Intervention de André Ferrand

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 24 juin 2008 : 2ème réunion
Contrôle budgétaire — Immigration économique - communication

Photo de André FerrandAndré Ferrand, rapporteur spécial :

Enfin, la commission a entendu une communication de M. André Ferrand, rapporteur spécial, sur les administrations chargées de l'immigration économique.

a rendu compte de son contrôle sur pièces et sur place des administrations responsables de la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement en matière d'immigration professionnelle.

Il a rappelé, tout d'abord, que l'immigration professionnelle correspond à un axe fort de la politique du Président de la République : porter la part de l'immigration économique jusqu'à 50 % des flux totaux d'immigration. Il a indiqué qu'il avait souhaité savoir comment les services de l'Etat mettant en oeuvre cet objectif et quelles difficultés éventuelles ils rencontrent. Il a précisé qu'il s'agissait d'un rapport d'étape, puisque le ministère de l'immigration avait un an à peine, son administration centrale ayant été créée au 1er janvier 2008.

Il s'est félicité d'avoir bénéficié, en application de l'article 58-1 de la LOLF, de l'assistance de M. le préfet Jean-Yves Audouin, rapporteur à la 5e chambre de la Cour des comptes, pour bâtir son programme d'auditions et de déplacements, ainsi que pour l'élaboration d'un questionnaire qu'il avait adressé à un échantillon de 15 préfectures et de 14 consulats. Il a reçu, par ailleurs, les résultats d'une étude comparative sur les administrations de l'immigration professionnelle dans six pays de l'OCDE, commandées à la direction générale du Trésor et de la politique économique (DGTPE) par la commission.

tout en précisant que l'immigration professionnelle constitue une nécessité, a indiqué qu'elle correspond à trois priorités distinctes et complémentaires :

- attirer en France des talents, des « accélérateurs de croissance » ;

- répondre aux besoins des secteurs économiques face à une pénurie de main d'oeuvre. L'immigration est une solution de complément à l'offre de travail en France face aux tensions de recrutement dans certains secteurs, qui pourraient se développer à l'avenir. Selon les fédérations professionnelles, il s'agit bien d'une solution de complément et la politique du Gouvernement doit d'abord favoriser le retour à l'emploi des publics les plus éloignés ;

- favoriser l'intégration professionnelle des primo-arrivants au titre, par exemple, du regroupement familial.

Il a déclaré que, face à cette reconnaissance du développement de l'immigration professionnelle, notre pays souffre d'un certain retard par rapport à des pays qui sont, par essence, des pays d'immigration, comme l'Australie, le Canada ou les Etats-Unis, mais aussi l'Espagne ou le Royaume-Uni.

Ces pays ont mis en place, depuis plusieurs années, une politique particulièrement aboutie d'attraction des talents et des compétences, cette politique reposant sur une immigration professionnelle tant qualifiée que non qualifiée.

a ensuite jugé que notre pays souffre de plusieurs faiblesses. Ainsi, en 2006, sur 191.475 titres de séjour délivrés, seuls, 13.471 l'ont été pour un motif économique, soit 7 %. Ce pourcentage a atteint 9,7 % en 2007 grâce aux migrations issues des nouveaux Etats membres de l'Union européenne soumis à dispositions transitoires, il serait même de 16 % sur les cinq premiers mois de l'année 2008. Il a précisé que les instruments de la politique de l'immigration professionnelle ne sont pas encore à l'oeuvre, mais que le changement de cap du Gouvernement rencontre, d'ores et déjà, des échos de la part des ressortissants étrangers.

Il a également souligné que le taux d'immigration économique pour les ressortissants des pays tiers à l'Union européenne est plus faible et qu'il s'établissait à 5,8 % en 2006.

Il a aussi indiqué que, surtout depuis 2003, plus d'un travailleur permanent sur deux admis au séjour n'entre pas physiquement sur le territoire national, mais bénéficie d'un changement de statut, cette proportion atteignant 68,5 % en 2006. Il a observé que l'immigration professionnelle n'est donc pas fondamentalement aujourd'hui une immigration directe, mais l'aboutissement d'un parcours d'immigration commencé, par exemple, comme étudiant.

Concernant les immigrés venus en France pour des raisons familiales, l'incitation à la recherche d'emploi constitue le « parent pauvre » du processus d'intégration : 61,4 % des signataires du contrat d'accueil et d'intégration en 2006 déclarent avoir eu une activité professionnelle avant leur arrivée en France, mais 30,6 % seulement confient en exercer une en France. Il a noté que les 98,9 millions d'euros de crédits prévus, au titre de l'intégration des migrants, par l'Agence nationale de la cohésion sociale et de l'égalité des chances (Acsé) en 2008 pour les associations, font l'impasse sur le secteur de l'intégration professionnelle active.

s'est ensuite interrogé sur la mise en oeuvre, par les administrations, de la nouvelle politique de l'immigration professionnelle. Il a indiqué que les préfectures et les directions du travail, de l'emploi et de la formation constituent le volet « autorisation de travail » et « carte de séjour » sur le sol national de la nouvelle politique, mais qu'elles doivent disposer d'un bras armé à l'étranger pour attirer en France des candidats potentiels au travail. Il a précisé que l'Agence nationale pour l'accueil des étrangers et des migrants (ANAEM) joue, par ailleurs, un rôle d'animation de l'ensemble du dispositif, ainsi qu'une fonction d'accueil et d'intégration de l'ensemble des migrants.

Tout en faisant observer qu'une politique nouvelle nécessitait du temps pour se mettre en place, il en a relevé les difficultés : certains outils ne viendraient à maturité qu'en 2010 et, si cet horizon paraissait lointain sur un plan politique, il était proche, compte tenu des lourdeurs administratives qui aujourd'hui se manifestent lors d'un changement dans l'appareil d'Etat.

Il a ensuite noté que les nouveaux instruments sont mis en oeuvre de manière progressive : sur cinq accords de gestion concertée des flux migratoires négociés, un seul accord passé avec le Gabon a vu sa ratification autorisée par le Parlement le 12 juin 2008, et un délai d'un an reste nécessaire entre la signature de l'accord et la ratification.

Il a précisé que la restructuration de l'ANAEM en un opérateur global de l'immigration et de l'intégration, prévue par la révision générale des politiques publiques (RGPP), ne déboucherait pas avant 2009.

Les listes de métiers dits « en tension » constituent un premier pas mais, pour s'adapter à l'évolution de la demande des entreprises, une actualisation annuelle est indispensable. Il a souhaité que leur méthode d'élaboration soit affinée pour mieux prendre en compte le vécu des entreprises, et ne pas se limiter au rapprochement entre les offres et les demandes d'emploi publiées par l'ANPE.

Il a également constaté que certains instruments connaissent des débuts difficiles, comme la carte « Compétences et talents » ; 44 de ces cartes ont été délivrées à ce jour par rapport à un objectif de 2000 en 2008 (1.000 par les préfectures et 1.000 par les ambassades). Pour éviter l'échec de ce système, il faut que la commission « Compétences et talents » apporte quelques améliorations, les critères apparaissant en effet trop restrictifs. Il a cité l'exemple d'un sportif qui, pour obtenir cette carte en vue des sports olympiques individuels, doit d'abord avoir été champion national dans son pays d'origine l'année sportive précédant la demande ou avoir participé comme membre titulaire aux championnats continentaux ou mondiaux.

Dans les préfectures, la carte « Compétences et talents » fait en partie double emploi avec les dispositifs prévus en faveur des étudiants et des scientifiques. Dans les postes à l'étranger, le « marketing » des ambassades en la matière est peu dynamique, voire inexistant, alors que c'est d'abord à l'étranger que la carte devait être promue.

Cette carte parait, enfin, très contraignante vis-à-vis des candidats des pays de la zone de solidarité prioritaire : elle devrait donc être toilettée de ses aspects relatifs au codéveloppement et pouvoir être renouvelée au-delà de trois ans, comme le prévoient déjà plusieurs accords relatifs à la gestion concertée des flux migratoires. Il a considéré qu'un même outil ne pouvait à la fois servir deux objectifs : attractivité et codéveloppement.

a jugé qu'avant de produire tous ses effets, la nouvelle politique de l'immigration professionnelle doit régler, au cas par cas, la situation d'un certain nombre de travailleurs présents sur notre sol de manière irrégulière, mais employés de manière régulière par des entreprises de bonne foi. Il a estimé qu'il fallait tenir compte de la nature des entreprises, car certains bassins d'emploi peuvent être sous tension, même dans des métiers peu qualifiés. Il a souligné qu'en contrepartie des régularisations, des efforts paraissent nécessaires de la part des fédérations professionnelles : elles doivent résoudre leurs difficultés actuelles de recrutement par une meilleure attractivité des métiers et plus de discernement dans la vérification des documents d'identité de leurs travailleurs.

Le rapporteur spécial a relevé qu'un certain attentisme administratif constitue un autre obstacle à surmonter. Il existe un écart significatif entre la volonté politique d'un changement de cap et la nécessité de passer par des administrations aux cultures de travail très diverses, parfois contradictoires, et sur lesquelles le ministère de l'immigration n'a pas toujours une complète autorité. Il a constaté que les administrations privilégient une « logique de guichet passive » plutôt qu'une démarche plus active de prospection, puis de sélection des immigrants économiques, qualifiés ou non. Il a ajouté qu'un changement de culture paraît nécessaire au sein des directions départementales du travail, car elles ont été incitées, depuis 1974, à freiner l'immigration de travail. Ainsi, dans les services de l'Etat à l'étranger, la démarche active de recrutement de talents pour une immigration professionnelle reste encore très éloignée du quotidien.

a proposé plusieurs pistes pour activer davantage l'immigration économique, la première étant de faire preuve de réactivité face aux besoins des entreprises et des salariés. En ce qui concerne les entreprises, il a souhaité qu'un guichet soit dédié à l'immigration économique et que les partenariats avec les chambres de commerce et d'industrie et les services territoriaux de développement économique soient multipliés. Pour les salariés, il a proposé que le titre de séjour soit remis lors de leur passage sur les plateformes de l'ANAEM, dans une logique de guichet unique. Il a considéré que la visite médicale obligatoire réalisée à l'ANAEM paraissait inutile et rallongeait les délais. Le certificat médical devrait donc pouvoir être réalisé par tout médecin.

Par ailleurs, il a souligné que la procédure d'autorisation de travail peut se compter en mois selon la qualité du dialogue que la direction du travail entretient avec la société concernée et la réactivité de l'inspection du travail. Il a donc proposé de rendre le délai de traitement des demandes d'autorisation de travail opposable à l'administration, l'autorisation étant accordée faute de réponse de la direction départementale du travail dans un délai de deux mois.

a indiqué qu'il fallait aussi lever l'obstacle fiscal en divisant par deux la fiscalité de l'immigration professionnelle. Il a rappelé que l'immigration de travail représente 9,4 % des titres de séjour en 2007 et 40 % des taxes sur les migrations, affectées à l'ANAEM. Deux taxes étaient applicables aux employeurs de main d'oeuvre étrangère : une redevance forfaitaire de 168 euros et une « contribution forfaitaire » pour l'emploi de travailleurs d'une durée supérieure ou égale à 12 mois. Cette contribution s'élève à 893 euros si le salaire brut est inférieur à 1.525 euros et à 1.612 euros au-delà.

Si cette fiscalité se révèle marginale dans le cas de l'embauche de travailleurs qualifiés, elle est dissuasive pour les travailleurs peu qualifiés, pour lesquels le total des taxes représente un mois de salaire. De nombreux employeurs préfèrent donc faire appel à la prestation de service internationale ou à l'intérim à l'étranger, voire à des solutions moins avouables, afin d'éluder ces taxes.

Il a donc proposé de diviser la fiscalité de l'immigration professionnelle par deux et de la compenser par un relèvement limité des droits applicables à l'immigration familiale ou une amélioration du taux de recouvrement de la contribution spéciale versée par les employeurs de main d'oeuvre en situation irrégulière. Il a également proposé d'affecter à l'ANAEM une fraction des frais de visas.

La troisième piste consiste à dynamiser les administrations. Ainsi, dans les préfectures, les contacts avec les fédérations professionnelles et les entreprises demanderaient à être développés de façon volontariste.

Au niveau du réseau français à l'étranger, il a regretté que la compétence partagée sur les services des visas entre le ministère des affaires étrangères et le ministère de l'immigration ait introduit de la confusion au sein des consulats, là où la création du ministère de l'immigration doit introduire de la cohérence. Il a souhaité que ce réseau soit plus mobilisé : certaines ambassades restent en attente d'un accord de gestion concertée des flux migratoires pour débuter leur action, alors que des outils, tels que les listes de métiers en tension ou les cartes « Compétences et talents », sont déjà à leur disposition.

Faisant le constat que, faute d'effectifs, beaucoup de consulats ne souhaitent pas prendre en charge la responsabilité de l'immigration professionnelle, il a proposé que les délégations de l'ANAEM à l'étranger constituent le pivot de l'immigration économique sans, pour autant, devenir un nouveau réseau autonome, et qu'elles soient donc hébergées dans les consulats.

s'est enfin demandé comment opérer le rapprochement entre l'offre et la demande d'emploi par delà les frontières. Constatant qu'il manque aujourd'hui, pour assurer le développement de l'immigration économique, un organisme de placement international de la main d'oeuvre, il a estimé que la meilleure source d'information résiderait dans la création, par l'ANPE, d'un site Internet recensant les demandes et les offres d'emploi dans le domaine de l'immigration de travail. Il a ajouté que les accords de gestion concertée des flux migratoires pourraient confier aux administrations des pays d'origine l'organisation de la présélection des candidats, l'initiative privée mettant ensuite en oeuvre le recrutement définitif des travailleurs.

a enfin abordé la professionnalisation de l'immigration familiale. Il a constaté que la signature du contrat d'accueil et d'intégration donne lieu à une information des droits des personnes concernées, mais à aucune incitation concrète à la recherche active d'un emploi. Il a estimé, par conséquent, que l'ANAEM doit organiser une prise de rendez-vous systématique avec des conseillers de l'ANPE au moment de la signature du contrat d'accueil et d'intégration.

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