Intervention de Yannick Moreau

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 27 juin 2007 : 2ème réunion
Périmètre de la protection sociale — Audition de Mme Yannick Moreau présidente de la section sociale du conseil d'etat

Yannick Moreau, présidente de la section sociale du Conseil d'Etat :

A titre liminaire, Mme Yannick Moreau, présidente de la section sociale du Conseil d'Etat, a souligné les nombreuses améliorations apparues ces dernières années, notamment avec la création des lois de financement de la sécurité sociale. Il reste cependant plusieurs points préoccupants. En particulier, le Gouvernement peut créer tout au long de l'année des exonérations de cotisations sociales pour des montants parfois substantiels et de façon totalement indolore, la compensation de ces exonérations n'étant envisagée qu'au moment de la discussion du projet de loi de financement. Ce décalage dans le temps entre la décision d'exonération et sa compensation entraîne en pratique un contrôle très faible sur la dépense publique. Phénomène aggravant, la question de la prise en charge des exonérations n'apparaît le plus souvent qu'en annexe aux deux lois financières et passe relativement inaperçue.

Par ailleurs, telles qu'elles existent, la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale pourraient finir par poser un problème de sincérité des comptes dans la mesure où ces deux documents peuvent ne pas être en concordance sur le montant des recettes et des charges. Le fait que les deux textes ne soient pas examinés en même temps lors de leur passage au Conseil d'Etat ou au Conseil constitutionnel accroît ce risque.

Une troisième difficulté provient de ce que les arbitrages faits le sont le plus souvent au détriment de la sécurité sociale, sauf lorsqu'il existe un grand « ministère des affaires sociales » dont le titulaire dispose de suffisamment de poids politique pour imposer ses choix. La grande taille de ce ministère n'est cependant pas un gage d'efficacité globale.

Enfin, l'Etat ne paie pas ce qu'il doit pour ses fonctionnaires au titre des cotisations sociales et ne montre pas une qualification exemplaire dans la gestion des transferts sociaux, car il mélange constamment la politique salariale, dont il souhaite minimiser les coûts, et les dépenses au titre des retraites. En pratique, il préfère accorder des bonifications à ses retraités plutôt que des primes à ses fonctionnaires lorsqu'ils sont en activité.

De ce point de vue, il est regrettable que la réforme annoncée des régimes spéciaux ne s'étende pas jusqu'au régime de ceux des fonctionnaires de l'Etat qui ont des avantages supplémentaires par rapport aux autres, notamment du point de vue de l'âge et des bonifications.

Abordant la question d'une éventuelle fusion des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, Mme Yannick Moreau a estimé que cette idée se heurte à de nombreuses objections. En premier lieu, cette évolution comporte le risque d'une étatisation de la sécurité sociale, en contradiction forte avec les principes fondateurs établis en 1945. Or, face aux réformes nécessaires, il est plus efficace d'associer les partenaires sociaux, ce qui n'est pas facile pour l'Etat. L'exemple du conseil d'orientation des retraites montre l'intérêt d'un processus débordant largement les décideurs étatiques.

D'une façon générale, la société française se caractérise par la dureté des relations dans le domaine social. Au sein de cette société dure, il reste deux éléments d'équilibre : la sécurité sociale et les services publics.

Dans le même ordre d'idées, la fiscalisation accrue des recettes de la protection sociale, ces dernières années, n'est pas un argument justifiant la mise à l'écart des partenaires sociaux et le changement d'organisation de la sécurité sociale. Une fusion de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale en un seul document au prétexte de la prépondérance du financement par l'impôt conduirait à mettre en place un « monstre » impressionnant qui ne serait pas le gage d'une bonne gestion.

A ce sujet, il faut relever, comme cela a été fait à l'occasion des études de la Cour des comptes dans le cadre de son travail de certification, que les administrations centrales ne sont pas bien organisées, ni pour tenir des dossiers de pension, ni pour assurer une maintenance continue de modèles de projections de dépenses. Les mutations des fonctionnaires qui créent ces modèles sont trop souvent, dans les faits, l'occasion d'une perte des éléments à partir desquels les calculs de simulation ont été effectués, par défaut de transmission de ces informations aux nouveaux arrivants.

Une fusion partielle des deux lois financières est peut-être possible, des reclassements sont sans doute envisageables. Mais, pour ne prendre que l'exemple de la branche famille souvent citée comme pouvant basculer dans le périmètre du budget de l'Etat, une telle opération n'apparaît pas opportune. Cette branche comporte en effet un mélange fort de solidarité et d'assurance. L'impossibilité, vérifiée sous le gouvernement de Lionel Jospin, de placer sous condition de ressources les allocations familiales à proprement parler est un indice qu'il faut prendre au sérieux.

En revanche, on peut soutenir que la confection d'un « jaune » qui retracerait l'ensemble de l'effort national - social, budgétaire et fiscal - en faveur de la famille, serait un pas vers une meilleure information du Parlement et des partenaires sociaux.

Par ailleurs, même si l'on conserve deux lois distinctes, il est important que l'exécutif comme le législatif aient une vision consolidée des finances publiques. Des propositions peuvent être faites en ce sens : elles peuvent concerner le déroulement des procédures, la confection de divers documents et les mécanismes de mise en oeuvre financière.

S'agissant des procédures, Mme Yannick Moreau a estimé que, d'une façon générale, les arbitrages interministériels sont faits trop tard. Trop de réunions se déroulent sans rédaction de « bleus ». L'idée de créer auprès du Premier ministre un secrétariat général des finances publiques afin d'améliorer la fonction d'arbitrage qui revient à Matignon pourrait être explorée.

Il serait par ailleurs souhaitable que la norme de progression des dépenses de l'Etat soit élargie à la dette que celui-ci a contractée à l'égard de la sécurité sociale. On pourrait également concevoir des modalités de travail en commun entre les diverses commissions parlementaires saisies du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

S'agissant de la confection de divers documents, on peut imaginer par exemple un document transversal commun à la loi de finances et à la loi de financement de la sécurité sociale pour la famille, répondant aux objectifs décrits plus haut. Ce « jaune » contiendrait des informations sur les dépenses fiscales qui sont actuellement très mal prises en compte pour mesurer les efforts collectifs dans ce domaine comme dans bien d'autres.

En ce qui concerne enfin les mécanismes de mise en oeuvre financière, Mme Yannick Moreau a estimé qu'il serait intéressant d'explorer la voie d'une modification de la loi organique afin de donner un rôle essentiel aux lois de financement de la sécurité sociale pour l'adoption des exonérations de cotisations prévues par d'autres textes. L'idée serait en effet que les exonérations votées tout au long de l'année par le législateur ne deviennent effectives qu'après qu'elles auront été récapitulées et adoptées définitivement en loi de financement de la sécurité sociale. Ce regroupement permettrait de vérifier la compatibilité des exonérations entre elles et avec l'équilibre d'ensemble des finances sociales et d'arbitrer entre l'adoption de ces exonérations ou de privilégier d'autres formes de dépenses.

L'annexe 7 au projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui retrace les exonérations, apparaît de ce point de vue insuffisante, précisément parce qu'elle ne permet pas ce travail indispensable de rapprochement de toutes les données d'ordre financier et n'a qu'une portée réduite.

On peut citer en exemple à ce sujet les transferts de compétences nouvelles et des financements correspondant aux collectivités territoriales qui ne rentrent définitivement en vigueur qu'après le vote des dépenses correspondantes au sein de la plus prochaine loi de finances.

Toujours au chapitre des mécanismes de mise en oeuvre, on pourrait prévoir un système d'avances versées trimestriellement par l'Etat aux organismes de sécurité sociale en contrepartie des prestations que la sécurité sociale verse pour le compte de l'Etat. Cette technique permettrait d'éviter que ne se recréent des dettes du second au détriment de la première.

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