Intervention de Jacques Valade

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales — Réunion du 16 juillet 2008 : 1ère réunion
Enseignement supérieur — Audition de M. Jean-François Dhainaut président de l'agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur aeres

Photo de Jacques ValadeJacques Valade, président :

Après avoir inscrit cette mission dans la continuité de celle qui s'était déroulée en Chine en 2004, sur le thème des économies émergentes du XXIe siècle, M. Jacques Valade, président, a précisé que ce pays, fort de son 1,1 milliard d'individus, abritait une population deux fois supérieure à celle de l'Union européenne, pour une superficie équivalente.

Il a précisé que la délégation avait souhaité concentrer ses investigations sur deux champs d'étude : le système d'enseignement supérieur et de recherche d'une part, et le secteur cinématographique, d'autre part. Il a jugé qu'ils donnaient deux éclairages intéressants et complémentaires de la mutation de l'Inde moderne : à la fois persuadée que son avenir et la réussite de son « modèle » dépendront de l'irrigation des connaissances au sein de sa population, et fidèle à la tradition d'un cinéma riche, foisonnant et profondément ancré autour des références culturelles du pays. Dans l'un et l'autre de ces secteurs, il a indiqué que la délégation avait perçu le profond souhait d'une plus grande ouverture sur l'extérieur, beaucoup par nécessité dans le premier cas, par curiosité et évolution naturelle, quoiqu'encore limitée, dans le second.

Puis il a relevé que le système d'enseignement supérieur et de recherche indien apparaissait de plus en plus, quoiqu'inégalement, performant. Avec un taux d'alphabétisation qui n'est encore que de 55 %, la scolarité n'étant obligatoire que depuis peu de temps, l'Inde a fait de l'enseignement une forte priorité. En 2007, quelque 415 universités et autres établissements d'éducation supérieure, pour la plupart reconnus par l'Etat, comptaient 200.000 enseignants et accueillaient environ 11,6 millions d'étudiants, leur part au sein de la population demeurant très faible.

Ce pays en forte croissance économique a cependant besoin d'un plus grand nombre de jeunes diplômés et s'est fixé le double défi suivant :

- accueillir, d'ici à trois ans, 54 % d'étudiants supplémentaires, soit 500.000, ce qui permettrait de faire passer le taux d'étudiants d'une tranche d'âge de moins de 10 % aujourd'hui à 23 % ;

- et, parallèlement, démocratiser le système grâce à une « politique d'inclusion sociale », le Gouvernement indien ayant proposé récemment un projet de loi instituant la discrimination positive. La compatibilité de cette politique avec le caractère très sélectif de l'entrée à l'université devrait être assurée par la mise en oeuvre de quotas de places réservées à des jeunes issus de castes et tribus défavorisées.

a précisé que répondre à cette ambition supposait de multiplier par 3 le nombre d'établissements et de passer d'environ 400 à 1.200 universités !

Dans ces conditions, il a évoqué la forte croissance du financement du système : l'Etat indien consacre 19 % de son budget à l'enseignement scolaire et universitaire, soit 16 milliards d'euros, ce qui représente 6 % du produit intérieur brut. Le pays consacre pour l'éducation de 1.000 jeunes indiens l'équivalent de la somme allouée par notre pays pour l'éducation de 100 jeunes français. Quant aux Etats, ils prennent en charge le financement des études techniques, mais leurs capacités budgétaires sont très inégales. Les frais de scolarité sont très faibles. Les contrats de recherche et développement avec le secteur privé et la coopération internationale sont aussi des sources de financement, et certains interlocuteurs ont évoqué la nécessité d'accueillir des universités étrangères pour créer des formations.

a exposé, ensuite l'organisation du système d'enseignement supérieur indien, centralisé et très hiérarchisé, et auquel il est très difficile d'accéder.

Il a précisé que, outre les nombreux « collèges » qui assurent des cursus de licence, les 415 établissements se répartissent en plusieurs catégories :

- 24 universités « centrales » sous tutelle de l'Etat central ;

- 230 universités régionales sous tutelle des Etats ;

- des écoles d'ingénieurs et instituts scientifiques de haut niveau, avec notamment 7 « Indian Institutes of Technology » (IIT), équivalents à l'école Polytechnique, et 20 « National Institutes of Technology » (NIT) ;

- 6 « Indian Institutes of Management » (IIM), auxquels viendront prochainement s'ajouter trois nouveaux IIT et de deux nouveaux IIM ;

- 131 universités « assimilées », qui sont des institutions d'enseignement spécialisé, reconnues par le Gouvernement indien, mais qui disposent d'une grande autonomie académique et financière ;

- des « open universities », l'Inde s'étant très tôt intéressée à l'enseignement à distance du fait de sa taille et de l'importance de sa population rurale ;

- enfin, 18 autres instituts reconnus « d'importance nationale » et 12 universités privées.

Outre ces établissements reconnus par les autorités indiennes, on assiste depuis une dizaine d'années à une floraison d'institutions privées.

a indiqué que le système des diplômes universitaires indiens correspondait au système LMD (licence-master-doctorat), la durée d'obtention du doctorat étant néanmoins plus longue qu'en France (en moyenne 5 ans, contre 3), notamment parce que ce sont les doctorants qui effectuent l'essentiel de la recherche, compte tenu du manque de techniciens.

Puis il a exposé certaines spécificités du système :

- l'entrée dans l'enseignement supérieur est très sélective ; les étudiants qui poursuivent des études supérieures sont donc peu nombreux et de très bon niveau ; si l'entrée dans les universités se fait sans concours d'entrée, il faut cependant avoir obtenu une note minimale au baccalauréat pour y accéder (de l'ordre de 17 ou 18 sur 20) ; l'accès aux instituts de prestige, comme les IIT ou IIM, requiert la réussite à un concours extrêmement sélectif (avec des taux de réussite de l'ordre de 10 %) ;

- cette hiérarchisation des établissements d'enseignement supérieur, où se déroule une part importante de la recherche indienne, explique le niveau inégal de cette dernière : de l'excellence mondiale à un niveau plus modeste de performance.

Après avoir évoqué les différentes visites et entretiens effectués à Delhi et Bangalore, M. Jacques Valade, président, a souligné que les universités et autres établissements d'enseignement supérieur et de recherche fixaient librement leur programme de recherche, mais que les subventions récurrentes du Gouvernement ne finançaient pas automatiquement les projets spécifiques, l'Etat encourageant ainsi certains domaines de recherche, tels les nanotechnologies.

Abordant ensuite la question du poids mondial de la recherche indienne, il a indiqué que pour un certain nombre d'observateurs, l'Inde allait devenir la capitale mondiale de l'externalisation des activités de R&D. Il a ajouté que pour d'autres interlocuteurs, il n'était pas facile, cependant, de déterminer si le nombre impressionnant de brevets correspondait réellement à un niveau d'innovation élevé et il était frappant de constater que le talent des diplômés indiens s'exprimait plus librement à l'étranger, loin de leur culture traditionnelle (ils assurent ainsi le tiers de la recherche américaine).

a observé qu'en tout état de cause, l'Inde comptait des chercheurs de très haut niveau et souhaitait promouvoir l'innovation et le capital-risque.

Il a fait valoir que ce pays disposait d'un vivier considérable de jeunes chercheurs de haut niveau dans les domaines des mathématiques, de l'informatique, du commerce et de la gestion, mais que la France connaissait de grandes difficultés à drainer, même modestement, ces élites.

a déploré que la France ne constitue pas une destination attractive pour les étudiants indiens, pour les principales raisons suivantes :

 - le déficit de l'image universitaire, scientifique et technologique en Inde, et la méconnaissance du système d'enseignement supérieur ;

- la barrière linguistique et l'absence d'une offre étoffée de formations supérieures universitaires entièrement ou au moins partiellement en anglais ;

- la médiocrité des conditions d'accueil en France ;

- les difficultés d'y travailler pour les étudiants étrangers ;

- jusqu'à cette année, l'absence de possibilité pour les jeunes diplômés de rester en France pour une première expérience professionnelle ;

- l'insuffisance du niveau de l'offre de bourses d'études ;

- enfin, la réticence des établissements français à s'engager dans des démarches de coopération, compte tenu de la suprématie anglo-saxonne.

Il a indiqué que la France se situait au 7e rang des pays choisis par les étudiants indiens poursuivant des études supérieures à l'étranger, avec l'accueil d'environ 1.000 étudiants indiens, à parts égales dans nos universités et grandes écoles, contre 70.000 aux Etats-Unis, 22.000 au Royaume-Uni et 4.000 en Allemagne.

a estimé que la coopération universitaire et scientifique avec l'Inde, qui privilégie l'excellence et les filières des sciences et de la gestion, devait clairement faire l'objet d'une priorité ; en effet, la période actuelle offre une fenêtre d'opportunités à saisir, compte tenu du besoin de l'Inde de développer sa coopération avec des pays autres qu'anglo-saxons, à la fois pour combler son retard et en raison de son attachement à la diversité culturelle.

Il a insisté sur l'importance d'y consacrer les moyens nécessaires pour être une véritable référence, notamment dans des secteurs technologiques d'excellence, tels que le spatial, le nucléaire, la biotechnologie et les nanotechnologies.

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