La mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), dont le budget est d'un peu moins de 24 millions d'euros en 2012, comme en 2011, coordonne la politique gouvernementale en la matière et en définit les orientations générales. Plusieurs réformes récentes, notamment la loi « Warsmann » du 9 juillet 2010, ont renforcé l'approche patrimoniale de la lutte contre les trafiquants de drogues : le fonds de concours dont la Mildt bénéficie, alimenté par le produit de la revente des avoirs saisis aux personnes condamnées, est ainsi passé de 7,8 millions en 2008 à 21 millions en 2010. Il ne faudrait pourtant pas que sa croissance encourage l'Etat à se désengager, comme cela s'est produit entre 2009 à 2011. Surtout, sa répartition devrait être axée sur la prévention, trop souvent négligée.
L'année 2011 a été marquée par le départ controversé du directeur de l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), opérateur rattaché à la Mildt chargé du recueil et de l'analyse des données relatives à la toxicomanie. Lors de mes auditions, certains se sont inquiétés de l'indépendance de cet organisme : son conseil scientifique ne s'est pas réuni depuis 2009 et ne sera renouvelé qu'en avril prochain. Or, ses travaux ne doivent pas être entachés de soupçon de partialité. Pourquoi ne pas envisager une séparation complète de la Mildt et de l'OFDT afin de consacrer l'indépendance de ce dernier ?
Le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, engagé en 2008, s'achève cette année. Ses cent quatre-vingt-treize mesures se répartissent entre prévention, communication ; information ; application de la loi, soins, insertion sociale, réduction des risques ; formation, observation, recherche ; coopération internationale. Malgré une approche équilibrée sur le papier, il s'est révélé essentiellement répressif, ce qui n'a pas empêché la résurgence de la consommation de certaines drogues. La Mildt devrait concilier l'application de la loi avec une véritable stratégie de santé publique.
Cela s'avère d'autant plus indispensable que la consommation de drogues, si elle n'est plus la même qu'il y a dix ans, ne diminue pas. Avec 1,2 million d'usagers réguliers, dont 550 000 quotidiens, le cannabis est le produit stupéfiant le plus consommé. Depuis 2002, la consommation des jeunes connaît une légère baisse mais, en 2010, un tiers des adultes déclarait en avoir déjà consommé.
Plus inquiétant, la banalisation de la cocaïne est avérée : sa consommation, en hausse depuis dix ans, a surtout concerné les jeunes adultes : en 2010, 2,5 % d'entre eux en aurait consommé, soit près de 400 000 usagers.
La consommation d'héroïne est le fait de publics fragiles et souvent jeunes. La prévention doit être renforcée, du fait des risques de surdose et de transmission des virus du sida ou de l'hépatite C.
Au total, l'usage problématique de drogues concerne 230 000 personnes, dont 74 000 usagers mensuels d'héroïne et 81 000 usagers mensuels par voie intraveineuse. Souvent associée à des phénomènes de polytoxicomanie et à des troubles psychiatriques, il affecte des populations marginalisées, dont la répression ne fait qu'aggraver les difficultés sociales.
La situation sanitaire des usagers de drogues est critique. Le taux des surdoses mortelles, qui avait baissé de 80 % entre 1994 et 1999, augmente depuis le milieu des années 2000 : plus de trois cents cas par an. Le VIH est désormais mieux dépisté et traité. En revanche, la France est confrontée à une véritable épidémie d'hépatite C. La prévalence de ce virus chez les usagers de drogues par voie intraveineuse est d'environ 60 %. Malgré la mise en place de programmes d'échange de seringues et le développement des traitements de substitution, le partage des accessoires de consommation propage cette maladie qui causerait entre deux mille et quatre mille décès par an.
Critique, la situation sanitaire au sein des prisons suscite chez bon nombre d'associations et de professionnels une indignation que je partage, de même que j'approuve le diagnostic fait par la mission commune d'information Sénat-Assemblée nationale sur les toxicomanies, dont le corapporteur était notre collègue Gilbert Barbier : la prison multiplie par dix le facteur de risques relatif à l'hépatite C. Des programmes d'échange de seringues devraient y être expérimentés et la continuité des soins pour les détenus toxicomanes garantie.
Par ailleurs, les addictions aux substances licites mériteraient d'être mieux traitées par la Mildt. Si la consommation générale d'alcool baisse, les comportements à risques augmentent, surtout chez les jeunes avec des phénomènes d'alcoolisation massive. La proportion de fumeurs quotidiens, en hausse, atteint 30 % des adultes. Le mésusage des médicaments et des traitements de substitution aux opiacés est une réalité : les personnes sous traitement devraient être accompagnées afin de détecter les comportements à risques.
La focalisation sur la répression, qui est au coeur de la politique en matière de lutte contre la drogue et la toxicomanie, peut se révéler néfaste. La lutte contre les trafiquants est certes indispensable mais il faut rappeler que la simple consommation d'une drogue reste un délit passible d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. La Cour des comptes a sur ce point dénoncé certaines dérives des services de police : la politique du chiffre les incite à interpeller de simples consommateurs au détriment de trafics plus complexes. En conséquence, l'incarcération des usagers de drogues est repartie à la hausse, avec 2 625 peines de prison ferme prononcées en 2009 pour usage illicite. Or, cette politique répressive éloigne les toxicomanes des dispositifs de prévention et de soin.
Appuyons-nous davantage sur les associations. Leurs efforts, durant les années 1980 et 1990, pour l'échange de seringues ou les traitements de substitution, ont porté leurs fruits ; elles sont les mieux à même de toucher les populations les plus fragiles, les plus marginales et donc les moins susceptibles de bénéficier des actions de prévention officielles. Elles ont aussi demandé l'ouverture de salles de consommation supervisées, sur le modèle de ce qui a été expérimenté chez certains de nos voisins. Quoique la mission d'information interparlementaire sur les toxicomanies ne l'ait pas jugée opportune, cette question mériterait d'être traitée d'un point de vue non pas moral mais pragmatique, afin de réduire les risques pour les usagers et les nuisances pour la société. La recrudescence des conduites à risque en matière d'usage intraveineux montre la limite des politiques actuelles. C'est pourquoi une évaluation des besoins est nécessaire et des expérimentations seraient les bienvenues. Fait important, des collectivités locales de toutes sensibilités politiques sont volontaires : reste à en établir de manière concertée le cadre juridique.
Sans trancher la question, une étude de l'Inserm sur la réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues relevait l'an dernier le caractère bénéfique de ces centres de consommation supervisés, pour les usagers comme pour la communauté. Elle contenait d'ailleurs de nombreuses autres recommandations qui ont malheureusement été passées sous silence alors qu'elles pourraient servir au plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies 2012-2015, dont l'élaboration est en cours.
Ce travail de l'Inserm démontre les insuffisances de la politique de prévention en France. Certains départements ne disposent d'aucune structure d'accueil « à bas seuil d'exigence », c'est-à-dire ouvertes à tous les usagers de drogues, et qui permettent de dispenser d'utiles conseils. Les dispositifs existants ne correspondent pas toujours aux besoins des toxicomanes. Une politique rénovée reposant sur l'accès à la prévention et aux soins et adaptée aux nouveaux modes de consommation est donc nécessaire. Alors que le nombre de jeunes consommatrices augmente, l'Inserm souligne l'urgence d'une politique de réduction des risques spécifiques aux femmes, qui sont exposées à des risques particuliers (violence, prostitution, grossesse). Je regrette que les conclusions de ce travail scientifique de référence n'aient pas, pour l'instant, été reprises par ceux qui l'ont commandé.
Les nouvelles formes d'addiction mériteraient également une attention accrue. Ces addictions sans substance constituent une véritable question de santé publique : il y aurait à peu près autant de personnes victimes d'une addiction au jeu que d'usagers problématiques de drogues, soit environ 200 000 personnes. Les comorbidités sont fréquentes et les conséquences financières extrêmement graves pour les familles. Les addictions comportementales devraient donc entrer dans le champ de compétence de la Mildt qui, jusqu'à présent, n'a pas fait preuve d'un grand intérêt en ce domaine.
Depuis le tournant répressif pris en 2007, la priorité n'est plus donnée à la prévention ni à la réduction des risques, d'où la dégradation de la situation sanitaire. L'emprisonnement des toxicomanes ne résoudra rien et la multiplication des arrestations de consommateurs pour gonfler les statistiques policières n'est pas acceptable.
J'émets le voeu que, pour la période 2012-2015, une nouvelle orientation soit donnée à cette politique. Comme il n'est pas souhaitable de conforter les choix actuels et comme les crédits de l'Etat sont insuffisants, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la Mildt.