Je vais commencer avec quelques chiffres sur Ingeus. Notre entreprise compte 170 collaborateurs, dont 130 conseillers, et possède vingt-quatre implantations au niveau national. En 2010, notre chiffre d'affaires a atteint 23,7 millions d'euros. Depuis le démarrage de nos activités en France, début 2005, Pôle emploi a représenté près de la moitié de notre chiffre d'affaires. C'est donc un partenariat qui a vocation à se poursuivre et à se développer.
Fin 2004, notre société s'est vue confier par l'Unedic et l'ANPE la mise en place d'un programme pilote de deux ans destiné à tester de nouvelles méthodes d'accompagnement vers l'emploi pour des personnes exposées à un risque élevé de chômage de longue durée. Nous avons accompagné 6 100 demandeurs d'emploi dans le cadre de ce dispositif. Le bilan a été très positif, avec un taux de retour à l'emploi de 77 %, ce qui a conduit à un renouvellement et à un élargissement du programme en 2006, toujours pour le compte de l'Unedic. Nous avons ainsi pu accompagner 15 500 personnes supplémentaires.
En 2010, Ingeus, en groupement avec VAR, a remporté 44 % du marché « Atouts Cadres » passé par Pôle emploi pour accompagner, au maximum, 30 000 cadres demandeurs d'emploi dans trois régions. Dans ce contrat, aucun objectif de placement n'est exprimé. Toutefois, pour les cadres au chômage depuis plus de douze mois et ayant en majorité plus de 50 ans, un objectif est fixé de reprise d'activité durable dans le cadre d'un CDI, d'un CDD de plus de six mois à temps plein ou par la création d'une entreprise hors statut auto-entrepreneur. Le lancement de ce programme a été très convaincant puisque seulement huit mois après son démarrage, près d'un cadre sur trois en fin d'accompagnement a accédé à une forme d'emploi durable, majoritairement en CDI. Dans certains lots en Ile-de-France, ce ratio atteint même un cadre sur deux.
Aujourd'hui, six ans après notre implantation, nous avons accompagné 42 000 demandeurs d'emploi appartenant essentiellement à des publics rencontrant des freins importants à la reprise d'activité, voire, pour certains, une exclusion du marché du travail, à l'instar des chômeurs de très longue durée, des seniors, des jeunes sans qualifications habitant dans des zones urbaines sensibles, des travailleurs en situation de handicap ou encore des titulaires du RSA. En effet, en plus de notre partenariat avec Pôle emploi, nous travaillons avec des collectivités territoriales, des conseils généraux, des maisons de l'emploi, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ou encore avec l'association pour la gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (Agefiph).
Vous avez posé en introduction, Monsieur le président, la question de savoir en quoi l'offre des opérateurs privés se différencie de celle de Pôle emploi. Je suis d'accord avec les intervenants précédents pour défendre l'idée qu'il existe une véritable complémentarité. Pôle emploi est dans une logique de traitement de volumes, surtout compte tenu du taux de chômage qui est particulièrement élevé depuis mi-2008, alors que les opérateurs privés spécialisés interviennent en appui complémentaire pour des publics en grande difficulté ou pour des prestations ad hoc comme des diagnostics d'employabilité ou l'élaboration de projets professionnels. Nous déployons des méthodes adaptées aux besoins particuliers des demandeurs d'emploi qui nécessitent un suivi régulier, personnalisé, intensif et sur-mesure. Chaque personne que nous accompagnons est assignée à un consultant précis, ce dernier disposant d'un portefeuille limité à un maximum de cinquante candidats. Les demandeurs d'emploi que nous accompagnons bénéficient d'un entretien individuel en face à face chaque semaine sur toute la durée du contrat.
Depuis la création de Pôle emploi, nous avons remarqué un changement dans les prestations commandées, qui sont aujourd'hui beaucoup plus orientées vers les moyens, avec un cahier des charges très strict et une prestation qui est décrite dans le détail. Le risque est de standardiser l'offre, en ne laissant que peu de place au sur-mesure et à l'innovation. Nous avons l'impression que nous sommes à présent davantage vus comme des sous-traitants que comme des partenaires.
Pôle emploi vient d'annoncer qu'une nouvelle vague d'appels d'offres de grande ampleur allait être lancée au mois de juin. Ces appels d'offres exigent d'importants investissements de la part des opérateurs, mais nous avons pu constater que les volumes et les budgets annoncés par Pôle emploi ne sont pas garantis et ne sont pas souvent respectés. Cette situation ne permet pas de rentabiliser de manière sûre nos investissements. Pour prendre l'exemple de l'engagement d'Ingeus sur le programme « Atouts Cadres », le cahier des charges exigeait que nous mettions à disposition des moyens logistiques et des locaux afin d'accueillir, au maximum, 30 000 candidats. Aujourd'hui, huit mois après le début du programme, le flux d'orientation mensuel s'est stabilisé au minimum du marché, après un démarrage très fort sur les trois ou quatre premiers mois. Au final, Ingeus pourrait ne traiter au total qu'un marché de 15 000 cadres. Cependant, toutes les directions régionales nous confirment que les candidats additionnels attendus existent au sein des portefeuilles de Pôle emploi et qu'il suffirait de les orienter vers le privé.
Une autre difficulté réside dans la durée des marchés, qui est très courte, entre vingt-deux et vingt-quatre mois, et dans l'instabilité des flux qui ne permettent pas un retour sur investissement pour la collectivité. Ces éléments ont pour conséquence la précarisation croissante des employés des opérateurs privés. Conjuguée à la pression accrue sur les prix déjà évoquée, cette situation pourrait amener à une baisse de qualité de nos prestations.
Enfin, je confirme que les tâches administratives imposées par le cahier des charges à nos conseillers sont de plus en plus lourdes, au détriment de notre coeur de métier, c'est-à-dire le placement des demandeurs d'emploi en difficulté.
Par rapport à cette situation, Ingeus a développé trois préconisations majeures :
- une meilleure exploitation de la valeur ajoutée que représente le recours à des opérateurs privés serait possible en nous laissant une plus grande capacité d'initiatives dans l'accompagnement. Une idée serait de nous laisser prescrire des formations, ce que nous ne pouvons pas faire aujourd'hui ;
- l'utilisation de l'argent public peut être optimisée, tout en obtenant un meilleur retour sur investissement pour la collectivité, en améliorant la procédure d'achat de Pôle emploi, c'est-à-dire en garantissant les flux prévus et en lançant des appels d'offres pour une durée plus longue ;
- l'élaboration d'une véritable politique d'évaluation permettrait de piloter les opérateurs privés par la performance. Indexer la rémunération sur les résultats plutôt que sur la prise en charge favoriserait la sélection des prestataires les plus efficaces et donc une meilleure utilisation de l'argent public investi. Aujourd'hui, 50 % de la rémunération est liée au retour vers l'emploi durable et au maintien dans l'emploi plus de six mois.