Intervention de Jean Picq

Mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation — Réunion du 11 janvier 2011 : 1ère réunion
Audition de membres de la cour des comptes

Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour des comptes :

L'enseignement agricole - plus d'un milliard d'euros - relève d'une autre chambre de la Cour. Pour l'enseignement privé, la raison est un peu plus compliquée. La Cour n'est pas compétente pour contrôler les établissements d'enseignement privés. Certes, sans exercer un contrôle direct sur les budgets, elle pourrait parfaitement, dans le cadre de la Lolf (loi organique relative aux lois de finances), se pencher sur les indicateurs de performance et le respect des objectifs - qui sont identiques à ceux de l'enseignement public. Hélas, les indicateurs les plus utiles ne sont pas « renseignés », de manière spécifique. La direction générale de l'enseignement scolaire ne maîtrise pas cet aspect, qui relève de la direction financière, qui a la responsabilité de la négociation globale avec cet enseignement. Il y a là, en tout cas, une anomalie, car l'analyse des indicateurs nous conduirait plus loin... Il existe au ministère un corps d'inspecteurs et une direction de la prospective et de l'évaluation ... Mais les inspections sont trop rares et les études anciennes. Dans une logique, non de guerre scolaire, mais de diffusion des bonnes pratiques, il faudrait pouvoir s'engager dans cette voie de l'évaluation de la performance comparée. N'oublions pas que 40 % des élèves ont connu dans leur cursus les deux enseignements.

Quant à la contractualisation, faut-il privilégier le segment ministère-recteurs ou le segment recteurs-chefs d'établissement ? La logique contractuelle, qui est complexe à établir, n'a de sens que persévérante et chaque académie aurait tant de contrats à signer ! Mieux vaut localiser la démarche au niveau de ceux qui évaluent, ceux qui répartissent et ceux qui utilisent les moyens.

Faut-il une agence spécifique ? L'enseignement supérieur a son agence d'évaluation, parce que le nombre d'établissements d'enseignement supérieur est relativement limité, moins d'une centaine. Les établissements scolaires, eux, sont trop nombreux, l'approche ne serait pas pertinente... Mais l'inspection traditionnelle, individuelle, a vécu, chacun le sait - dans nombre de pays elle n'existe plus. Mieux vaudrait concevoir une évaluation de l'établissement. En Suisse, en Écosse, ce sont des équipes d'enseignants qui évaluent les performances de leurs pairs, comme dans la recherche. L'auto-évaluation comporte un élément vertueux : elle oblige les intéressés à se donner eux-mêmes des indicateurs, à se fixer des objectifs liés aux types d'élèves mais respectant aussi les objectifs nationaux. Le corps d'inspection effectue alors sa tournée pour évaluer les résultats : cela fonctionne un peu de la sorte dans une académie. L'évaluation est moins une institution qu'une pratique, les acteurs doivent être eux-mêmes convaincus de son utilité.

Vous entendez évaluer les politiques éducatives locales : les collectivités territoriales ne sont pas les seules concernées, les inspections d'académie le sont aussi, dans une logique de performance et de résultats !

L'autonomie ? Notre souhaitions que notre rapport soit utile ; nous avons pris garde à manier avec prudence ces mots qui peuvent provoquer des débats inutiles. L'autonomie, chacun y aspire mais elle suscite des débats sans fin et une inquiétude chez les syndicats et chez certains enseignants, qui assimilent autonomie et autorité absolue du chef d'établissement. En dépit d'oppositions syndicales, il y a convergence pour estimer que le travail en équipe doit primer et l'autonomie doit être accordée au chef d'établissement et à son équipe pédagogique. Peut-être devriez-vous rechercher où ce système est appliqué. Il existe des projets d'établissement dans certains collèges, d'autres refusent tout net d'en entendre parler. Les blocages sont-ils dus aux mots ? Aux hommes ? Au manque d'information ? Je ne prétends pas que tout est mieux à l'étranger mais autant observer ce qui fonctionne bien ailleurs - comme les obligations de service en Espagne, en Suisse, en Écosse. La religion des circulaires doit céder la place à une religion des bonnes pratiques. Les règlements rigidifient, les bonnes pratiques se diffusent.

Monsieur Dufaut, vous avez constaté sur le terrain la même chose que nous. La recommandation n° 13 concerne les zones les plus difficiles. L'inspecteur d'académie de Seine-Saint-Denis que nous avons auditionné, comme le chef d'un établissement à Marseille, estiment que même le dévouement le plus grand, dans certains quartiers, atteint ses limites et ne produit plus de miracle. Lorsque l'on touche à la carte scolaire, il faut donc songer aux conséquences. L'un nous a dit que l'on était allé trop vite, que les établissements n'étaient pas préparés ; l'autre a la profonde conviction que des ajustements doivent être apportés à la carte scolaire. Allocataires et distributeurs de moyens ont tout intérêt à nouer un dialogue !

Monsieur Bodin, le cursus a été le point de départ de notre travail ! Nous nous sommes intéressés au parcours des élèves. Nous avons voulu savoir ce qui se passe d'un bout à l'autre de la chaîne, de la maternelle au baccalauréat, et comment la notion de socle commun est mise en oeuvre. Cette idée est-elle compatible avec le fractionnement en cycles ? Nous sommes finalement d'une sévérité extrême à l'égard du système existant, qui sur ce point doit être entièrement repensé. Il n'y a pas de parcours : chaque année est pour l'élève un nouveau jour. Il est temps de réintroduire de l'unité là où existent trop de discontinuités et de ruptures.

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