a tout d'abord souligné que, depuis sa dernière audition devant la commission, le 30 décembre 2004, la situation en Irak ne lui semblait pas devoir susciter plus d'optimisme et qu'elle lui paraissait désormais sans issue à court et moyen terme.
Pour autant, il a considéré que des évolutions très importantes étaient intervenues en Irak, l'événement le plus marquant étant la mise en place d'institutions politiques, dans le cadre du processus enclenché par les Etats-Unis : premières élections législatives le 30 janvier 2005, référendum sur la Constitution le 15 octobre 2005 et élections législatives le 15 décembre 2005.
Ces dernières élections ont parachevé l'édifice institutionnel du nouvel Irak, et affermi une légalité d'où il sera désormais difficile de sortir. Il s'agit donc de savoir si ce système politique mis en place par les Etats-Unis serait viable ou non.
Le blocage politique auquel on assiste actuellement, avec la difficile désignation du premier ministre, traduit, a poursuivi M. Pierre-Jean Luizard, l'impasse communautaire qui caractérise l'ensemble du processus. Car chaque acteur irakien s'y est engagé au nom d'intérêts communautaires et compte, même tacitement, sur la présence d'une autorité supérieure non irakienne (la Coalition américaine) pour imposer aux autres des choix qu'ils refusent. La surenchère communautaire a conduit à des revendications de plus en plus incompatibles entre elles. La conséquence de cette logique est que la société irakienne est durablement divisée : aujourd'hui, les Irakiens ont peur les uns des autres.
a rappelé que l'évolution récente de la scène politique irakienne avait toutefois été marquée par deux événements majeurs, d'une part le ralliement des représentants arabes sunnites aux institutions et la participation massive de cette communauté aux élections, assortie d'une trêve temporaire de la guérilla et, d'autre part, la victoire électorale de la mouvance chiite Sadriste (au sein de laquelle les partisans de Moktada Al Sadr sont majoritaires), qui s'impose comme le premier parti politique du pays. Que l'intervention armée américaine ait eu pour effet de favoriser l'ascension d'un tel parti, qui proclame sa fraternité avec des mouvements tels que le Hamas ou le Hezbollah, ne constitue pas le moindre des paradoxes.
Le ralliement des représentants arabes sunnites au dispositif institutionnel est lié à la volonté des Etats-Unis, et en particulier de leur ambassadeur sur place, M. Zalmay Khalilzad, de les intégrer dans le processus politique en cours. Toutefois, a précisé M. Pierre-Jean Luizard, les sunnites souffrent d'un handicap que n'ont pas les chiites ou les Kurdes : trente années de dictature les ont privés d'un leadership pouvant prétendre à une réelle légitimité. Ceux qui parlent en leur nom ont été pressés d'intégrer le processus politique avec l'objectif, pour les Américains, de scinder la guérilla en deux camps, l'un « irakien » participant au processus politique, l'autre, « takfîrî » (c'est-à-dire « excommunicateur »), qui continue à jeter l'anathème sur des chiites considérés comme hérétiques. Cet objectif a été favorisé par l'opposition croissante d'une partie de la guérilla irakienne aux campagnes meurtrières de terrorisme anti-chiite et par son refus de répondre aux anathèmes contre les chiites lancés par Abou Moussab Al Zarkaoui. Rappelons que ce dernier avait lancé cet appel à l'excommunication en représailles, disait-il, après les attaques combinées de la Coalition américaine et des troupes irakiennes contre la ville à majorité turkmène sunnite de Tel Afar à l'été 2005. Cet appel a été dénoncé par les religieux sunnites. Et au cours de l'année 2005, un réel transfert d'allégeance a donc pu être observé des groupes liés à Al-Qaïda vers la guérilla « irakienne ».
Des contacts ont été noués entre les Américains et la guérilla sunnite à l'été 2005, a ajouté M. Pierre-Jean Luizard, contacts poursuivis officiellement par le président irakien Jalal Talabani au mois de novembre 2005. Ils ont été prolongés par la Conférence de réconciliation, tenue du 19 au 21 novembre 2005 au Caire, à laquelle toutes les tendances politiques irakiennes étaient représentées. Cette conférence a abouti à un consensus sur un calendrier de retrait rapide des troupes étrangères sur deux ans, et même sur 6 mois pour certaines villes. L'autre point de consensus manifesté lors de la Conférence du Caire a été l'affirmation du caractère légitime de la résistance contre les troupes étrangères, déclaration paradoxale qui témoigne de la volonté d'intégrer dans le processus politique ceux-là mêmes qui mènent la lutte armée.
Cette conférence a été suivie de déclarations importantes de la part de chefs religieux sunnites appelant les Arabes sunnites à participer aux élections. La crainte d'être exclus et la montée des périls confessionnels au cours de l'année 2005 avaient achevé de convaincre les dirigeants arabes sunnites de participer au processus électoral.
est ensuite revenu sur le second événement majeur récent de la vie politique irakienne, l'ascension de la mouvance de Moqtada al Sadr, même si cette mouvance sadriste est elle-même divisée, notamment sur la base d'allégeances régionales. Il a rappelé que ce mouvement était déjà partiellement intégré dans le processus politique et que, si Moqtada al Sadr avait refusé de participer aux premières élections législatives de janvier 2005, considérant qu'elles étaient vouées à l'échec, il n'avait cependant pas formulé d'interdiction à l'encontre de ses partisans qui, chaque fois qu'ils s'étaient présentés, avaient été élus avec des scores importants.
Il a considéré que le déchaînement de la violence antichiite, qui était allée croissant au cours de l'année 2005, avait constitué un élément décisif pour pousser les Sadristes à rallier la « Maison chiite commune », l'Alliance irakienne unifiée.
Il a souligné que la personnalité de Moqtada al Sadr, qui a souvent fait montre de solidarité envers les sunnites, était très populaire chez ces derniers et qu'il n'était entré dans le processus politique pour défendre sa communauté qu'après négociations non seulement avec le parti Da'wa et l'ASRII, Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak, mais aussi avec l'ayatollah Ali Sistani, sur la base de trois conditions : l'assurance que, quel que soit le résultat des élections, son mouvement se trouverait à parité avec l'ASRII, que le prochain premier ministre s'engagerait à réclamer le départ des troupes étrangères et, enfin, qu'il ne s'engagerait pas dans la voie d'une normalisation avec Israël.
La victoire électorale des Sadristes, qui dépassent tous les autres partis chiites, est peut-être le signe d'une prise de conscience chez les chiites de ce que la politique confessionnaliste défendue par l'ayatollah Sistani (au nom du « droit de la majorité ») est une impasse et condamne les chiites à une guerre perpétuelle avec les sunnites.
s'est ensuite interrogé sur le point de savoir si cette participation de toutes les forces politiques aux élections pouvait sauver un processus qui lui semble malgré cela voué à l'échec.
Il a relevé que la participation aux élections n'enrayait pas pour autant la dynamique communautariste à l'oeuvre en Irak et qu'elle l'exacerbait, au contraire, en l'institutionnalisant. Au lieu d'ouvrir l'espace public, ces élections ont en fait contribué à le verrouiller. Elles ont davantage constitué un instrument de la guerre communautaire larvée en cours qu'un pas vers la démocratie. La représentation parlementaire est uniquement communautaire et n'a rien à voir avec un jeu politique démocratique : basée sur un rapport de force démographique figé, la majorité restera la majorité et les minorités resteront des minorités, sans évolution possible autre que par la violence.
Les élections ont ainsi abouti à une assemblée dominée par la liste chiite qui n'a cependant pas obtenu la majorité absolue du fait de la participation massive des Arabes sunnites aux élections. L'incertitude pèse aujourd'hui sur la désignation du prochain premier ministre car, si M. Ibrahim Al Jaafari est contesté, aucune alternative stable ne se dessine clairement.
Pour M. Pierre-Jean Luizard, les seuls points d'accord identifiables au sein du Parlement irakien sont la définition d'un calendrier de retrait des troupes américaines et l'application de la Charia, qui seraient toutes deux en mesure de recueillir une majorité des deux tiers.
a conclu que le dispositif institutionnel ne pourrait pas apporter le minimum de stabilité nécessaire à un désengagement américain, que les affrontements intercommunautaires risquaient de s'aggraver encore, sans qu'une partition soit possible pour autant, que le processus était menacé de blocage et que les dirigeants irakiens devaient s'engager dans une autre voie. Ce n'est que sur la base d'un calendrier de retrait des troupes étrangères qu'un consensus pourra s'établir. La mouvance islamiste chiite, incarnée par les Sadristes, semble être la mieux placée dans un tel contexte : tout en participant au processus politique, elle bénéficie du prestige que lui vaut la guerre qui l'a opposée aux forces de la Coalition en 2004 ; elle continue d'ailleurs à ne pas rejeter l'éventualité d'un recours à la lutte armée contre les forces étrangères et a intégré la nécessité d'un dialogue entre sunnites et chiites. Des prières communes et la conclusion d'un « pacte d'honneur », afin d'éviter la sédition religieuse, ont ainsi suivi la destruction du mausolée chiite de Samarra.