Permettez-moi de rappeler tout d'abord le contexte dans lequel s'est constituée la commission de réflexion dont nous examinons les travaux : lorsque Mme Valérie Létard, alors secrétaire d'Etat à la solidarité m'a proposé de mettre en place un groupe de travail, nous nous sommes d'abord interrogées sur l'opportunité de débattre d'un tel sujet, alors qu'il pouvait sembler que, en une vingtaine d'années, la place des femmes dans les médias avait sensiblement progressé.
Ayant une formation de philosophe, j'ai convenu avec Mme Valérie Létard que notre démarche ne serait pas purement comptable, mais qu'il s'agirait de travailler sur les représentations et, en particulier, sur le décalage persistant entre l'image de la femme, telle qu'elle est représentée dans les médias et sa véritable place dans la société.
Je tenais particulièrement à ce que la commission travaille sur l'image des femmes, et non sur celle de la femme dans les médias, pour ne pas réduire la femme à une problématique de genre et prendre en compte la diversité des identités dans lesquelles peuvent se retrouver les femmes.
Je tiens également à souligner que notre démarche ne s'est jamais inscrite dans une problématique de « guerre des sexes » et que, pour nous, travailler sur l'image des femmes n'est pas dissociable du questionnement sur le traitement que font les médias de l'image des hommes.
Mme Valérie Létard m'ayant laissé une grande liberté, j'ai réuni des professionnels d'horizons divers (publicité, radio, presse, audiovisuel, internet) et des experts de l'éducation nationale, de la santé, du droit, du milieu associatif et du spectacle, parmi lesquels M. Malek Boutih, secrétaire national du Parti socialiste chargé des questions de société, M. Frédéric Taddeï, journaliste, qui anime quotidiennement une émission sur la télévision publique, Mme Isabelle Falque-Perrotin, conseiller d'Etat, déléguée générale du Forum des droits sur l'internet et vice-présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), Mme Mercedes Erra, présidente de l'agence de publicité BETC Euro RSCG, M. Pascal Charvet, directeur de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP), et M. Bruno Gaccio, journaliste, co-créateur des « Guignols de l'info » sur Canal +, notamment. J'ai eu, par ailleurs, la chance que Brigitte Grésy accepte d'être le rapporteur de la commission.
Avec comme objectif de déconstruire les stéréotypes véhiculés par les médias, la commission s'est appuyée sur deux séries de travaux :
- d'une part, nous avons largement auditionné les professionnels des médias, en entendant tant les « patrons » des entreprises médiatiques que les producteurs et réalisateurs des contenus, jusqu'aux organismes de régulation.
- d'autre part, nous avons travaillé avec des sémiologues pour que nos analyses s'appuient sur des études méthodiques.
Le rapport issu de ces travaux, dont les conclusions ont été rendues publiques en septembre 2008, a été explosif. Il est ressorti des analyses chiffrées que, dans la représentation donnée par les médias, le savoir restait majoritairement l'apanage des hommes, alors que les femmes restaient cantonnées dans le rôle du témoin ou de la victime, intervenant de préférence sur les sujets de la famille ou de la société.
A la suite de la publication du rapport, le Premier ministre a accédé à la demande de la commission d'en pérenniser l'existence, dotant ainsi la France d'un instrument de veille, chargé de travailler, notamment, sur une démarche d'autorégulation pour déconstruire les stéréotypes de genre dans les médias.
Des groupes de travail rassemblant des professionnels de la presse, de la radio et de la télévision se sont constitués, notamment pour examiner la question de la monopolisation de la « parole d'expert » par les hommes.
Ce travail a débouché sur la rédaction d'un acte d'engagement tripartite, solennellement signé au ministère de la famille et de la solidarité, en présence de Mme Nadine Morano, secrétaire d'Etat, le 13 octobre 2010, par un large panel de représentants des médias concernés, par lequel ils se sont engagés, dans un premier temps, à favoriser l'intervention des femmes expertes dans leurs émissions ou leurs articles.
OEuvrant avec une certaine pédagogie, et toujours avec le souci de préserver l'indépendance éditoriale des entreprises, nous sommes arrivés à convaincre les professionnels qu'une évolution de l'image des femmes dans leurs médias respectifs contribuerait à moderniser le contenu.
Deux points ont particulièrement retenu leur attention.
D'une part nous avons souligné l'intérêt économique de cette évolution. Certains en étaient convenus, à l'instar de Frédéric Taddeï ; d'autres restaient à convaincre. Les analyses d'audience démontrant la désaffection du public pour certaines fictions qui véhiculent de forts stéréotypes ont conforté notre propos.
D'autre part, nous avons souligné l'impact des stéréotypes médiatiques sur les comportements qui peut avoir des effets négatifs pour les jeunes générations. Les médias montrent peu de femmes ingénieurs et cela risque d'induire chez certaines jeunes filles, par ailleurs bonnes en mathématiques, le sentiment que les métiers scientifiques ne leur sont pas destinés.
Pour nous, les médias doivent refléter, voire anticiper, les grandes évolutions de la société.
Aujourd'hui, la pérennisation de la commission va nous permettre d'assurer le suivi des engagements pris dans la charte. L'intérêt suscité par nos travaux, que révèlent notamment des communications spontanées de certains journalistes, me laisse penser que les professionnels restent mobilisés, ce dont je me réjouis.