a rappelé que toute politique étrangère repose sur des réalités et des rapports de force, et que les puissances se déterminent en regard de leurs intérêts. Ainsi, la population iranienne ne manquera pas de manifester son grand patriotisme en soutenant ses autorités politiques en cas de frappes américaines. Cependant, il faut relever que de telles frappes sont fortement réclamées par Israël. Il a ajouté que la France avait eu à subir, dans un passé récent, les terrorismes d'Etat syrien et iranien ; des négociations n'avaient pu utilement s'ouvrir avec ces pays que lorsque la France s'était dotée de moyens de rétorsion adéquats, avec notamment le « siège » de l'ambassade d'Iran à Paris. Il a estimé que les Iraniens disposaient de capacités d'analyse réalistes de la situation de leur pays, et que leur priorité était de ne pas perdre la face dans le cadre de négociations sur leurs capacités nucléaires. Il a jugé qu'à cet égard la situation actuelle était dangereuse et qu'une éventuelle médiation française ne pouvait qu'être opportune. Dans le cas où une intervention militaire américaine viserait l'Iran, il s'est interrogé sur la nature des buts de ces frappes, selon qu'elles viseraient à détruire les capacités nucléaires iraniennes ou à renverser le régime en place.
En réponse, M. Roger Auque a apporté les précisions suivantes :
- la ville de Bagdad est actuellement aux mains des Chiites, uniquement grâce à la protection des troupes américaines. Le retrait de ces troupes conduirait au retour des clivages entres quartiers chiites et sunnites. La constitution irakienne organise un Etat fédéral qui permettra aux Kurdes de constituer un Etat autonome, mais non indépendant ;
- sous l'égide de l'Arabie Saoudite, des négociations sont en cours entre les responsables libanais pour la constitution d'un gouvernement d'union nationale, en échange d'une modification des statuts du Tribunal international. Ces modifications visent à n'impliquer que les seuls officiers libanais déjà emprisonnés pour leur rôle présumé dans l'assassinat de Rafik Hariri et garantirait à la Syrie qu'aucun de ses ressortissants ne serait impliqué ;
- la Syrie exerce une forte pression sur Khaled Méchal, réfugié sur son sol, en faveur d'un apaisement inter-palestinien. Cet objectif sera facilité par l'argent que l'Arabie Saoudite est disposée à consentir au Fatah. Il faut cependant être conscient que tant le Hamas, d'obédience sunnite, que le Hezbollah, chiite, sont fortement unis par la haine d'Israël, dont l'Occident minimise la diffusion au sein du monde arabe ; cet élément pèse sur toutes les négociations en cours ;
- seule, la France est en mesure d'utiliser les semaines à venir pour entreprendre une médiation entre l'Iran et le reste du monde, qui ménagerait l'extrême susceptibilité de Téhéran ;
- l'Iran et la Syrie ont effectivement pratiqué dans les années 1980, tant à Paris qu'à Beyrouth, le terrorisme d'Etat, et disposent d'un réel pouvoir de nuisance qu'il serait vain de nier. Cet arrière-plan pèse sur toutes les négociations projetées avec ces deux pays. Il est indéniable que la société iranienne n'est pas un tout homogène, mais un dialogue ne peut être entrepris que si des interlocuteurs de ce pays font montre d'une réelle volonté d'ouverture ;
- un profond clivage divise les pays membres de l'Union européenne, entre le Royaume-Uni, traditionnellement fidèle à la vision américaine, et les pays du Sud de l'Europe, comme l'Espagne, l'Italie ou la Grèce, volontiers pro-arabes et anti-américains. Notre pays jouit d'une position intermédiaire, qui en fait l'agent propice à une initiative diplomatique envers l'Iran ;
- une éventuelle intervention américaine en Iran permettrait sans doute, du fait de la précision des missiles employés, d'altérer sensiblement la capacité nucléaire de Téhéran. Mais l'ensemble de la région en serait politiquement déstabilisé, avec des risques de représailles iraniennes envers les différents Etats du Golfe persique. Les forces américaines basées au Koweit se trouveraient alors dans l'obligation de procéder à une intervention terrestre, qui serait inévitablement sanglante. De façon générale, toute intrusion militaire dans cette région très instable et surarmée est vouée à produire des conséquences en chaîne non maîtrisées.