Intervention de Richard Samuel

Commission d'enquête sur l'immigration clandestine — Réunion du 28 février 2006 : 1ère réunion
Audition de M. Richard Samuel haut fonctionnaire de défense directeur des affaires politiques administratives et financières luc retail responsable de la mission chargée de la police nationale et jean-marie laperle chef d'escadron responsable de la mission chargée de la défense civile et de la gendarmerie nationale au ministère de l'outre-mer

Richard Samuel :

a souligné que l'immigration clandestine revêtait un caractère très particulier en outre-mer compte tenu de son ampleur -en France, près d'une mesure de reconduite à la frontière sur deux est effectuée depuis les collectivités ultramarines- insistant par ailleurs sur son effet déstabilisant sur des sociétés aux dimensions géographiques et humaines souvent réduites.

Il a indiqué que cette situation, qui touche plus particulièrement la Guyane, la Guadeloupe et Mayotte, justifiait des mesures législatives propres à l'immigration clandestine dans les collectivités françaises d'outre-mer, arrêtées lors du comité interministériel de contrôle de l'immigration du 27 juillet 2005, qui avait retenu trois axes d'action :

- l'adaptation, chaque fois que nécessaire, du droit applicable en métropole afin d'améliorer les conditions d'intervention des services et de réduire l'attractivité des territoires ultramarins ;

- le renforcement de la capacité d'action opérationnelle des moyens de l'Etat, soit par un accroissement de ceux-ci, soit par une optimisation de leur mise en oeuvre ;

- l'intensification de l'action diplomatique envers les pays d'origine ou de transit par la signature d'accords de réadmission et l'accroissement de la coopération en vue de leur développement.

Il a mis en exergue la forte augmentation, depuis quelques années, de la pression migratoire sur les collectivités d'outre-mer, en particulier sur la Guyane, la Guadeloupe et Mayotte, précisant qu'entre 2001 et 2005, le nombre de reconduites avait plus que doublé, passant de 7.640 à 15.588. Il a indiqué que cette progression atteignait 106 % à Mayotte, 100 % en Guyane et 85 % en Guadeloupe et, bien que les taux portent sur des chiffres moins élevés en valeur absolue, 178 % en Martinique et 167 % à la Réunion.

Il a jugé que Mayotte connaissait la situation la plus grave puisqu'on estimait généralement que près de 40 % de la population, c'est-à-dire environ 60.000 personnes, sur une population de 160.000 habitants, était constituée d'étrangers aux trois quarts en situation irrégulière. Il a souligné qu'avec une proportion identique, la métropole compterait plus de 18 millions d'immigrés clandestins.

a rappelé que certaines caractéristiques des collectivités ultramarines rendaient difficile la gestion des flux migratoires :

- sauf en Guyane, l'insularité alliée à l'exiguïté : le recensement de juillet 2002 faisant apparaître une densité de 430 habitants au kilomètre carré à Mayotte, 338 en Martinique, 237 en Guadeloupe, 281 à la Réunion, cette densité atteignant, pour cette dernière, 740 habitants au kilomètre carré en excluant les territoires montagneux ;

- les relations historiques existant entre ces collectivités et leur environnement, qui rendent notamment difficile la négociation d'un accord de réadmission ou l'obtention de facilités pour la reconduite des Comoriens, compte tenu des relations familiales existant entre Anjouan et Mayotte et de la revendication de souveraineté portée par les Comores ;

- la dualité de statuts civils applicables à Mayotte où quelques Mahorais sont soumis au statut civil de droit commun tandis que la majorité d'entre eux bénéficient d'un statut de droit personnel, au sens de l'article 75 de la Constitution, inspiré du droit coranique. Il a souligné que, depuis la modification de l'ordonnance n° 2000-218 du 8 mars 2000 par la loi du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer, la filiation naturelle pouvait être établie, dans le cadre du statut civil de droit local, par dation du nom ;

- une situation économique qui favorise l'attractivité des territoires ultramarins dans leur environnement régional. M. Richard Samuel a indiqué que le SMIC mahorais représentait, certes, 48 % du SMIC métropolitain, mais que le produit national brut (PIB) par habitant de cette collectivité représentait, en mai 2005, neuf fois celui des Comores, qui s'élève seulement à 431 euros. Il a précisé qu'en 2002, le PIB par habitant était de 14.037 euros en Guadeloupe et de 15.519 euros en Martinique, alors qu'il atteignait, dans le même temps, seulement 1.610 euros en Haïti et 5.640 euros à la Dominique. Il a rappelé que les Comores et Haïti étaient les pays les plus pauvres de la planète, leur indice de développement humain les classant respectivement aux 136e et 149e rang mondial, alors que, à titre de comparaison, la Guadeloupe, si elle était un Etat, serait classée au 33e rang mondial.

a indiqué que le ministère de l'outre-mer cherchait à améliorer les outils juridiques actuels afin de mieux lutter contre l'immigration clandestine outre-mer dans le respect des dispositions des articles 73 et 74 de la Constitution qui organisent, pour les départements d'outre-mer, un régime d'assimilation juridique permettant des adaptations législatives « tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités » et, pour les collectivités d'outre-mer, un principe de spécialité législative permettant une « organisation particulière » et tenant compte des « intérêts propres » de chacune d'elles au sein de la République.

Il a souligné que le Conseil constitutionnel faisait une appréciation très différente des notions de « contraintes particulières » et d'« intérêts propres », avec, pour la seconde, une plus grande liberté d'action. Il a précisé que le droit applicable dans les collectivités relevant de l'article 74 pouvait largement différer du droit en vigueur en métropole, sous réserve du respect des principes constitutionnels, le Conseil constitutionnel ayant admis, dans une décision du 20 juillet 1993, que le droit de la nationalité pouvait tenir compte des intérêts propres au sein de la République des collectivités régies par le principe de spécialité législative.

Il a indiqué que les mesures examinées par le ministère de l'outre-mer dans ce cadre tendaient à :

- généraliser à toute la Guadeloupe le régime applicable à Saint-Martin et en Guyane en matière de recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière ;

- permettre des visites sommaires de véhicules circulant sur la voie publique ;

- autoriser l'immobilisation des véhicules terrestres ayant servi à commettre des infractions aux règles d'entrée et de séjour des étrangers en Guadeloupe, en Guyane et à Mayotte ;

- imposer, pour la dation de nom en vigueur à Mayotte, que les deux parents soient de statut civil de droit local ;

- étendre à tout le territoire de la République les mesures d'interdiction du territoire, de reconduite à la frontière et d'expulsion prononcées outre-mer.

Il a relevé que certaines de ces mesures reprenaient des propositions de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'immigration clandestine à Mayotte. Exprimant sa crainte que l'adoption d'un régime plus restrictif en Guadeloupe ne détourne vers la Martinique une grande partie des flux migratoires en provenance des Etats voisins, il a estimé qu'il conviendrait de réfléchir à une extension à la Martinique de certaines des mesures envisagées pour la Guadeloupe.

a exposé que les moyens opérationnels de lutte contre l'immigration clandestine devaient être renforcés, à commencer par les moyens humains. Il a insisté sur l'effort déjà accompli puisque, de 2001 à 2005, les effectifs de la police aux frontières avaient augmenté de 15 % en Guadeloupe, de 53 % en Guyane et de 700 % à Mayotte, ce dernier chiffre tenant compte de l'intégration des policiers mahorais. Il a indiqué que la police aux frontières recevrait cette année de nouveaux renforts à Mayotte et en Guyane.

Il a également souligné le renforcement des effectifs et la mobilisation des forces de sécurité non spécialisées dans la lutte contre l'immigration clandestine mais qui, dans leur activité quotidienne, pouvaient exercer des actions efficaces en ce domaine. Il a indiqué que les services de sécurité publique et de gendarmerie avaient augmenté respectivement de 2 % et 7 % à la Guadeloupe, de 29 % et 7 % à la Martinique et de 9 % et 15 % en Guyane.

Il a évoqué l'effort accompli en ce qui concerne les moyens matériels, soulignant qu'à Mayotte, la police aux frontières disposait désormais de deux embarcations, dont une vedette de 12 mètres mise en service en mai 2005, deux autres vedettes devant être mises en chantier et livrées en 2006. Il a rappelé que la gendarmerie maritime avait mis en service une vedette neuve l'année dernière, une neuvième vedette devant être affectée à la Guadeloupe en 2006.

Il a également insisté sur l'enveloppe de 2,5 millions d'euros dégagée par le ministère de l'outre-mer pour l'installation de deux radars de surveillance maritime à Mayotte : le premier, entré en service en novembre 2005, ayant déjà fait la preuve de son efficacité en permettant l'interception de 13 embarcations ; le second devant entrer en service en avril 2006.

Il a, en outre, évoqué l'intensification de la lutte contre le travail clandestin, estimant que celle-ci aurait une incidence sur le nombre d'infractions à la législation sur les étrangers relevées par les services de police et de gendarmerie.

Il a rappelé que, dans le cadre de l'action de l'Etat en mer, le préfet de la Guadeloupe et le préfet de Mayotte bénéficiaient désormais d'une délégation du délégué du gouvernement pour l'action de l'Etat en mer -respectivement les préfets de la Martinique et de la Réunion- pour la lutte contre l'immigration clandestine par voie maritime. Il a estimé que ce dispositif permettait à la fois de mobiliser les services de l'Etat au plus près des réalités locales et d'assurer une cohérence plus forte entre les dispositifs terrestre et maritime de lutte contre l'immigration clandestine.

Il a jugé que les résultats obtenus dans la lutte contre l'immigration clandestine témoignaient de l'effort réalisé par l'Etat puisque, pour le mois de janvier, le nombre de reconduites à la frontière avait plus que triplé dans l'ensemble des collectivités d'outre-mer par rapport à 2005 : au 31 janvier 2006, 2.092 reconduites avaient été effectuées, l'augmentation atteignant 424 % à Mayotte.

a estimé que beaucoup restait à faire, en matière de coopération régionale, pour réduire l'attractivité des territoires français d'outre-mer par rapport aux Etats voisins, jugeant que, par des actions de développement économique ou de développement des infrastructures locales, ce type de coopération pouvait permettre de retenir dans leur pays des étrangers tentés par l'émigration vers la France.

Il a ainsi indiqué que, lors de la cinquième commission mixte franco-comorienne, en avril 2005, deux domaines d'action avaient été définis pour l'aide française, qui pourraient contribuer à freiner les mouvements migratoires vers Mayotte :

- d'une part, le développement rural, producteur de richesses et créateur d'emplois, afin de développer les filières et la commercialisation des produits agricoles, de stabiliser la propriété foncière et de favoriser le désenclavement rural ;

- d'autre part, la santé, en dissuadant les femmes comoriennes de se rendre en France pour y accoucher dans de meilleures conditions. Il a souligné que l'Agence française de développement (AFD) était chargée d'un programme d'appui aux services de santé pour la prise en charge de la grossesse et de l'accouchement et que, dans les prochains mois, serait mis en oeuvre un plan d'action associant le ministère des affaires étrangères, l'AFD et l'agence régionale de l'hospitalisation de la Réunion tandis que, parallèlement, un appui technique et financier serait apporté à des organisations non gouvernementales capables d'améliorer rapidement la santé maternelle et infantile à Anjouan. Il a ainsi évoqué la création possible d'un « peace corps » à la française.

Il a estimé que le développement des actions de coopération impliquait de mieux mobiliser les outils financiers disponibles, en particulier les fonds de coopération régionale, dotés seulement de 3,6 millions d'euros, l'AFD et les crédits communautaires INTERREG. Il a jugé que rien n'interdisait que les fonds de coopération régionale soient mobilisés dans des domaines qui pouvaient avoir une influence sur l'immigration clandestine, comme l'éducation, la santé ou le développement rural. Il a insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas seulement de construire des dispensaires ou des écoles, mais qu'il fallait également fournir les personnels qui permettront d'assurer les soins ou l'enseignement.

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