OTAN devrait exercer véritablement le commandement opérationnel sur l'ensemble des troupes mises à sa disposition.
Il serait également souhaitable de réformer le financement des opérations de l'OTAN. Le financement commun par le budget de l'OTAN devrait devenir la règle, alors qu'aujourd'hui le coût des opérations est principalement assumé par chaque nation contributrice.
Le rapport plaide aussi pour une approche prudente du processus d'élargissement. Toute nouvelle adhésion devrait être décidée en fonction de la capacité de l'Alliance à assurer la défense collective du nouvel Etat membre, mais aussi de la capacité de cet Etat à y contribuer. Le rapport définit trois cercles : le premier cercle serait limité aux Etats liés par l'article 5 du traité de Washington autour du principe de la défense collective ; le deuxième cercle couvrirait la zone des approches du territoire européen ; enfin, le troisième cercle, plus large, engloberait les partenaires désireux de contribuer à une zone de stabilité.
S'agissant de l'Union européenne, les mêmes principes pourraient s'appliquer, mais le point essentiel tient à l'insuffisance des capacités d'action militaire. Celle-ci prive l'Europe des possibilités d'agir de manière autonome et la handicape dans son dialogue avec les Etats-Unis.
Concernant le renforcement de la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN, il semble nécessaire de changer d'état d'esprit, en dépassant la méfiance réciproque qui existe actuellement entre les deux organisations, ou du moins entre leurs bureaucraties. De même qu'il existe un accord dit « Berlin plus », donnant à l'Union européenne la possibilité de recourir aux moyens militaires de l'OTAN, il devrait y avoir un accord « Berlin plus » à l'envers, garantissant à l'OTAN de pouvoir s'appuyer sur les moyens civils de l'Union européenne.
Enfin, compte tenu de la communauté d'intérêt qui lie les pays de l'Union européenne et les Etats-Unis, le rapport propose l'institution d'un « directoire » (« directorate ») au plus haut niveau politique, associant les Etats-Unis, l'Union européenne et l'OTAN. Ce directoire analyserait la situation et assurerait la coordination en matière de réponses aux crises, de manière à décider, sur chaque sujet, s'il faut agir ou ne pas agir, et quelle partie devrait assurer le leadership.
Cette idée de directoire a été avancée par le général Naumann, coauteur du rapport et ancien président du Comité militaire de l'OTAN.
Au départ, l'amiral Jacques Lanxade était plutôt favorable à une sorte de Conseil stratégique entre les Etats-Unis et l'Union européenne, mais à la réflexion, l'idée d'un directoire lui semble désormais préférable. Le directoire réunirait en effet deux entités politiques, les Etats-Unis et l'Union européenne, et deux organisations, l'OTAN et l'Union européenne, cette dernière étant en quelque sorte à la fois une organisation et une entité politique.
Le plus difficile à convaincre a été l'ancien chef d'état-major britannique, le général Peter Inge.
Cette idée d'un directoire entre les Etats-Unis, l'Union européenne et l'OTAN a reçu un accueil très positif, tant à l'OTAN qu'à Washington. Elle suppose toutefois que le traité de Lisbonne soit ratifié et que les nouvelles institutions prévues par ce traité, en particulier le Président du Conseil européen et le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, puissent jouer pleinement leur rôle.
En conclusion, l'amiral Jacques Lanxade a évoqué les relations entre la France et l'OTAN. Il a rappelé que la décision prise par le général de Gaulle en 1967 de quitter le commandement militaire intégré de l'OTAN visait à préserver l'autonomie de décision de la France, notamment après l'acquisition de la force de frappe, et que cette situation avait perduré tout au long de la guerre froide sous tous les gouvernements successifs.
Toutefois, devant l'incapacité des Européens et des Nations unies à faire cesser les conflits liés à l'éclatement de la Yougoslavie au début des années 1990, le recours à l'OTAN s'est imposé. Le président François Mitterrand avait accepté de modifier notre position vis-à-vis de l'OTAN de manière à ce que, les forces françaises étant engagées, la France puisse participer à la décision, à la planification et au commandement. Il avait également accepté que le chef d'état-major des armées participe au comité militaire de l'OTAN dès lors que l'emploi des forces était évoqué, décision qui a été effectivement mise en oeuvre par le Président Jacques Chirac. Ce dernier avait en outre envisagé que la France réintègre le commandement militaire intégré de l'OTAN, tout en subordonnant cette éventualité à la nomination d'un européen au poste de commandant de la zone sud, ce qui n'a pas été accepté.
Aujourd'hui, la question se pose à nouveau, car on voit bien que l'on ne pourra pas poursuivre la construction d'une Europe de la défense si celle-ci se fait contre l'OTAN. Cela était déjà difficile avant les derniers élargissements de l'Union, mais cela l'est encore plus aujourd'hui. Il est donc indispensable de modifier notre approche à l'égard de l'OTAN.
Aux yeux de l'amiral Jacques Lanxade, le plus important est de participer de manière constructive à la rénovation de l'OTAN et de changer d'attitude à son égard. Il faut donc améliorer la qualité de notre relation avec l'OTAN, sans que cela n'implique nécessairement un retour de la France dans le commandement militaire intégré. Une telle réintégration serait sans doute aujourd'hui prématurée et elle aurait un coût non négligeable, tant en termes politique qu'en termes d'effectifs, pour des gains incertains. Au demeurant, la structure de commandement territorial de l'OTAN, bien qu'ayant été réformée, n'est plus adaptée au contexte actuel et s'avère excessivement bureaucratique. Un changement de la position de la France à l'égard de l'OTAN supposerait néanmoins que les Etats-Unis et certains de nos partenaires acceptent clairement le développement d'une politique européenne de sécurité et de défense autonome. On peut à cet égard relever une amorce de changement d'attitude de la part des responsables américains, comme en témoignent les déclarations de l'ambassadeur américain à l'OTAN.