a indiqué que l'organisation de cette table ronde a pour but de préparer l'examen, par le Sénat, de la proposition de loi tendant à réprimer l'incitation à la maigreur extrême et à l'anorexie, texte dont Mme Patricia Schillinger a été nommée rapporteur.
Il a demandé aux intervenants de bien vouloir donner leur définition de l'anorexie afin de clarifier les termes du débat.
Le professeur Philippe Jeammet, psychanalyste et professeur de psychiatrie à l'université René Descartes - Paris V, a indiqué que l'anorexie mentale est une infection connue depuis longtemps, décrite scientifiquement en 1873 par Charles Lasègue en France et presque simultanément, en Angleterre, par William Gull. On trouve néanmoins déjà des descriptions de comportements anorexiques dès l'Antiquité, dans l'Orient arabe et chez Morton, un médecin anglais du XVIIe siècle. L'anorexie existe donc indépendamment des phénomènes de mode. Elle touche essentiellement les femmes, et spécialement les adolescentes, moins d'un patient sur dix étant un garçon. Les jeunes femmes anorexiques ont souvent pour caractéristiques une intelligence vive, la recherche de perfection et une grande volonté ; elles se considèrent toujours trop grosses et leur recherche de maigreur, profondément irréelle par son excès même, répond à un désir de mieux-être, mais pas de mort, même si l'amaigrissement peut être spectaculaire. Les anorexiques, au contraire de ce que l'on pourrait croire, sont obsédés par la nourriture. Ce trouble du comportement alimentaire est relativement fréquent, même si l'on manque de point de comparaison dans le temps. Les cas traités à l'hôpital sont les plus sévères et masquent la diversité des formes de cette affection, qui doit toucher au total 1 % des quatre millions d'adolescents. La boulimie, que l'on peut décrire comme une crise paroxystique de goinfrerie, touche pour sa part 5 % des adolescents. Deux tiers des anorexiques deviennent d'ailleurs boulimiques. La mortalité associée à l'anorexie est de 7 % à 10 %, ce qui est considérable pour une affection non lésionnelle.
On peut diagnostiquer l'anorexie au travers d'un certain nombre de symptômes dont l'obnubilation par le poids, l'absence d'inquiétude face à un amaigrissement rapide et l'aménorrhée. Contrairement à ce que pourrait laisser penser l'étymologie, l'anorexique ne perd pas l'appétit, mais lutte activement contre lui. Paradoxalement, les anorexiques cherchent souvent à nourrir leur entourage. Cette thématique obsessionnelle de la nourriture montre qu'il ne s'agit pas seulement d'un problème d'amaigrissement.
Afin de perdre du poids, les anorexiques deviennent hyperactifs et se soumettent à une tension extrêmement forte. Les mesures de contrôle de leur poids vont jusqu'au vomissement provoqué et à l'ingestion massive de laxatifs. Ce sont des comportements obsessionnels.
Les causes de l'anorexie sont multiples. On peut même s'interroger sur le point de savoir s'il s'agit d'une maladie, dans la mesure où c'est un comportement adaptatif adopté pour répondre au stress. La difficulté du traitement réside notamment en ce que l'anorexique affirme que son comportement le soulage et qu'il fait l'objet d'un choix délibéré et éclairé. L'anorexique joue sur la charge émotionnelle et affective auprès de son entourage pour faire croire à sa liberté de choix. Comme tous les comportements stéréotypés, il existe sans doute une base génétique ou plutôt un terrain génétique, car on n'identifie aucun gène déterminant une maladie psychiatrique. Les comportements anorexiques s'adaptent pour résister au traitement et il est important de ne pas les légitimer si l'on veut aider les malades.
Le professeur Valérie Compan, professeur de l'université de Nîmes, à l'Institut de génomique fonctionnelle de Montpellier, a souligné que des facteurs environnementaux et biologiques sont à l'origine de l'anorexie. On ignore la loi qui détermine leur combinaison et il est essentiel de soutenir la recherche en ce domaine. Celle-ci porte sur les changements moléculaires et neuronaux qui font qu'un animal se prive de nourriture alors qu'il a faim. On sait d'ores et déjà que les mécanismes neuronaux en cause sont les mêmes que ceux utilisés après l'usage des drogues d'abus comme la cocaïne et les amphétamines.
Un modèle animal créé par manipulation génétique à New-York et qui a la particularité de s'arrêter de manger quand il est soumis à un stress environnemental, à l'inverse du comportement animal normal, pourrait permettre d'en savoir plus en ce domaine et d'étendre les conclusions à l'homme. Il est déjà certain que, malgré une prédisposition biologique à l'anorexie, le cerveau, organe doté d'une plasticité extrême, s'adapte pour permettre d'adopter un autre comportement. Mais l'adaptation ne peut se faire que jusqu'à un certain point face au stress et quand l'adaptation n'est plus possible, l'anorexie se déclare.