Intervention de Serge Vinçon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 22 mars 2006 : 1ère réunion
Afrique — Gestion des crises en afrique subsaharienne - Audition du général bentegeat chef d'état-major des armées

Photo de Serge VinçonSerge Vinçon, président :

a évoqué l'impact des crises diverses et récurrentes qui affectent l'Afrique subsaharienne et qui s'ajoutent aux autres maux dont souffre le continent, compromettant ainsi toute réelle perspective de développement. Il a rappelé que la commission venait de décider d'effectuer une mission d'information sur la gestion des crises africaines, sur les plans militaire et politique. Il a estimé que l'audition du chef d'état-major des armées était à ce titre particulièrement opportune, afin notamment d'évaluer les conditions dans lesquelles la France, les autres acteurs internationaux et les Africains eux-mêmes sont amenés à s'impliquer dans la résolution de ces crises.

Le général Henri Bentegeat, chef d'état-major des armées, a tout d'abord souligné que l'armée française était concernée au quotidien par les crises africaines, puisque environ 11.000 de ses hommes stationnaient actuellement sur le continent, ce qui représentait un tiers des effectifs militaires déployés hors de la métropole. Il a ensuite énuméré les principaux facteurs faisant de l'Afrique un terrain propice aux crises : une situation en marge de la mondialisation, sauf en ce qui concerne ses aspects les plus dommageables, comme les pandémies ou la criminalité ; des difficultés économiques considérables, souvent conjuguées à des luttes pour le contrôle de matières premières convoitées ; des sociétés déstructurées.

Il a estimé qu'il en résultait une montée des risques, dont l'impact était de plus en plus sensible hors du continent, sous l'effet des migrations, des trafics de drogue ou d'armements ou encore des extrémismes religieux. Soulignant que l'analyse des menaces faisait l'objet d'un assez grand consensus entre partenaires américains et européens, il a distingué, à grands traits, deux grandes catégories de crises : les premières liées à la mauvaise gouvernance et à la difficile gestion des successions, en particulier en Afrique de l'Ouest ; les secondes relevant de fractures ethniques ou religieuses et touchant notamment à la problématique des relations entre monde islamique, monde arabe et monde noir. Il a considéré le cas du Soudan comme particulièrement emblématique, avec l'existence d'un double conflit, au sud et à l'ouest du pays, une forte déformation médiatique, un réel potentiel de déstabilisation régionale, vers le Tchad et la Corne de l'Afrique, et enfin une perspective de partition.

Le chef d'état-major des armées a ensuite constaté que ces crises demeuraient la plupart du temps à un bas niveau d'intensité militaire, mais qu'elles avaient tendance à s'inscrire sur une longue durée et à concerner des territoires étendus, avec parfois des caractéristiques dramatiques, comme des déplacements de population ou la présence d'enfants-soldats. Il a ajouté que les opérations de stabilisation exigeaient généralement d'importants moyens humains.

Ces crises, a-t-il poursuivi, font l'objet d'une implication de plus en plus forte de la communauté internationale. L'Union européenne a conduit en République démocratique du Congo l'opération Artemis, ainsi que deux opérations de police, avant de constituer une force pour le soutien aux futures élections. La Commission européenne a dégagé d'importants soutiens financiers, notamment dans le cadre de la facilité de paix. Les Nations unies, pour leur part, ont plus assuré des fonctions d'interposition que contribué à la résolution militaire des crises. Quant à l'OTAN, elle souhaite s'engager davantage en Afrique sous l'impulsion notamment des Etats-Unis et de son secrétaire général. Le bilan de l'action internationale est toutefois mitigé. Les processus de sortie de crise s'avèrent particulièrement lents, en raison des difficultés récurrentes à imposer des règlements politiques. L'efficacité militaire de l'ONU reste insuffisante. La visibilité européenne demeure faible, malgré les moyens engagés.

S'agissant de l'appropriation par les Africains eux-mêmes de la gestion des crises, le général Henri Bentegeat a considéré qu'elle était souhaitée par ces derniers, tout comme par la communauté internationale. Cette démarche volontariste, engagée par l'Union africaine, les organisations sous-régionales et leurs différentes instances, fait apparaître un décalage entre des ambitions très fortes, comme la création de brigades en attente dans chacune des cinq sous-régions, et des résultats limités, du fait de la faiblesse des capacités de commandement et de conduite d'opération, du manque de matériel et de moyens logistiques, de la qualité insuffisante des troupes, mais aussi des rivalités entre les différents Etats et leurs dirigeants. La multiplicité des médiateurs, tout comme la fragilité des compromis obtenus ont souvent conduit à des solutions difficilement viables que la communauté internationale a dû néanmoins endosser, puis gérer.

Le chef d'état-major des armées a plus particulièrement évoqué le rôle de l'Afrique du sud, qui jouit d'une aura politique incontestable et bénéficie de son poids économique et militaire. Il a observé que son implication s'était souvent révélée pertinente, sans pour autant que soient évitées des difficultés liées au poids du passé et à la complexité des relations avec les anciennes puissances coloniales. Il a par ailleurs jugé que le Sénégal se tenait actuellement plus en retrait, même si ses capacités militaires en font le premier contributeur de troupes pour les opérations de gestion de crises en Afrique.

Le général Henri Bentegeat a ensuite présenté le rôle militaire de la France en Afrique et les perspectives d'évolution de son dispositif. Il a rappelé l'action stabilisatrice de la présence militaire française, tout en soulignant qu'aujourd'hui, la notion de « pré-carré » s'estompait, de même qu'il n'était plus souhaitable que la France se trouve seule en position de devoir y régler les crises. Il a souligné que toute éventuelle intervention militaire française supposait une décision et un mandat de l'ONU, ainsi qu'une demande des organisations régionales ou sous-régionales, et que la responsabilité des opérations devait être aussi rapidement que possible confiée à d'autres acteurs, européens ou africains.

S'agissant du dispositif militaire permanent, il a précisé qu'il comptait environ 6 000 hommes répartis essentiellement entre le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Gabon, le Tchad et Djibouti, et qu'il pouvait être complété par les forces françaises à la Réunion. Il a indiqué que le Président de la République avait décidé une réorientation axée sur une aide à la montée en puissance des brigades en attente dont devaient se doter les organisations sous-régionales. Ainsi, les états-majors français de Dakar, Libreville, la Réunion et Djibouti seront à terme respectivement chargés du soutien à la mise sur pied des brigades relevant de la CEDEAO (Communauté économique et monétaire des Etats d'Afrique de l'ouest), de la CEMAC (Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale), de la SADC (Southern african development community) et de l'IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement).

Le général Henri Bentegeat a rappelé les actions conduites par la France dans le cadre du programme RECAMP (renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) : soutien à la formation de cadres militaires africains ; aide à l'entraînement et à la réalisation d'exercices ; soutien direct aux pays engagés dans les opérations par la fourniture de matériels et l'aide logistique. Il a indiqué que la France a souhaité que ce programme soit désormais pris en charge par l'Union européenne et que la proposition en avait été faite au Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, M. Javier Solana, ainsi qu'au comité politique et de sécurité (COPS).

Enfin, le général Henri Bentegeat a abordé la problématique des accords de défense liant la France et sept Etats africains. Il a rappelé que, pour la plupart, ces accords remontaient aux années ayant immédiatement suivi les indépendances. Il a précisé que dans tous les cas, la France conservait la possibilité d'apprécier, en fonction de la situation, si la demande éventuelle d'un Etat répond bien aux critères de mise en oeuvre de l'accord. Il a estimé que la révision de ces accords de défense donnerait lieu à des débats complexes et comporterait sans doute plus d'inconvénients que d'avantages. Par ailleurs, il a évoqué le bilan en demi-teinte de la coopération militaire et de défense, en dépit de l'aide réelle à la mise en place de capacités opérationnelles.

En conclusion, le chef d'état-major des armées a souligné la nécessité urgente de continuer d'intéresser nos partenaires européens aux problèmes de sécurité en Afrique. Il a estimé que le dispositif français sur le continent méritait sans doute d'être progressivement rationalisé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion