Intervention de Jean-Pierre Escarfail

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 janvier 2008 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Pierre Escarfail président et Mme Anne Bordier-coispellier vice-présidente de l'association pour la protection contre les agressions et crimes sexuels apacs

Jean-Pierre Escarfail, président de l'association pour la protection contre les agressions et crimes sexuels :

a exprimé son accord global avec le projet de loi, jugeant utiles les modifications apportées par l'Assemblée nationale afin d'étendre la portée du dispositif de rétention de sûreté, d'abord limité aux auteurs de crimes sexuels sur les mineurs de moins de quinze ans, aux auteurs de crimes commis sur tous les mineurs et sur les majeurs avec des circonstances aggravantes. Estimant que l'analyse de la délinquance et de la criminalité devait être conduite dans un cadre logique, il a expliqué que l'on pouvait situer au sommet d'une échelle de gravité les tueurs en série, soit environ cinq condamnations par an, les plus médiatisées, puis les violeurs en série, dont il a estimé que cinquante à cent étaient condamnés chaque année. Il a évoqué le cas d'un criminel qui, condamné à seize ans pour le viol de quatorze jeunes femmes et libéré après dix années de rétention, avait commis trois nouveaux viols dans les trois mois suivant sa sortie.

Mentionnant ensuite les violeurs occasionnels, les auteurs d'agressions, de viols intrafamiliaux et d'actes pédophiles, il a précisé qu'un millier d'homicides étaient commis chaque année en France, dont une part importante liée à des crimes sexuels, et que le nombre de viols était évalué à trente mille par an. Considérant que chaque catégorie de criminels ou de délinquants devait faire l'objet de soins appropriés, il a jugé que l'éducation constituait l'outil le plus efficace pour prévenir la délinquance occasionnelle, que l'usage du bracelet électronique paraissait adapté aux violeurs les moins dangereux et que les centres de rétention socio-médico-judiciaires de sûreté envisagés par le projet de loi devaient être mis en place pour traiter les cas les plus graves.

Considérant que notre système judiciaire devait intégrer les avancées de la neurologie, M. Jean-Pierre Escarfail a considéré que les progrès accomplis en cette matière conduisaient à atténuer progressivement la frontière entre les personnes psychotiques, c'est-à-dire atteintes d'une maladie mentale, et les psychopathes frappés de troubles de la personnalité. Il a avancé que les recherches montraient chez ces deux catégories de personnes un dysfonctionnement du système neuronal et avaient permis d'identifier des neurones miroirs jouant un rôle essentiel dans l'aptitude à éprouver de l'empathie. Si les personnes atteintes de troubles psychotiques peuvent être distinguées des psychopathes, a-t-il expliqué, les deux doivent recevoir des soins appropriés, de chimiothérapie ou de psychothérapie.

Indiquant que l'Association pour la protection contre les agressions et crimes sexuels situait son action dans le cadre de la protection des droits de l'homme, il a rappelé que M. Alvaro Gil-Robles, ancien commissariat aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, avait estimé que la France, en autorisant l'hospitalisation d'office sur décision administrative de personnes souffrant de troubles mentaux, ne respectait pas la Convention européenne des droits de l'homme, car de telles décisions devaient être confiées à la justice. Il a souligné que le commissaire européen aux droits de l'homme recommandait également que les décisions d'enfermement des pervers psychopathes soient prises par des magistrats selon une procédure comportant toute les garanties de droit.

a insisté sur la nécessité de tenir compte de l'impact des nouvelles mesures proposées sur les victimes, considérant que le rejet du projet de loi reviendrait en fait à exposer chaque année plusieurs dizaines de femmes à un danger de mort, qu'il soit causé par l'agression ou par la propension au suicide des victimes d'agression sexuelle. Rappelant que près de mille homicides volontaires étaient commis chaque année en France, il a précisé que la part des homicides liés à des agressions sexuelles était considérée comme proche du nombre de morts causées par des violences conjugales, soit entre 150 et 180 par an. Il a ajouté que les victimes éprouvaient ensuite de grandes difficultés à se reconstruire et que la proportion des personnes effectuant des tentatives de suicide après une agression sexuelle était estimée à 20 %.

Jugeant que le recours systématique à la prison se situait à l'opposé d'une approche pertinente de la criminalité sexuelle, il a déclaré que, dans une cinquantaine d'années, la prison conçue comme une réponse uniforme aux crimes et délits paraîtrait aussi aberrante que le bagne aujourd'hui. Il a estimé que la justice devait évoluer et apporter des réponses adaptées en organisant un suivi social et en recourant au bracelet électronique pour les personnes soupçonnées d'atteintes graves au droit. Le placement sous surveillance électronique des accusés de l'affaire d'Outreau aurait permis, a-t-il expliqué, d'éviter le drame provoqué par la détention provisoire de personnes qui ont finalement été acquittées.

S'agissant des criminels en série, il a souligné que l'on ne pouvait connaître, au moment de leur jugement, les traitements qui seraient adaptés à leur cas une vingtaine d'années après le début de leur peine, ni prévoir l'évolution de leur personnalité.

Evoquant la création par le projet de loi de commissions régionales de la rétention de sûreté composées de hauts magistrats, il a affirmé que, pour la gestion des longues peines, la justice de condamnation, chargée de juger les faits passés, et la justice de libération, chargée d'évaluer les risques futurs, devaient être placées sur un pied d'égalité. Estimant que le jugement des actes passés pouvait apparaître plus aisé que l'appréciation du danger à venir et la définition d'une mesure de sûreté, il a expliqué que nombre de pays pratiquaient cependant cette évaluation. Il a considéré que l'individualisation des mesures de sûreté devait constituer un principe aussi intangible que l'individualisation des peines.

S'agissant de l'appréciation de la dangerosité des auteurs de crimes et délits sexuels, il a indiqué que les enquêtes conduites à l'étranger démontraient la possibilité de réaliser des évaluations plus approfondies que celles conduites en France, où l'on s'en remet à l'avis d'un petit nombre d'experts se fondant sur de brefs entretiens avec la personne. Il a indiqué qu'il participait lui-même à une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté chargée, dans le ressort d'une ou de plusieurs cours d'appel, de donner un avis au juge d'application des peines avant le placement sous surveillance électronique mobile d'une personne condamnée et à laquelle le projet de loi confie l'évaluation de la dangerosité des personnes susceptibles de faire l'objet d'une mesure de rétention. Relevant que le Canada et les Pays-Bas avaient mis en place des procédures d'évaluation sophistiquées, il a précisé qu'en Suisse, la procédure d'évaluation faisait intervenir non seulement une commission pluridisciplinaire, mais aussi des surveillants pénitentiaires, des travailleurs sociaux, des psychiatres, des psychologues et des criminologues ayant pu suivre la personne sur une longue durée.

Rappelant que le risque zéro n'existait pas en matière de criminalité, M. Jean-Pierre Escarfail a estimé que la juridiction de libération chargée d'évaluer le la dangerosité d'un criminel à sa sortie de prison devait se prononcer au regard de la probabilité qu'un psychopathe commette une nouvelle agression.

Jugeant indispensable de lier la justice et la thérapie dans une approche pluridisciplinaire, il a relevé que les intéressés devaient être soignés le plus rapidement possible. Considérant que les centres socio-médico-judiciaires de sûreté participaient de cette démarche pluridisciplinaire, il a estimé que, suivant le modèle suédois, un protocole de soins où les remises de peines ne seraient plus automatiques, mais toujours conditionnelles et fondées sur l'évolution de la personne, devait se substituer à l'attribution indifférenciée de grâces présidentielles et de remises de peine qui ont dénaturé notre système pénal. Il a précisé que ce protocole de soins devrait être mis en oeuvre dès le début de la peine, afin d'amener l'intéressé à comprendre qu'il peut maîtriser son destin. Considérant que ce système serait conforme à la Convention européenne des droits de l'homme, il a indiqué que les pays obtenant les meilleurs résultats en matière de prévention par les soins étaient ceux qui avaient choisi de distinguer la gestion de la peine et celle des mesures de sûreté.

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