Intervention de Jean-Olivier Viout

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 janvier 2008 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Olivier Viout procureur général près la cour d'appel de lyon

Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d'appel de Lyon :

Marquant qu'il participait régulièrement aux audiences de la chambre de l'instruction et de la cour d'assises pour garder le contact avec la réalité judiciaire, M. Jean-Olivier Viout a souligné le bien-fondé des deux objectifs poursuivis par le projet de loi : améliorer le traitement par l'autorité judiciaire des auteurs d'infractions déclarés pénalement irresponsables en raison d'un trouble mental et introduire une mesure de rétention de sûreté pour retenir dans des centres fermés les personnes particulièrement dangereuses ayant commis les crimes les plus graves, à l'issue de leur peine.

Abordant le volet de la réforme relatif à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, il s'est réjoui de la formulation finalement retenue, rappelant que le gouvernement avait initialement envisagé de faire référence à la « culpabilité civile ». Il a ajouté que le Conseil d'Etat, saisi de l'avant-projet de loi, avait fait observer, à juste titre, que la reconnaissance de la culpabilité d'une personne irresponsable mettait à mal l'étymologie et les concepts juridiques classiques.

Il a distingué les deux cas de figure prévus par la réforme dans lesquels la déclaration pour irresponsabilité pénale peut être prononcée : lorsque l'auteur de l'infraction est jugé par la juridiction de jugement devant laquelle il a été renvoyé ou lorsque l'auteur présumé des faits est mis en examen par le juge d'instruction.

Evoquant la première hypothèse, le procureur général près la cour d'appel de Lyon s'est félicité qu'un débat public préalable au prononcé de la décision soit prévu et qu'il soit clairement mentionné que la juridiction de jugement doit reconnaître que les faits reprochés au prévenu lui sont imputables, mais que ce dernier est irresponsable pénalement à raison d'un trouble psychique ou neuropsychiatrique qui affecte sa capacité de discernement ou le contrôle de ses actes. Il a souhaité que les conditions dans lesquelles l'arrêt est prononcé par la cour d'assises soient précisées au sein du nouvel article 706-130 du code de procédure pénale.

S'agissant de la procédure applicable devant la chambre de l'instruction, M. Jean-Olivier Viout a jugé le dispositif proposé satisfaisant. Il a suggéré que la comparution à l'audience du mis en examen soit -si son état le permet- de droit et non à la discrétion du président de la chambre de l'instruction, des parties civiles ou de la chambre de l'instruction comme prévu dans le texte adopté par les députés. La présence du mis en examen lors de l'audience lui a paru nécessaire pour assurer le caractère contradictoire de la procédure. Il a indiqué qu'à l'issue de l'audience, la chambre de l'instruction avait trois possibilités : déclarer un non-lieu pour insuffisance de charges contre le mis en examen, renvoyer celui-ci devant la juridiction compétente ou encore prononcer un arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale à raison d'un trouble mental.

Il a également évoqué la possibilité pour les parties civiles de demander le renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel pour statuer sur les intérêts civils, se demandant si cette juridiction est la plus compétente pour évaluer le montant du préjudice subi. La Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) lui a paru plus qualifiée pour exercer cette mission.

Il a mis en avant que la déclaration d'irresponsabilité pénale pour trouble mental permettrait aux victimes, au terme d'un débat judiciaire contradictoire organisé dans le cadre d'une formation collégiale -et non plus tenu dans l'intimité du cabinet d'un juge d'instruction et sans la moindre apparence de procès- de voir la vérité des faits reconnue et la soustraction à la sanction pénale de son auteur débattue. Il a également souligné l'importance du caractère public des débats, faisant valoir que la prise en compte d'une infraction grave n'est pas la seule affaire de la victime, mais concerne également la société et l'opinion publique, en raison des atteintes à l'ordre public.

Le procureur général près la cour d'appel de Lyon a toutefois regretté que la saisine de la chambre de l'instruction pour prononcer une déclaration d'irresponsabilité pénale demeure une simple possibilité laissée à la discrétion du ministère public, du juge d'instruction ou des parties civiles, craignant qu'un dispositif non contraignant ne vide de sa substance la portée de cette procédure. Il a cité en exemple la faculté de réexaminer la détention provisoire d'une personne mise en examen tous les six mois introduite à la suite de l'affaire d'Outreau par la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, constatant que cette mesure pourtant opportune était en pratique rarement mise en oeuvre, faute d'être systématique.

L'argument selon lequel une saisine obligatoire de la chambre de l'instruction pourrait provoquer un engorgement de cette juridiction lui a semblé peu pertinent au regard du nombre actuel de non-lieux prononcés (200 pour 35 cours d'appel, soit une demi-douzaine par chambre de l'instruction en 2004). Il a plaidé pour une saisine automatique de la chambre de l'instruction, au moins pour tous les crimes.

s'est étonné de la longueur du délai -six mois- durant lequel, en cas de saisine de la chambre de l'instruction, la durée de la détention provisoire peut être prolongée dans l'attente de la décision de cette juridiction. Il a estimé ce délai anormalement long dans le contexte actuel d'une stricte limitation de la durée de la détention provisoire. Un raccourcissement de ce délai -que l'Assemblée nationale a ramené de six à quatre mois en matière criminelle- lui a paru en outre d'autant plus nécessaire que le mis en examen pourra être déclaré pénalement irresponsable pour trouble mental.

a expliqué que les mesures de sûreté susceptibles d'être prononcées par la chambre de l'instruction ou la juridiction de jugement à l'encontre d'une personne reconnue pénalement irresponsable pour trouble mental ne constituent pas des peines en ce qu'elles visent à prévenir un danger ou à réduire un risque. Il a ajouté qu'il revient à l'autorité administrative de décider de mettre en oeuvre de telles mesures en application du principe de précaution et que depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994, l'autorité judiciaire peut seulement prononcer des peines privatives ou restrictives de liberté complémentaires d'une condamnation pénale. Il a estimé que la faculté de prononcer des mesures de sûreté indépendamment d'une reconnaissance de culpabilité pénale par le juge pénal introduira une rupture avec l'état du droit en vigueur et conduira à un retour en arrière. En outre, l'autorité judiciaire serait conduite à exercer des missions devant incomber à l'autorité administrative.

Le procureur général près la cour d'appel a au surplus jugé paradoxal le dispositif tendant à rendre la personne déclarée irresponsable pénalement punissable de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende en cas de non-respect d'une mesure de sûreté. Il a noté toutefois que, dans cette hypothèse, le texte prévoyait la possibilité de prononcer une déclaration d'irresponsabilité pénale pour trouble mental.

Il a estimé que le texte pourrait utilement être complété en ce qui concerne les conditions dans lesquelles les mesures de sûreté sont prononcées, en particulier s'agissant du moment durant lequel l'expertise psychiatrique requise préalablement à la décision doit intervenir.

Il a par ailleurs regretté que le projet de loi ne soit pas suffisamment précis sur les voies de recours, notamment en ce qui concerne la faculté pour le ministère public de faire appel d'un arrêt de la cour d'assises statuant sur les mesures de sûreté.

s'est demandé si la responsabilité d'ordonner des mesures de sûreté ne devrait pas exclusivement incomber aux préfets, éventuellement sur proposition du ministère public. Il a jugé paradoxal que la décision d'hospitaliser d'office l'auteur d'une infraction déclaré pénalement irresponsable pour trouble mental revienne à l'autorité administrative, alors que dans le même temps, le juge pourtant dessaisi de ce pouvoir reste maître de la décision pour prononcer des mesures de sûreté. Il a jugé préférable de clarifier les responsabilités de chacun.

Il s'est demandé si la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté au sein de laquelle siège un juge judiciaire et instituée par la loi du 12 décembre 2005 pourrait jouer un rôle dans ce dispositif. Il a fait valoir en outre que le projet de loi aurait pour effet de bouleverser l'essence des missions de la juridiction d'instruction, dont la vocation est d'intervenir seulement au stade de la phase préparatoire du procès.

a observé que de nombreux pays étrangers, tels que l'Allemagne, l'Angleterre et le Pays de Galles, l'Italie, l'Espagne et les Pays-Bas, donnent à l'autorité judiciaire le pouvoir d'ordonner l'hospitalisation d'office de l'auteur d'une infraction atteint d'un trouble mental. Il a indiqué qu'en Suède, il n'existe pas de régime d'irresponsabilité pénale. Il a ajouté que dans les systèmes étrangers, une fois l'hospitalisation d'office décidée par le juge, celui-ci n'a plus de pouvoir sur la personne mise en cause.

Sur le deuxième volet du texte, il a expliqué que l'instauration de la rétention de sûreté par le projet de loi vise à soustraire du circuit social les criminels les plus dangereux. Il a pleinement souscrit à l'objectif poursuivi par ce dispositif inédit, ajoutant que plusieurs garde-fous étaient prévus pour l'encadrer. A cet égard, il a évoqué le champ d'application de la rétention de sûreté, limité à certains crimes limitativement énumérés (meurtre, assassinat, torture ou acte de barbarie, viol et enlèvement et séquestration) commis sur des victimes particulièrement vulnérables, se félicitant de ce que l'Assemblée nationale, sur la proposition de sa commission des lois, en ait étendu la portée aux crimes commis sur tous les mineurs et non plus seulement ceux de moins de quinze ans aux termes du texte initial. Il a également indiqué que la rétention de sûreté ne pourra être décidée que sous réserve que la juridiction de jugement ait effectivement envisagé le recours à cette éventualité. Il a en outre noté que la mise en oeuvre de cette mesure est conditionnée à l'intervention de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté chargée d'évaluer la dangerosité du délinquant avec l'appui de deux experts. Enfin, il a observé que la situation de l'intéressé devrait être réexaminée chaque année.

Il s'est interrogé sur l'opportunité de confier à l'autorité judiciaire la responsabilité de placer en centre fermé en vue d'une prise en charge médicale et sociale des personnes ayant purgé leur peine qui ne sont plus sous main de justice. Il a en effet jugé ambigu le statut de la commission régionale chargée de décider de la rétention de sûreté et composée d'un président de chambre et de deux conseillers de cour d'appel, se demandant quel serait le degré d'indépendance des magistrats vis-à-vis des conclusions des experts. Il a également estimé que la mission ainsi confiée aux juges déborde le cadre de leur office.

Il a établi une distinction de nature entre le régime de la surveillance judiciaire issu de la loi du 12 décembre 2005, qui peut donner lieu à des injonctions de soins dont la durée est limitée à la durée légale des réductions de peine accordées et la rétention de sûreté, mesure qui ne peut être décidée qu'une fois la peine intégralement purgée. Il a estimé que la prise de décision d'enfermer une personne dangereuse après la phase judiciaire doit incomber à l'autorité administrative, et non à l'autorité judiciaire, au risque de créer une confusion des rôles.

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