Intervention de Philippe Jeannin

Commission d'enquête sur l'immigration clandestine — Réunion du 28 février 2006 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe Jeannin président du tribunal de grande instance de bobigny

Philippe Jeannin, président du tribunal de grande instance de Bobigny :

A titre liminaire, M. Philippe Jeannin a déclaré que le tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny avait à connaître de l'immigration clandestine en raison :

- du fait que l'aéroport de Roissy était inclus dans son ressort ;

- de la commission de nombreux faits délictueux liés directement ou indirectement à la présence de nombreux clandestins en Seine-Saint-Denis ;

- du problème des mineurs étrangers isolés.

Il a rappelé que la Seine-Saint-Denis comptait 1,4 million d'habitants, dont une proportion d'étrangers s'élevant à 39 %, mais il s'est déclaré incapable d'évaluer le nombre des clandestins, l'activité judiciaire n'offrant qu'un éclairage partiel. Il a ajouté que la présence de l'aéroport de Roissy suscitait une charge de travail importante au titre de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) relatif à la prolongation de la rétention administrative par le juge des libertés et de la détention, mais surtout au titre de l'article L. 221-1 du même code relatif à la prolongation du maintien en zone d'attente.

a ensuite détaillé l'activité judiciaire civile du TGI de Bobigny, remarquant que depuis 2001 la situation s'était nettement améliorée.

Concernant les demandes de prolongation du maintien en zone d'attente, après un pic en 2001 avec 12 715 demandes examinées qui avaient profondément désorganisé l'ensemble du travail de la juridiction, il a salué la forte décrue du nombre de demandes : 10.143 en 2002, 2.656 en 2003, 2.122 en 2004 et environ 2.400 en 2005.

Il a expliqué cette évolution par les méthodes nouvelles de la police aux frontières, notamment les contrôles à la descente des avions, par le développement des visas de transit aéroportuaire et par la conclusion d'accords bilatéraux de réadmission.

Concernant les rétentions administratives, il a remarqué que la Seine-Saint-Denis, avec un nombre de demandes de prolongation de la rétention à peu près constant, de l'ordre de 1.500 à 2.000 par an, ne se distinguait pas particulièrement des autres grands départements en zone urbaine.

Il a indiqué que la possibilité prévue par la loi du 26 novembre 2003 de statuer dans une salle d'audience située à proximité du centre de rétention administrative ou de la zone d'attente n'avait pas encore été utilisée, les travaux d'aménagement des salles d'audience sur la zone d'attente de Roissy n'étant toujours pas achevés.

a également indiqué que depuis la stabilisation du nombre des dossiers, cinq juges des libertés et de la détention étaient chargés de l'examen des demandes de prolongation de la rétention ou du maintien en zone d'attente, ce qui facilitait l'élaboration d'une jurisprudence cohérente.

Il a rappelé que le contrôle du juge se limitait à celui des conditions d'interpellation, des motivations de la demande de prolongation et du respect des droits.

Evoquant ensuite la question des mineurs étrangers isolés, il a souligné la complexité de chaque affaire. Il s'est notamment demandé si la législation réservait un traitement suffisamment différencié aux mineurs par rapport à celui réservé aux adultes, en dépit des dispositions relatives à l'administrateur ad hoc ou de la circulaire du 2 mai 2005 prévoyant une formation pendant la période d'accueil.

En outre, il a estimé que l'administrateur ad hoc ne constituait un progrès qu'à condition qu'il dispose du temps nécessaire pour assurer une véritable prise en charge de chaque mineur.

Il a également attiré l'attention sur la nécessité de clarifier le partage des compétences entre les juridictions, notamment entre le juge des libertés et de la détention et le juge aux affaires familiales.

De la même façon, il s'est inquiété de l'hétérogénéité des pratiques locales en matière de mode de prise en charge des mineurs isolés se trouvant sur le territoire national, remarquant toutefois que la circulaire du 2 mai 2005 ébauchait une harmonisation du traitement des mineurs de plus de seize ans.

Enfin, il s'est demandé s'il ne convenait pas, suivant en cela une proposition de M. Alvaro Gil-Robles, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, de modifier la législation afin que les mineurs ne puissent refuser le bénéfice du jour franc avant un éventuel renvoi.

Concernant l'activité pénale du TGI de Bobigny, il a indiqué que les infractions à la législation sur les étrangers au sens large représentaient entre 1.400 et 1.500 affaires par an sur un total de 12.000 à 13.000 affaires correctionnelles.

Il a précisé que les infractions de séjour irrégulier simple étaient exclues de ce décompte, car elles étaient classées sans suite, l'étranger étant directement placé en rétention après la prise d'un arrêté de reconduite à la frontière.

Toutefois, il a déclaré qu'il était très difficile de chiffrer l'incidence de l'immigration clandestine sur le niveau de la délinquance générale. Ainsi, il a indiqué que si de nombreuses affaires concernaient le travail clandestin, elles ne révélaient pas systématiquement l'existence de filières organisées ou d'un phénomène de large ampleur. Il a estimé à une vingtaine le nombre d'ateliers clandestins démantelés par an, chaque atelier comptant entre 4 et 50 clandestins.

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