Intervention de Fabrice Olivet

Mission d'information sur les toxicomanies — Réunion du 2 février 2011 : 1ère réunion
Table ronde réunissant des représentants d'associations

Fabrice Olivet, directeur général d'Auto-support des usagers de drogues :

Après les déclarations de mon voisin, je crains de me faire arrêter à la fin de cette séance !

L'association que je représente est une association d'usagers de drogues, consommateurs, ex-consommateurs et usagers du système de soins lié à la toxicomanie. Elle était initialement consacrée à la lutte contre le SIDA. C'est du reste dans le contexte de cette épidémie que la politique de réduction des risques a été introduite, dans les années 1990, alors que le seul horizon était jusqu'alors le paradigme du sevrage et de l'abstinence - horizon auquel il semble du reste qu'on veuille aujourd'hui nous ramener. La réduction des risques suppose de ne pas porter de jugement moral sur la consommation, mais de trouver des solutions pragmatiques pour remédier aux conséquences somatiques de l'usage de drogues, comme la fourniture de seringues stériles, l'éducation à l'injection et l'auto-support.

L'approche classique de la toxicomanie identifie un fléau - la drogue - considéré comme un agent autonome véhiculé par des trafiquants à la sortie des écoles et détruisant des vies. Cette approche privilégie la logique de l'offre.

La réduction des risques, quant à elle, ne porte aucun jugement moral sur l'usage de drogues et ne considère pas les substances comme des agents pathogènes, mais privilégie plutôt la logique de la demande, en insistant sur les différents niveaux de consommation validés par la science : usage, abus et dépendance. Cette approche insiste sur la responsabilité des usagers qui choisissent de consommer tel produit selon les circonstances de leur vie - ce qui peut certes être dramatique, notamment quand la consommation est une manière d'échapper à la folie ou au suicide, mais ce n'est pas toujours le cas.

L'Auto-support des usagers de drogues, qui existe depuis 1993, a construit un partenariat avec les professionnels du soin et les pouvoirs publics en vue d'un double but : l'information des usagers de drogue, notamment au moyen de « flyers » - qui, je le précise, ne sont pas distribués dans les écoles - et la lutte contre la discrimination sociale dont souffrent les usagers de substances illicites.

La réduction des risques est une approche qui considère les usagers de drogues comme des personnes responsables et capables de gérer les risques liés à leur consommation. L'exemple historique à cet égard est le décret dit « Barzach » du 13 mai 1987 qui a autorisé la commercialisation des seringues et été suivi, en six mois, par une très forte baisse de consommation. La droite est à l'origine des principales mesures de réduction des risques, mais cette approche suscite néanmoins des critiques de part et d'autre. À gauche prévalent plutôt la victimisation et les explications sociales, l'usage de drogues étant souvent présenté comme une excuse à des comportements délinquants, ce qui est antinomique avec la responsabilité et invalide la question des devoirs qui s'imposent aux usagers comme à tous les citoyens. À droite prime une vision morale de l'usage des drogues, souvent assimilé à une déchéance et à une perversion et considéré comme un acte condamnable, ce qui invalide la question des droits que défend notre association. Dans les deux cas, il y a peu de place pour la responsabilité d'usagers susceptibles d'assumer un statut de citoyen.

Bien qu'elle soit largement passée sous silence, la catastrophe sanitaire provoquée par le décret du 13 mars 1972 qui interdisait la vente de seringues en pharmacie - dont les signataires sont en partie les promoteurs de la loi du 31 décembre 1970, parmi lesquels le ministre de l'intérieur de l'époque, Raymond Marcellin - est un exemple caricatural de l'impact de l'idéologie dominante et des bonnes intentions. Cette politique a fait des milliers de victimes, contaminées par le VIH et le virus de l'hépatite - notamment des membres de notre association, y compris moi-même. En matière de drogues, les options rationnelles et scientifiques passent souvent après les options morales.

Le mot « toxicomanie », incompréhensible dans les conférences internationales, où l'on utilise les termes anglo-saxons de « drug use » et « drug abuse », a été forgé au XIXe siècle. La catastrophe que je viens d'évoquer a illustré l'échec historique de ce concept-roi des années marquées par l'héroïne, l'injection et l'épidémie de SIDA. Au début du XXIe siècle, qui a vu l'avènement de la science hospitalo-universitaire des addictions, ce terme devrait être banni et remplacé celui d'« usage de drogues » ou d'« addictions ». Il faut rompre avec l'idéologie qui a fait naître ce concept et passer à une autre étape, mais il semble que l'on veuille forger un nouveau paradigme pour revenir aux années 1970.

Je formulerai encore deux réflexions politiquement incorrectes. Tout d'abord, l'idée que l'équilibre résiderait dans l'abstinence de toute drogue est erronée. Pour la grande majorité des usagers, notamment les jeunes et les usagers récréatifs, l'idéal recherché est précisément cette récréativité - même si elle est à risque et fait parfois basculer dans la dépendance. Il en va de même, au demeurant, pour l'alcool. Chaque drogue possède son propre potentiel addictogène, variable selon l'individu et que chacun fait varier selon ses propres objectifs de consommation.

Par ailleurs, lorsqu'il est question de l'usage de substances, il est difficile de sortir du débat sur les valeurs. L'usage de drogues relève autant de la culture que de la science et moins les usagers possèdent d'outils culturels pour gérer cet usage, plus celui-ci est brutal pour eux-mêmes et pour les autres. Il faut donc sortir des solutions proposées par la technocratie médicale, qui a validé des décisions criminelles comme celle qui a conduit au décret du 13 mars 1972, dont la philosophie a été confirmée en 1985, en pleine épidémie de SIDA. La question centrale est bien celle de la liberté, de la fraternité et de la sécurité : est-il juste d'autoriser certains types de consommation et défendable de protéger la liberté générale et le droit de disposer de son propre corps ?

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