Intervention de François Ewald

Mission commune d'information sur les conséquences de la tempête Xynthia — Réunion du 16 juin 2010 : 1ère réunion
Audition de M. François Ewald professeur titulaire de la chaire d'assurances au conservatoire national des arts et métiers directeur de l'école nationale des assurances

François Ewald :

C'est une question terriblement générale...

La question du risque, c'est la question de la confiance. Les hommes naissent dans un environnement incertain : la question de savoir à quoi ou à qui se fier est fondamentale. « Confiance » est synonyme d' « assurance » : les hommes veulent vivre confiants, assurés, rassurés. Avec l'assurance, l'incertitude ne disparaît pas mais est affrontée autrement. La recherche de ce bien est fondamentale dans la culture européenne, et ce depuis les Grecs. Elle est au coeur du projet de la philosophie : dès le début du Discours de la Méthode, Descartes annonce vouloir « marcher avec assurance en cette vie ».

Disposer ou non de cette qualité de vie qu'est la confiance change la nature de la vie. Ainsi, l'avare vivra un enfer si sa fortune s'accompagne de l'angoisse de la perdre, tout comme l'amoureux jaloux. La confiance est ce qui fait la valeur des autres biens.

La confiance se trouve à travers cinq « institutions » majeures. La première est la religion : je m'en remets à la Providence, et je retrouve la quiétude. Vient ensuite le savoir : si j'épuise la causalité des choses par la connaissance, je réduis l'incertitude. Troisièmement, le travail sur soi : les morales antiques proposent des techniques pour ne pas être affecté par le sort ; aujourd'hui, la médecine de la dépression permet à l'individu de s'accommoder d'une certaine vulnérabilité. D'où le succès des magazines de philosophie et autres ouvrages de développement personnel. Quatrième institution : l'État. Dans la théorie hobbesienne du droit naturel, les hommes acceptent de renoncer à leur liberté pour jouir de la sécurité. Enfin, l'instauration de l'assurance apporte une solution financière.

Les fonctions régaliennes de l'État - la police, la justice, l'armée - ne représentent 5% que du budget global, l'assurance sociale et privée, 90% ! La religion n'a pas disparu mais me semble désormais marginale ; la science est devenue plus inquiétante que rassurante ; la confiance dans l'État s'amoindrit, d'où la recherche croissante de solutions individualisées, médicales, morales ou psychologiques. Reste les prestations d'assurance, qu'il s'agisse d'une économie collective - l'État providence - ou individuelle.

Le besoin de confiance a toutefois pour corollaire une certaine capacité à s'illusionner. La confiance est une valeur ambiguë : elle facilite les relations sociales, mais c'est aussi une dépendance, une perte de liberté...

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