Il y a quelques semaines, un article de presse qui faisait état d'un rapport prétendument confidentiel émanant de deux membres de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a ému l'opinion. Ce rapport était en fait disponible en ligne depuis plusieurs mois, et M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE, l'avait désavoué dès sa publication. Nul ne conteste les défaillances de notre réseau, mais il faut reconnaître que son état n'est pas si dégradé qu'on le dit. On le compare souvent avec le réseau allemand : outre-Rhin la durée moyenne de coupure était inférieure à 40 minutes par an, contre 68 minutes en France, en 2007. Mais notre pays n'est pas si mal placé en Europe. D'ailleurs, la densité urbaine est plus forte en Allemagne et le réseau souterrain plus développé. Il y a longtemps que les tarifs d'acheminement y sont supérieurs de 60 % à ceux pratiqués en France, ce qui a permis aux Allemands d'investir dans leurs infrastructures. Ici, l'éventualité d'une hausse de 10 % fait frémir !
Il faut également prendre en compte des événements exceptionnels. La tempête de 1999 fut d'abord considérée comme la tempête « centenaire », mais de semblables catastrophes se sont reproduites depuis. Les élus locaux que vous êtes connaissez certainement des anecdotes illustrant les problèmes rencontrés à ces occasions ; mais dans l'ensemble, nous n'avons pas à rougir de notre travail. Depuis 1999 et jusqu'à la tempête Xynthia, le délai de rétablissement des lignes a considérablement diminué : nous avons été au-delà des engagements du contrat de service public. Nos partenaires se montrent satisfaits des relations que nous avons établies avec eux. Pendant les crises, nos salariés étaient chaque jour mobilisés.
L'augmentation de la durée moyenne de coupure depuis 2002, et les écarts constatés entre territoires, montrent qu'un effort d'investissement est nécessaire. C'est pourquoi, depuis 2007, nous augmentons notre budget d'investissement de 300 millions d'euros chaque année : il atteint 2,57 milliards en 2010. Mais les investissements imposés - raccordement des clients et notamment des producteurs d'énergie photovoltaïque et éolienne, modifications d'ouvrages, renforcement des réseaux pour les adapter aux nouveaux modes de production, dépenses liées à des obligations réglementaires comme l'élimination des PCB, moyens d'exploitation et systèmes d'information - représentent à eux seuls 1,87 milliard et il ne reste que 700 millions pour les investissements délibérés. Le développement de la production décentralisée et les nouvelles contraintes environnementales ont fortement accru les dépenses de raccordement. Ainsi, est-il bien légitime que le distributeur supporte l'essentiel du coût de raccordement des producteurs d'énergies renouvelables, et la totalité du coût du renforcement du réseau rendu indispensable par ces nouveaux modes de production, alors que ces producteurs bénéficient déjà de l'obligation d'achat et de niches fiscales associées à ces produits ?
Parallèlement, les ressources des collectivités concédantes ont considérablement augmenté, grâce à l'abondement du fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACE) et à l'envol des redevances depuis 2007. Or elles ont surtout investi pour renforcer les lignes à basse tension, ce qui a peu d'incidence sur la qualité de la fourniture et la sécurité face aux aléas climatiques. Ces ressources constituent pour ERDF des charges d'exploitation, qui réduisent d'autant le cash flow disponible pour investir.
Pas plus qu'aucune entreprise, ERDF ne peut investir plus qu'elle ne gagne. En 2009, ses recettes d'exploitation s'élevaient à 11 milliards d'euros, tandis que ses charges se décomposaient de la manière suivante : 2,9 milliards pour RTE, 1,7 milliard pour les achats des pertes, 2,3 milliards pour le personnel, 1,9 milliard pour les achats externes et 400 millions pour les taxes et impôts. Il restait donc un cash-flow de 2,5 milliards pour un investissement de 2,7 milliards. Or je constate depuis mon arrivée à la tête d'ERDF que les charges ne cessent de s'alourdir, à cause de nouvelles obligations réglementaires relatives, par exemple, à l'élagage ou encore les nouvelles modalités des travaux réalisés à proximité des ouvrages. Par ailleurs, l'évolution du tarif est soumis à un mécanisme de rattrapage, le compte de régularisation des charges et produits, qui prend en compte ces imprévus ; mais l'augmentation maximale est de 2 %, quel que soit le montant des charges nouvelles !
La distinction du plan national et du plan local, propre au modèle français, permet à la fois l'égalité de traitement entre les clients et la prise en compte des particularités locales. Il n'est pas question de remettre en cause ce modèle. Nous proposons une approche globale des investissements, dans le respect des prérogatives de chacun : l'Etat, la CRE, les autorités concédantes et ERDF doivent définir ensemble des priorités - selon la nature des travaux et la zone concernée - et associer leurs efforts afin de les rendre plus efficaces. N'oublions pas que c'est la collectivité nationale qui consent ces investissements par le biais du tarif d'acheminement !
A moyen terme, ERDF recommande de faire supporter aux producteurs d'énergies renouvelables le coût de leur raccordement et du renforcement du réseau nécessaire à leurs installations. D'autres charges imposées pourraient être réduites ou supprimées. Nous nous engageons à affecter l'argent ainsi économisé dans des investissements délibérés visant à renforcer la sécurité des réseaux ; nous promettons la transparence. Enfin, nous entendons renforcer notre partenariat avec la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. C'est le moyen de garantir la péréquation en même temps qu'une adaptation souple aux réalités locales.