Contrairement aux orateurs précédents, je voudrais m'efforcer de vous convaincre que la taxe poids lourds constitue un réel danger pour nos entreprises, du fait de son poids, de la répartition de ce poids, et du contexte dans lequel elle intervient. Je commencerai par vous donner quelques chiffres. Le transport routier de marchandises représente 41 milliards d'euros de chiffres d'affaires en 2009, sensiblement en recul par rapport à 2008 ; 600 millions d'euros de marge nette, ce qui est faible, et 400 000 emplois.
2009 a été une année difficile, avec un recul de 17 % du chiffre d'affaires, de 38 % des immatriculations de poids-lourds, et une destruction de 40 000 emplois exprimés en équivalents temps plein. Vous constatez donc, au regard de l'ensemble de ces données, que nos entreprises sont actuellement fragilisées.
De plus, je voudrais souligner deux caractéristiques du transport routier, qui ont un rapport direct avec notre débat. Premièrement, le transport routier subit déjà un fort niveau de fiscalisation, supérieur aux autres secteurs de l'économie. Ainsi, notre taux de fiscalisation atteint 9 % quand celui de la moyenne des autres secteurs atteint 2,3 %. Notre taxation est ainsi quatre fois supérieure à la moyenne des activités économiques françaises. Or, l'introduction de la taxe poids lourds aggraverait encore cet écart, puisque la taxation du transport routier serait alors cinq fois supérieure à celle des autres secteurs.
Deuxièmement, il faut être conscient que notre pavillon routier n'est plus compétitif et qu'il sombre au niveau international. Ainsi, entre 1992 et 2009, le pavillon routier international a chuté de 67 %. Parallèlement, la France est le pays le plus caboté d'Europe, puisqu'elle accueille le tiers du total du cabotage réalisé dans l'ensemble de l'Europe.
La taxe poids lourds intervient donc dans un contexte peu propice. Elle concernera 15 000 kilomètres de routes taxables sur 4 000 tronçons, ce qui souligne la complexité de sa mise en oeuvre. Les trois quart des véhicules taxés seront français, soit 600 000 sur 800 000. Enfin, le parcours moyen taxé des véhicules sera de 45 kilomètres, d'après les chiffres de l'administration. Le prix moyen de la taxe au kilomètre atteindra 14 centimes pour un véhicule de 40 tonnes classique. Le montant global de la taxe oscillera entre 1,6 et 1,7 milliard d'euros. Il sera réparti entre l'AFITF, à hauteur de 850 millions d'euros, et les collectivités locales, à hauteur de 150 millions d'euros. Le coût de la collecte annuelle représentera quant à lui 250 à 300 millions d'euros. Enfin, il faut y ajouter 400 millions d'euros d'effet report de la circulation des routes sur les autoroutes.
Au-delà de ces chiffres parlants, il convient d'insister sur le double impact négatif, direct et indirect, de la future écotaxe sur les entreprises du secteur. Celle-ci aura un effet direct puisqu'elle représentera de 3,5 % à 6 % du chiffre d'affaires de nos entreprises en moyenne. Certains tronçons, tel que l'axe Rennes-Caen, seront majorés de 13,5 %. Cela bouleversera certainement l'aménagement des territoires. Au niveau indirect, elle aura des conséquences à travers les impayés, la trésorerie, puisque nous devrons payer la taxe avant d'être payés, les trajets à vide, la gestion administrative et les coûts informatiques. Tout cela va considérablement compliquer et alourdir le quotidien de nos entreprises.
Je voudrais aussi faire remarquer que cette taxe a été créée au nom du Grenelle de l'environnement, dans l'objectif de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Or, elle ne changera rien en la matière. En réalité, elle a été inventée pour octroyer à l'AFITF de nouvelles recettes, à la suite de l'assèchement de ses moyens par la privatisation des autoroutes. L'écotaxe ne sera pas susceptible de favoriser le report modal dans la mesure où les parcours taxés concerneront des distances de 45 kilomètres en moyenne. Sur de si courtes distances, la substitution n'est pas possible. En effet, le report modal devient pertinent à partir de 500 à 650 kilomètres. Enfin, cette taxe de courte et moyenne distance touchera, par définition, principalement les véhicules français et pas les non-ressortissants transitant sur le territoire français.
De plus, l'écotaxe s'ajoutera aux 2,5 milliards d'euros de coût de péage acquittés par notre secteur, ce qui revient à instaurer une double peine. La situation n'est pas tout à fait la même en Allemagne. Il faut donc comparer ce qui est comparable.
Je tiens aussi à souligner le mauvais calendrier de l'instauration de cette taxe. En effet, elle sera applicable à partir de 2012-2013, à un moment où la situation va se compliquer encore pour nos entreprises. En effet, à cette date, le cabotage, c'est-à-dire la possibilité pour des véhicules non ressortissants de faire des transports intérieurs, sera ouvert aux plus récents membres de l'Union européenne, avec les différentiels de compétitivité que l'on connaît. La libéralisation totale du cabotage interviendra quant à elle en 2014. Celui-ci est aujourd'hui encadré par un règlement européen, mais les garde-fous en termes de concurrence tomberont en 2014.
Enfin, le fait que la taxe soit perçue par un consortium comprenant un opérateur italien et la SNCF pose un problème supplémentaire d'acceptabilité, au niveau des principes.
Plus important encore, nous estimons que la taxe poids lourds est une véritable usine à gaz dans sa construction et sa perception, car elle nécessite de transformer une taxe que nous payons au kilomètre en tonnes-kilomètres, quels que soient les tonnages, les lots divers d'un véhicule et ses multiples destinations. Pour notre secteur de PME, cela rend l'équation très difficile à résoudre. Nous serons donc particulièrement attentifs au respect des engagements qui ont été pris, ainsi qu'à la prise en compte de certains points qui nous paraissent essentiels :
- la taxe devra être répercutée par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises, conformément à l'article 10 du Grenelle de l'environnement. La loi dispose également que l'État devra instaurer des mesures d'accompagnement pour la mise en oeuvre de la taxe et son impact sur les entreprises ;
- la loi de finances pour 2009 a prévu que le prix du transport serait majoré de plein droit et répercuté de façon directe ou forfaitaire. Tout ceci a été confié à la mission de tarification d'une part, et à la mission Abraham d'autre part, dont je salue la qualité des travaux ;
- l'augmentation des axes reports doit être stoppée. Nous en sommes aujourd'hui à 5 000 kilomètres. Si cela continue, nous remettrons en cause l'occasion ratée que constitue pour nous cette taxe poids lourds. Nous aurions pu choisir une taxe bien organisée et bien construite, à taux plus faible et à assiette plus large. Nous avions exprimé notre préférence pour un tel mode de taxation au moment des débats. Surtout, nous aurions souhaité un mode de perception beaucoup plus cohérent et compatible avec la réalité de nos entreprises ;
- les sommes perçues devront être affectées au financement des infrastructures routières et non d'autres modes de transport, tandis que l'entrée en vigueur de la taxe devra s'accompagner de mesures pour améliorer la compétitivité de nos entreprises, ce qui est notre problème majeur aujourd'hui. Faisons comme les allemands en accompagnant nos entreprises.
De ce point de vue, je soulignerai que la directive Eurovignette présente un vice de forme, dans la mesure où elle est facultative. La France et l'Allemagne seront en tête des pays qui l'appliquent, quand d'autres pourront décider de s'abstenir. Le compromis au niveau européen est nécessaire, mais nous aurions préféré une application plus générale de cette directive.
J'ajoute que, lorsque l'on parle d'externalités du transport routier, et notamment dans les régimes interurbains, à savoir les routes nationales et les péages, il est prouvé que le transport routier paye plus que le coût de ses externalités. Il est vrai que nous sommes déficitaires sur les zones urbaines, mais pas en interurbain. J'observe donc qu'avec l'écotaxe, le transport routier va payer un peu plus pour ses externalités alors que, parallèlement, les coûts internes d'autres modes de transport seront externalisés, ce qui constitue, de notre point de vue, une rupture d'égalité.
Enfin, nous souhaitons que l'Alsace soit traitée comme les autres régions. Nous demandons que l'application généralisée de la taxe poids lourds soit précédée d'une période test globale de six mois. De même, il faudra être capable, au bout d'un an, de dresser un bilan des premiers mois de mise en oeuvre de l'écotaxe, en créant notamment une cellule de coordination pour la résolution des cas litigieux.