Intervention de Michèle Alliot-Marie

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 février 2006 : 1ère réunion
Audition de Mme Michèle Alliot-marie ministre de la défense

Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense :

a tout d'abord indiqué avoir souhaité l'organisation de cette audition, également ouverte aux sénateurs membres des autres commissions, en vue d'aborder les problématiques de fond soulevées à l'occasion des décisions prises concernant l'ex-Clemenceau, mais aussi de rétablir la réalité de certains faits.

Elle a souligné que le désamiantage et le démantèlement des navires en fin de vie, civils ou militaires, concernerait dans les 20 années à venir des dizaines de milliers de bâtiments et posait ainsi un problème à tous les pays possédant une marine. Elle a rappelé que les pays de l'OCDE ne possédaient pratiquement pas de chantiers capables de mener les opérations de démantèlement qui s'effectuent principalement en Asie du Sud-Est, en Chine, en Inde ou au Bengladesh. Elle a précisé que faute de solution européenne existante, la France avait envisagé, à partir de l'exemple de l'ex-Clemenceau, de créer une filière propre et sûre pour ces opérations, en élaborant un véritable partenariat avec l'Inde, grande Nation désireuse de moderniser et de qualifier son industrie dans le respect des réglementations et des bonnes pratiques internationales.

a détaillé la chronologie des évènements survenus depuis le désarmement du Clemenceau.

Le porte-avions a cessé son activité opérationnelle en 1997 et a été placé en réserve spéciale le 2 mars 1998. Jusqu'en 2002, aucune décision n'a été prise concernant son avenir, son désamiantage ou son environnement. Ainsi que l'attestent les réponses du ministre de la défense de l'époque à des questions parlementaires, aucun projet de transformation en bâtiment-musée n'a été envisagé en raison des coûts d'aménagement et de fonctionnement induits. Le bâtiment a simplement été utilisé pour fournir des pièces détachées pour le Foch jusqu'à la vente de ce dernier au Brésil, en 2000. En juillet 2000, la commission de condamnation avait conclu que la seule destination possible pour le Clemenceau était le démantèlement, mais aucune initiative concrète n'est intervenue jusqu'en mai 2002.

Ce n'est qu'après le changement de gouvernement qu'a été prise la décision de suivre l'avis de la commission de condamnation et conformément à la législation, le bâtiment a été remis à la direction des Domaines du ministère de l'économie et des finances le 16 décembre 2002. Cette dernière a lancé le 14 avril 2003 un appel d'offres européen en vue de trouver une société assurant le désamiantage et le démantèlement du bâtiment.

Une société espagnole, Gijonesa de Desguaces, a été retenue, parmi trois candidats, et l'ex-Clemenceau a quitté Toulon en octobre 2003. Constatant que la coque se dirigeait vers la Turquie et non vers l'Espagne, en contradiction avec le contrat, il a été décidé d'intercepter le convoi et de le ramener à Toulon.

Ayant rompu avec la société espagnole, l'Etat a alors décidé de contracter avec la Ship Decomissioning Industries Corporation (SDI), société qui était arrivée deuxième lors de l'appel d'offres. Signé le 20 octobre 2003, ce nouveau contrat prévoyait un désamiantage en Grèce, puis un démantèlement en Inde. Toutefois, à la suite d'une campagne de presse, le gouvernement grec a opposé un refus à la réalisation de ces opérations sur son territoire, ce qui a fermé définitivement la voie à une solution européenne.

Un avenant établi le 23 juin 2004 par la direction des Domaines a modifié alors le contrat passé avec SDI. Ce contrat a posé des conditions de sécurité et de qualité qu'aucun chantier n'avait jusqu'à présent réunies :

- l'Etat français reste responsable et propriétaire de la coque jusqu'à son démantèlement ;

- tout le désamiantage réalisable techniquement en France, sans mettre en péril la navigabilité de la coque, doit y être opéré ;

- le chantier choisi en Inde doit présenter des certifications internationales en matière de protection des travailleurs et de l'environnement ;

- un transfert de compétences est assuré à travers la formation en France des ingénieurs indiens chargés d'encadrer le chantier sous le contrôle d'ingénieurs français spécialisés ;

- une expertise indépendante doit contrôler régulièrement le chantier et le respect des normes européennes et internationales ;

- par ailleurs, et au-delà du contrat lui-même : un contrôle médical des 30 à 60 travailleurs indiens intervenant sur le désamiantage devait être effectué avant, pendant et après le chantier.

Enfin, la France s'engageait à rapatrier les déchets issus du désamiantage final.

La société de démantèlement indienne à Alang, proposée par SDI comme partenaire, offrait pour son chantier des garanties sans précédent en termes de certifications internationales. Les images diffusées dans les médias n'étaient pas celles du chantier choisi et ne correspondaient en rien à la réalité.

Ce projet permettait d'envisager la création d'une filière propre de démantèlement des navires et reposait sur un véritable partenariat avec l'Inde, incluant la formation de travailleurs indiens en France et un transfert de technologie, de savoir-faire et d'équipement. Il est faux et injurieux, a insisté Mme Michèle Alliot-Marie, de dire que la France aurait pu choisir une voie mettant en danger la sécurité des travailleurs indiens.

Le désamiantage préalable de la coque a débuté à Toulon en novembre 2004 sous la responsabilité de la société Technopure qui devait retirer toute l'amiante friable et directement accessible, sans porter atteinte à la navigabilité de la coque. Les experts indépendants chargés du contrôle ayant constaté que Technopure n'avait pas entièrement effectué le désamiantage requis, le contrat avec cette société a été rompu par SDI. En outre, des irrégularités ont été relevées en ce qui concerne le tonnage d'amiante effectivement enfoui, différent de celui déclaré à l'enlèvement, et la disparition d'équipements de bord, ce qui a conduit le ministère de la défense à déposer plainte contre Technopure.

La société Prestocid a achevé le désamiantage, comme l'ont certifié des experts indépendants, et l'ex-Clemenceau était prêt à partir pour l'Inde en septembre 2005.

Des recours avaient toutefois été introduits par des associations devant les juridictions civiles, au motif que le bâtiment devait être considéré comme un déchet et non comme un matériel de guerre. La position soutenue par l'Etat était que l'ex-Clemenceau, comme tout équipement militaire retiré du service, demeurait un matériel de guerre, tant en raison de ses caractéristiques techniques que de sa nature, qui justifie l'application du régime juridique des armes et matériels de guerre. En effet, si les équipements retirés du service n'étaient plus considérés comme des matériels de guerre, le régime juridique spécifique applicable pour leur commerce et leur exportation ne serait plus applicable. Il deviendrait ainsi possible de vendre ces équipements ou certains de leurs composants sans que s'exerce le contrôle prévu en matière de commerce et d'exportation des matériels de guerre, notamment vis-à-vis des pays soumis à embargo. Deux décisions rendues en juillet et en octobre 2005 par le tribunal de grande instance puis par la cour d'appel de Paris ont donné raison à l'Etat sur la qualification juridique de matériel de guerre.

La procédure d'exportation du bâtiment s'est déroulée conformément à la réglementation et les autorisations d'exportation et de passage en douane sont intervenues en fin d'année 2005. Le 30 décembre 2005, le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours en référé de certaines associations contre l'autorisation d'exportation. L'ex-Clemenceau a appareillé dès le lendemain pour l'Inde. Ce n'est que le 6 janvier 2006 qu'un recours a été introduit devant le Conseil d'Etat à l'encontre du jugement du tribunal administratif.

La France a répondu naturellement aux demandes d'information transmises par les autorités égyptiennes et indiennes. L'Egypte a naturellement accepté le passage du convoi par le canal de Suez et le comité d'experts auprès de la Cour suprême indienne a rendu, à sa majorité, le 6 février dernier un avis favorable au transfert de l'ex-Clemenceau en Inde.

Le 15 février, le Conseil d'Etat, statuant en cassation sur un référé, a considéré qu'il pouvait exister un doute sur la qualification juridique de l'ex-Clemenceau, la qualification de matériel de guerre n'étant pas à son sens nécessairement exclusive de celle de déchet. Aussi a-t-il demandé de suspendre le transfert vers l'Inde en attendant la décision sur le fond. Le Président de la République a alors annoncé le retour vers la France du bâtiment, effectif depuis le 22 février. Le contrat avec SDI a été rompu par entente commune.

A la suite de cet exposé chronologique, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a considéré que le problème du démantèlement des navires en fin de vie demeurait entier. Elle a rappelé qu'une solution avait été apportée par le gouvernement pour les avions, avec la création, annoncée en 2004, d'un centre à Châteaudun, et le projet d'un second centre à Tarbes. Elle a souhaité qu'une filière propre pour le démantèlement des navires civils et militaires soit créée en Europe, le schéma envisagé pour l'ex-Clemenceau pouvant toujours constituer un point de référence à cet égard. Elle a souligné que l'Etat entendait bien assumer toutes ses responsabilités d'armateur mais aussi de pays respectueux de l'environnement, attentif à la sécurité des personnes et soucieux de la coopération économique avec les pays du Sud. Elle a ajouté que les réflexions ne pouvaient faire abstraction des impératifs financiers et que de ce point de vue, le contrat passé par les Domaines avec SDI n'avait engendré aucune dépense pour l'Etat, puisque la société supportait toutes les dépenses liées au désamiantage, au transport et au démantèlement.

Le ministre a indiqué qu'un groupe d'enquête interministériel, associant le contrôle général des armées, l'inspection générale des finances et le conseil général des mines, conduirait une mission sur la réforme des procédures d'exportation des navires militaires en fin de vie. Un bureau d'expertise établira un nouveau diagnostic complet des matériaux potentiellement dangereux se trouvant encore à bord de l'ex-Clemenceau. Enfin, une mission interministérielle plus large s'intéressera aux solutions envisageables pour le démantèlement des navires civils et militaires en fin de vie, en liaison avec les autres pays européens et les partenaires comme l'Inde.

En conclusion, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a estimé que, dans le dossier de l'ex-Clemenceau, la France n'avait pas commis de faute et n'avait donc pas à s'excuser, mais qu'elle avait en revanche pris le risque d'une solution innovante sur un problème majeur aujourd'hui non pris en compte. Elle a observé que des voix commençaient à s'élever pour souligner l'intérêt que présentait le projet en matière de respect de l'environnement. Elle a cité l'association écologiste Robin des Bois qui en avait reconnu l'exemplarité. Elle a regretté que ces opinions n'aient pas retenu, au cours des dernières semaines, autant d'attention que celles qui cherchent à systématiquement dénigrer les choix effectués par la France. Elle a marqué sa détermination à défendre les actions dont la France doit être fière face à ceux qui se complaisent dans l'auto-dénigrement.

Un débat a suivi l'exposé de la ministre.

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