Rappelant que la création de la Commission de suivi de la détention provisoire résultait d'une initiative parlementaire adoptée lors de la discussion de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, M. Jean-Marie Delarue, président de la Commission de suivi de la détention provisoire, a indiqué que celle-ci publiait un rapport annuel présentant l'ensemble des informations statistiques relatives à la détention provisoire. Considérant que la Commission s'efforçait ainsi d'améliorer l'information du Parlement sur la détention provisoire, il a précisé que le rapport annuel comportait en outre des développements successivement consacrés ces dernières années au régime carcéral de la détention provisoire, à la détention des mineurs, à la durée de la détention provisoire et aux effets du surpeuplement des maisons d'arrêt sur la détention provisoire.
Expliquant que le taux de détention provisoire était souvent mesuré en rapportant la population des prévenus à l'effectif total des personnes incarcérées, il a précisé que la population carcérale comprenait, au 1er mars 2008, 28 % de prévenus, soit un taux historiquement bas. Soulignant que ce ratio connaissait de fortes oscillations, la part des prévenus dans les prisons françaises étant passée de 35 % en 1969 à 50 % en 1984, puis revenue à 38 % en 2003, il a indiqué que le taux de personnes placées en détention provisoire rapporté à la population totale connaissait des variations moins importantes, puisqu'il s'élevait actuellement à 28,1 prévenus pour 100.000 habitants, contre 28,9 pour 100.000 habitants en 2000.
Rappelant que, pour la direction de l'administration pénitentiaire, la détention provisoire englobait à la fois les prévenus en attente de jugement, les détenus ayant fait appel de leur condamnation ou ayant formé un pourvoi en cassation et les détenus se situant encore dans les délais d'appel et de pourvoi, il a estimé que si l'on ne prenait pas en compte cette dernière catégorie, le nombre des prévenus serait réduit d'environ 10 %.
Il a relevé que si la France avait longtemps connu un taux de détention provisoire supérieur à celui de ses voisins européens, la proportion de 28 prévenus pour 100.000 habitants la plaçait aujourd'hui dans la moyenne des pays membres du Conseil de l'Europe. Jugeant que ces données ne rendaient pas compte de toutes les évolutions de la détention provisoire, puisqu'elles n'en explicitaient ni les motifs, ni la durée, il a estimé que celle-ci ne devait pas être perçue comme le commencement d'une procédure judiciaire, mais comme l'aboutissement des mécanismes de la chaîne pénale.
a expliqué qu'une étude approfondie des données statistiques faisait apparaître, au cours des cinquante dernières années, des variations difficiles à expliquer : les unes, hâtivement attribuées, s'agissant des reflux de la détention provisoire, à l'anticipation par les magistrats de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, puis aux réactions suscitées par l'affaire d'Outreau ; les autres, en ce qui concerne la progression des années 2001 et 2002, aux conséquences de la remise en liberté trop rapide d'un criminel en 2001.
Considérant que ces variations tenaient davantage à des évolutions fondamentales dans l'utilisation de la chaîne pénale, il a rappelé que depuis 1974, le nombre de personnes mises en cause par les services de police et de gendarmerie avait connu une hausse constante, passant de 600.000 en 1974 à plus d'1,1 million aujourd'hui, soit une augmentation de 93 %. Il a relevé que le nombre de personnes placées en garde à vue avait augmenté, au cours de la même période, de 165 %, passant de 200.000 dans les années 1970 à 530.000 en 2006.
Soulignant l'impact des mécanismes de la chaîne pénale sur ces évolutions, il a précisé que le nombre de poursuites engagées s'établissait à 678.000 en 2005, contre 600.000 au début des années 2000, soit une progression de 10 %, tandis que le taux d'écrou, rapportant le nombre de détenus à titre provisoire, au nombre de gardes à vue, augmentait de façon structurelle depuis 1976 et avait connu en 2002 une hausse brutale, atténuée au cours des dernières années. Ayant également observé une hausse sensible du ratio entre les mises en examen et les mandats de dépôt, il a indiqué que le rapport entre le nombre de personnes maintenues en détention à la fin de l'instruction et le nombre de personnes libérées avait crû au cours des dernières années.
Il a considéré que le maintien à un niveau élevé du nombre des détentions provisoires apparaissait comme la conséquence logique du dispositif pénal, la sévérité et la durée des peines prononcées ayant connu un net accroissement au cours des cinquante dernières années. Il a estimé que cet allongement de la durée des peines et la plus grande effectivité des peines courtes expliquaient largement l'évolution à la baisse du taux de prévenus rapportés à l'ensemble de la population carcérale. Relevant que la progression des entrées en prison procédait de l'accroissement du nombre des poursuites et de la rigueur, et non de l'évolution de la délinquance constatée, il a précisé que l'augmentation de la population pénitentiaire était dû à la fois à la hausse des entrées en détention et à l'allongement de la durée des peines.
a expliqué que la détention provisoire connaissait en outre des changements structurels, liés à la diversification de la réponse pénale face à la délinquance, le parquet jouant aujourd'hui un rôle majeur dans l'orientation des prévenus, comme avait pu le constater la Commission lors de déplacements auprès de substituts effectuant des permanences. Il a souligné la responsabilité des magistrats du parquet, chargés d'opter pour des procédures judiciaires brèves ou longues, dans l'utilisation de la détention provisoire.
Constatant que la part de l'instruction dans les mécanismes de poursuite pénale ne cessait de diminuer, il a précisé que l'ouverture d'une information judiciaire n'avait concerné que 4,3 % des affaires en 2005, contre 14 % dans les années 1960 et que les juges d'instruction n'intervenaient actuellement que dans 30.000 affaires par an, au lieu de 70.000 affaires par an dans les années 1960. Il a indiqué que les magistrats réservaient l'instruction aux affaires graves et complexes, orientant vers des procédures plus courtes des affaires simples, quel que soit par ailleurs leur degré de gravité. Il a indiqué que les évolutions législatives et la pratique des magistrats conduisaient parfois à appliquer la comparution immédiate à des affaires graves, aboutissant à des peines lourdes.
Rappelant que dans les années 1980 la comparution immédiate était appliquée à 30.000 affaires chaque année, il a indiqué que cette procédure avait concerné 45.400 affaires en 2006, soit une augmentation de 55 %, entraînant une charge importante pour les magistrats. Il a souligné qu'en 2005, les 45.000 jugements prononcés dans le cadre d'une comparution immédiate avaient été assortis de 19.300 mises en détention provisoire. Déplorant le manque de précision des outils statistiques, il a estimé qu'un prévenu sur deux ou trois faisait l'objet d'une détention provisoire, y compris lorsqu'il était orienté vers une procédure de comparution immédiate.
Expliquant que l'arbitrage entre une procédure judiciaire courte ou longue avait un impact déterminant sur la nature de la détention provisoire, il a précisé que le renvoi à l'instruction entraînait une détention provisoire de plusieurs mois ou années, alors que les procédures courtes étaient généralement assorties d'une détention provisoire n'excédant pas quelques jours ou quelques semaines. Il a distingué la détention provisoire classique et de longue durée, appliquée aux auteurs de délits graves ou de crimes, de la détention provisoire intervenant dans le cadre de procédures courtes, qui n'épargnait pas au prévenu le choc d'une entrée dans le milieu carcéral, alors que l'administration pénitentiaire n'était guère préparée à accueillir des détenus pour quelques jours seulement.
Il a jugé que la perception des poursuites pénales par la société et par les magistrats avait également connu des évolutions importantes, les affaires de vol conduisant beaucoup plus rarement à une détention provisoire aujourd'hui que dans les années 1960. Il a relevé qu'une sensibilité accrue à l'égard des atteintes aux personnes aboutissait à une augmentation du recours à la détention provisoire dans ce type d'affaires, y compris pour des faits relativement mineurs, la détention provisoire pour des cas de conduite sous l'emprise d'alcool ayant ainsi progressé de 300 % entre les années 1960 et 2005, alors que la détention provisoire pour vol diminuait de 68 %. Indiquant que le placement en détention provisoire d'auteurs de crimes sexuels avait augmenté de 116 % entre 1984 et 2005, il a souligné que ces évolutions entraînaient un fort accroissement de la part des criminels dans les effectifs de la détention provisoire.
Attirant l'attention sur la perception de la détention provisoire par les magistrats, il a noté que ces derniers n'étaient jamais indifférents à la situation d'une personne placée en détention provisoire, mais que beaucoup d'entre eux considéraient encore la détention provisoire comme une sanction immédiate pour l'auteur de faits graves.
a observé que la durée de la détention provisoire n'avait cessé d'augmenter pour s'établir en moyenne à 5,7 mois en 2005 (4,2 mois pour les délits et 25,7 mois pour les crimes). Il a ajouté que la durée moyenne des instructions en matière criminelle s'élevait à 16,8 mois, le surplus résultant des délais d'audiencement excessivement longs. Il a rappelé par ailleurs que le régime de la détention provisoire, le plus rigoureux de tous les régimes de détention, paraissait sur certains points, en particulier s'agissant des relations du détenu avec l'extérieur, incompatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. Il a observé également que la question de la réinsertion des personnes placées en détention provisoire restait entière.