a tout d'abord dressé un état des lieux du système de retraite français, en insistant sur la crise profonde qu'il traverse. Cette crise est fondamentalement liée à la dégradation de la conjoncture économique et notamment à l'explosion du chômage. Elle est aussi corrélée aux mutations démographiques - vieillissement de la population et allongement de l'espérance de vie - qui caractérisent les sociétés contemporaines. Ces évolutions démographiques sont certes bien réelles mais ne doivent pas, pour autant, être considérées comme inéluctables et uniques responsables des difficultés du système de retraite. Aussi, la question de fond en matière de retraites est la suivante : celles-ci sont-elles une charge pour la société ou bien peuvent-elles, en s'appuyant sur le dynamisme démographique, sur la promotion de l'emploi, de la formation et des salaires, contribuer au développement économique et social ?
Réformer le système de retraite impose avant tout de répondre à ses besoins de financement qui ont été évalués par le conseil d'orientation des retraites (Cor), dans ses projections de 2007, à plus de 65 milliards d'euros en 2040 et plus de 70 milliards en 2050. Ces chiffres, qui révèlent l'ampleur de la question du financement des retraites, sont néanmoins inférieurs de moitié à ceux avancés par le rapport de Jean-Michel Charpin sur l'avenir des retraites de 1999. Il est vrai que le système par répartition sera exposé de 2010 à 2040 à un déficit démographique. L'allongement de l'espérance de vie après soixante ans qui, en soi, est une bonne nouvelle et l'arrivée à l'âge de la retraite de la génération du baby-boom ont pour effet de déséquilibrer le rapport de dépendance démographique (rapport entre le nombre de personnes en âge de travailler et le nombre de personnes en âge d'être à la retraite) et de poser de sérieux problèmes de financement aux régimes. La proportion des personnes de soixante ans et plus dans la population totale devrait passer de 24 % en 2000 à 36 % en 2040, soit une hausse de 50 %. Le rapport des soixante ans et plus sur les vingt-soixante ans pourrait atteindre 0,73 en 2040, alors qu'il était de 0,38 en 2000. La pensée dominante a tendance à promouvoir une approche très fataliste des évolutions démographiques pour accréditer l'idée qu'on ne pourrait plus financer les retraites et que des réformes drastiques seraient donc inévitables. Ainsi avait-on retenu un indice pour le taux de fécondité particulièrement bas. Or, il est aujourd'hui légèrement supérieur à deux enfants par femme et donc proche du seuil de renouvellement des générations.
En réalité, les variables économiques jouent plus fortement que la seule démographie sur le financement des retraites. Après des années de croissance molle, le système capitaliste est entré dans une nouvelle phase, particulièrement explosive. La récession, la désindustrialisation, les délocalisations, l'augmentation du chômage, la montée de l'exclusion et des emplois précaires vont contribuer à dégrader fortement le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités. Plus que les mutations démographiques, c'est l'insuffisance de la population active qui alourdit les besoins de financement des régimes de retraite. Selon les prévisions du Cor de 2007, la part des prestations vieillesse dans le Pib passerait de 12,6 % en 2000 à près de 15 % en 2040. Ces estimations sont toutefois très inférieures à celles établies dans le premier rapport du conseil qui faisait état d'un poids des dépenses de retraite dans la richesse nationale de 18,6 % en 2040. Une telle augmentation n'aurait d'ailleurs rien d'insupportable, comparée au doublement de la part des soixante ans et plus dans la population totale. Le rapport du Cor de 2007, dont les prévisions sont reprises dans celui de janvier 2010, a le mérite de relativiser le besoin de financement du système de retraite : 1 % du Pib en 2020 ; 1,8 % en 2040 et 1,7 % en 2050, soit 68,8 milliards d'euros. Ces chiffres conduisent à dédramatiser, sans pour autant le nier, le choc démographique. En revanche, les prévisions du Cor reposent sur l'hypothèse peu réaliste d'un taux de chômage de 4,5 % sur toute la période de projection. Or, actuellement, le taux de chômage se situe autour de 10 % de la population active.
Les projections macro-économiques de long terme sont très contestables et ne peuvent prétendre à une quelconque validité scientifique. Ainsi, pour l'année 2008-2009, les prévisionnistes ont montré leur incapacité à anticiper la crise financière et économique sur un horizon de six mois. Leurs projections, qui reposent sur un diagnostic peu pertinent des quarante années à venir, ont tendance à alimenter le catastrophisme pour justifier à l'avance des mesures de régression sociale. De même, nombre d'experts - attachés aux dogmes économiques libéraux - se refusent à intégrer dans leurs scénarii les besoins humains, la nécessité de développer résolument la formation et la productivité, d'éradiquer le chômage et la précarité. C'est pourquoi il est indispensable d'engager un nouveau type de politique économique et de gestion des entreprises qui mette l'accent sur l'emploi, les salaires, la formation et la protection sociale, seuls à même d'engendrer une croissance sociale et durable.
Toutes les réformes du système de retraite menées entre 1993 et 2003 ont entraîné une baisse continue du taux de remplacement. Pour l'ensemble des salariés du secteur privé (cadres et non-cadres), celui-ci diminuera de neuf à dix-sept points à l'horizon 2040. Le passage de l'activité à la retraite se caractérise donc par une brutale dégradation du niveau de vie. Par ailleurs, la crise a révélé la très grande vulnérabilité des régimes de retraite par capitalisation, la débâcle des marchés financiers ayant mis à mal les fonds de pension. En France, le fonds de réserve des retraites (FRR), qui avait soi-disant vocation à sauver les régimes de retraite après 2020, n'a pas été épargné et a même enregistré des pertes considérables. Les réserves de l'Agirc et de l'Arrco ont également subi de sévères moins-values, tout comme l'ensemble des produits d'épargne retraite.
S'appuyant sur le dernier rapport du Cor, Mme Catherine Mills a ensuite évoqué deux propositions de réforme systémique fréquemment avancées pour le système de retraite français.
La première consisterait à mettre en place un régime en comptes notionnels comme l'a fait la Suède dans les années 1990. Cette technique de calcul des droits à la retraite permet, certes, d'assurer l'équilibre du système sur le long terme grâce à sa capacité d'ajustement automatique, mais ne donne aucune garantie quant au taux de remplacement. Le niveau de la retraite dépend en effet directement de l'âge de départ : plus celui-ci est retardé, plus le montant de la pension augmente et inversement. Le système suédois repose également sur une part de capitalisation : 2,5 % des cotisations sociales payées par les salariés sont placés sur des fonds publics ou privés, généralement en actions. Après avoir augmenté de 30,2 % en 2005, 12 % en 2006 et 5,6 % en 2007, la valeur annuelle de ces fonds a diminué en 2008 de 34,5 %. Cette chute a provoqué un vaste mouvement de panique parmi les des futurs retraités suédois.
La seconde option serait de passer d'un système en annuités à un système par points. Dans ce type de régime, la pension complète des assurés n'est pas définie selon un pourcentage précis du salaire de référence ; la garantie fondamentale du niveau de la pension initiale n'est donc en aucune manière assurée.
Au final, ces deux propositions ne feraient qu'accélérer le mouvement à la baisse du taux de remplacement. Par ailleurs, elles ne constituent pas une solution miracle au problème du financement à long terme des retraites, ainsi que le note le Cor dans son dernier rapport.
Des pistes alternatives de réforme méritent dès lors d'être étudiées. Celles-ci doivent poursuivre plusieurs objectifs :
- garantir le système de retraite par répartition. Non seulement la répartition assure la solidarité intergénérationnelle - le versement des cotisations des actifs servant immédiatement au paiement des prestations des retraités - mais elle fournit aussi un moteur à la croissance économique - les prestations soutenant la demande effective. A l'inverse, la capitalisation, qui repose sur le dogme de l'épargne individuelle, s'effectue au détriment de la demande effective et de l'économie réelle puisque les fonds capitalisés sont placés sur les marchés financiers ;
- articuler la problématique des retraites avec la politique de l'emploi et la politique familiale. Il faut augmenter le taux d'activité des femmes en facilitant notamment la garde d'enfants, oeuvrer pour l'insertion des jeunes sur le marché du travail et rompre avec la culture d'éviction des travailleurs seniors. Cela suppose de construire un système de sécurisation des parcours professionnels et de formation tout au long de la vie ;
- s'attaquer aux inégalités par rapport à la vieillesse et à la retraite. En effet, la mortalité prématurée reste particulièrement élevée chez les ouvriers de sexe masculin et les pensions des femmes demeurent nettement inférieures à celles des hommes ;
- reconnaître la pénibilité du travail. Celle-ci aurait dû être prise en compte à la suite de la loi de 2003, mais les propositions du Medef en la matière ont contribué à faire échouer les négociations interprofessionnelles ;
- répondre à la question du financement, sans quoi le système de retraite par répartition ne pourra pas être sauvé. En France, le débat sur l'utilisation du levier « recettes » est trop souvent tabou au motif que le poids des prélèvements obligatoires est déjà suffisamment élevé et que l'augmentation des cotisations alourdirait le coût du travail. De nouveaux financements pourraient pourtant être dégagés à partir d'une réforme de l'assiette des cotisations patronales, en modulant le taux de cotisation en fonction du rapport masse salariale-valeur ajoutée. Ainsi, les entreprises qui limitent la progression des salaires et licencient seraient assujetties à des taux beaucoup plus lourds. A l'inverse, celles qui développent les emplois, les salaires et la formation bénéficieraient de taux relativement plus bas. Une autre piste consisterait à soumettre à cotisations les revenus financiers des entreprises et des banques. Actuellement, ces revenus ne participent pas au financement de la protection sociale et se développent au détriment de la croissance réelle. Ils pourraient donc être mis à contribution à hauteur du taux de la cotisation patronale sur les salaires, soit 8 % pour les retraites, ce qui rapporterait près de 22 milliards d'euros au système. La Cour des comptes, qui a évalué ces revenus à 260 milliards d'euros en 2008, s'est d'ailleurs prononcée en faveur de leur taxation. L'objectif final est de réorienter l'argent provenant de ces cotisations supplémentaires vers la croissance réelle, l'emploi, la formation et d'alimenter le système de retraite.