Le Japon vit une véritable tragédie, dont la crise nucléaire n'est qu'une composante. Il est clair que nos interlocuteurs japonais ont pour première préoccupation de gérer cette crise et que l'information à donner à l'extérieur ne vient pour eux qu'en second lieu. En outre, ils tendent bien évidemment à privilégier les contacts avec leurs homologues ou avec les autorités de sûreté nucléaire qui ont la meilleure connaissance des réacteurs à eau bouillante, du type de ceux de Fukushima.
Ce site rassemble dix réacteurs. Très rapidement, l'attention s'est focalisée sur les six réacteurs situés au nord. Trois étaient en fonctionnement et trois à l'arrêt au moment du tremblement de terre et du tsunami. Les premiers ont été automatiquement arrêtés et ont connu ensuite des difficultés d'approvisionnement en eau et en électricité. Les réacteurs 1, 3 et 2 ont connu successivement la même séquence : manque d'eau, début de dégradation des gaines de combustible, dégagement de gaz, dépressurisation de l'enceinte par l'exploitant et, en conséquence, explosions qui ont fait sauter les superstructures du bâtiment. Cette situation est déjà grave, mais la fusion du combustible s'est poursuivie et l'enceinte de confinement du réacteur 2 a été endommagée, ce qui est l'un des principaux motifs d'inquiétude. Le coeur du réacteur est en effet en communication avec l'extérieur et la fuite est permanente. Le réacteur 4, qui était à l'arrêt au moment du séisme, a en outre subi une perte de refroidissement dans la piscine contenant des coeurs de réacteurs usés, dont la température s'élève.
Les Japonais s'emploient à apporter, avec des moyens de secours, le plus d'eau possible pour refroidir les coeurs qui ont commencé à fondre. Les informations que nous recevons heure par heure font état des difficultés rencontrées, tantôt pour manoeuvrer une vanne, tantôt pour acheminer un camion. L'ensemble de la situation est extrêmement grave. Au mieux, elle durera très longtemps et nous espérons que le pire - une fusion plus importante des éléments combustibles - ne se produira pas.
Les retombées radioactives sont extrêmement fortes dans l'enceinte des installations et les opérateurs qui interviennent sont exposés à des conditions extrêmes. Ces conditions sont prévues dans les procédures. En France, dans un tel cas, l'exploitant devrait faire appel à des volontaires. Alors que, selon les règles de radioprotection, un travailleur ne doit pas recevoir une dose supérieure à 20 millisieverts par an en temps normal, un volontaire peut recevoir, dans de telles conditions, jusqu'à 100 millisieverts, voire 300 millisieverts pour certaines interventions destinées à sauver des vies. Au Japon, le ministre de la santé vient de décider de porter de 100 à 250 millisieverts cette dose acceptable. Le nombre de personnes intervenant dans ces conditions ne dépasse probablement pas une cinquantaine.
Les autorités japonaises ont en outre pris des mesures qui nous paraissent raisonnables : l'évacuation des populations dans un rayon de 20 kilomètres autour de la centrale et le confinement dans un rayon de 20 à 30 kilomètres.
Plusieurs scénarios sont possibles : soit l'exploitant japonais pourra apporter une quantité d'eau suffisante pour interrompre l'évolution en cours, soit cette évolution sera beaucoup plus négative.
On peut donc classer cet événement au niveau 6 sur l'échelle INES (International Nuclear Event Scale), c'est-à-dire entre l'accident survenu en 1979 à la centrale de Three Mile Island, où un demi-coeur de réacteur avait fondu sans entraîner de conséquences à l'extérieur, et celui de Tchernobyl, où le coeur avait totalement explosé. Cependant, de tels événements sont tellement inhabituels qu'il faut manier ces comparaisons avec prudence.
Pour ce qui est des conséquences possibles au Japon, l'IRSN a réalisé quelques simulations qui seront évoquées tout à l'heure. En France, quel que soit le scénario, il n'y aura très vraisemblablement pas d'impact sanitaire notable. Il s'agit néanmoins, je le répète, d'un accident majeur qui peut en outre encore évoluer aussi bien vers une stabilisation que vers des conséquences bien plus graves.