Chacun s'exprime comme il l'entend. Mais de notre point de vue, il est trop tôt pour établir des comparaisons. Nous savons qu'en termes de gravité, l'accident de Fukushima sera très au-dessus de celui de Three Mile Island, où il n'y avait pas eu de rejet radioactif notable. Il sera vraisemblablement au-dessous de celui de Tchernobyl si les mesures de récupération évoquées tout à l'heure sont menées à leur terme. Dans l'hypothèse contraire, on pourrait imaginer des rejets moins brutaux qu'à Tchernobyl - où les émanations avaient persisté une quinzaine de jours et étaient montées très haut dans l'atmosphère -, mais dont la diffusion serait plus durable et alimentée par plusieurs coeurs. Au final, la masse de césium libérée dans l'atmosphère pourrait être supérieure à ce qu'elle a été à Tchernobyl. Seul l'avenir nous le dira. C'est pourquoi Mme Anne Lauvergeon et M. Bernard Bigot ont eu raison de souligner l'urgence des mesures destinées à rétablir, dans la mesure du possible, la sûreté des installations.
Pour répondre à M. Philippe Folliot, l'activité de l'ASN couvre l'ensemble des installations nucléaires civiles, y compris médicales. La sûreté de ces dernières obéit aux mêmes principes que la sûreté nucléaire, comme la défense en profondeur. Une forte réévaluation des exigences est d'ailleurs en cours en ce qui concerne la radiothérapie. Quant à l'IRSN, il constitue l'appui technique des pouvoirs publics en général, et plus particulièrement de l'ASN, mais aussi de l'Autorité de sûreté nucléaire de défense. Son expertise sert donc aussi à l'évaluation de la sûreté du domaine militaire, qu'il s'agisse des navires ou des usines contribuant à la production et à la maintenance des armes. Les modes de calcul, la philosophie et les experts sont les mêmes : il n'y a donc pas, du point de vue de la sûreté, deux poids, deux mesures entre les secteurs civil et militaire. Seul le degré de transparence diffère, ce que l'on peut comprendre.
L'AIEA a peu de pouvoirs contraignants, mais joue un rôle d'exemplarité et contribue à la transparence. Les peer reviews, ces missions internationales dépêchées dans différents pays et dont les rapports sont rendus publics, constituent potentiellement un outil très puissant pour harmoniser par le haut les bonnes pratiques. Les débuts ont été hésitants, les grands pays ne s'estimant pas concernés. Mais la France a donné l'exemple, imitée ensuite par les États-Unis et par la Russie.
Avec l'Agence, nous sommes en train de promouvoir un travail comparable concernant les milieux d'expertise. En effet, dans tous les pays, les autorités de sûreté se reposent sur des organismes scientifiques plus ou moins bien structurés - la France étant plutôt considérée comme exemplaire à cet égard. Dans les nouveaux pays nucléaires, de telles institutions risquent de faire gravement défaut, rien n'étant prévu pour les financer. On trouve l'argent pour construire les réacteurs, mais pas forcément pour mettre en place une autorité de sûreté. Et quand elle existe, son efficience risque d'être limitée si elle ne dispose pas d'un back up scientifique et technique. Il s'agit donc d'un enjeu extrêmement important.
Je terminerai par la question de l'influence du mode de gestion - privé ou non - sur l'exploitation des réacteurs. Cette problématique n'est pas nécessairement la plus pertinente. Le point important est plutôt, dans un système national, de savoir qui paie les risques et de quelle façon les décisions prises pèsent sur les équilibres. Au Japon, les conséquences de l'accident seront à la charge du contribuable, et il en serait de même dans n'importe quel autre pays. Il en résulte que, quel que soit son coût, la sûreté doit primer sur les intérêts financiers de l'exploitant. Le coût n'est qu'un des paramètres de la sûreté, et sa prise en compte relève de la décision politique. Ce qui est en cause, c'est donc moins le caractère privé ou public de l'exploitant de l'énergie nucléaire que la vision économique qui sous-tend cette exploitation, et qui n'est pas sans rapport avec la question de la sûreté.