Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 octobre 2009 : 1ère réunion
Prélèvements obligatoires — Communication

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

a jugé le montant de la taxe carbone prévu pour 2010 relativement modeste. De fait, la taxe carbone occasionnera un renchérissement de 4,52 centimes d'euros par litre de gazole et de 4,11 centimes d'euros par litre d'essence, alors que la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) applicable à ces carburants s'élève respectivement à 42,84 et à 60,69 centimes d'euros par litre. Néanmoins, la taxe carbone peut constituer un impôt d'avenir : en tant qu'accise, elle apparaît particulièrement adaptée à la mise en oeuvre d'une stratégie globale de « basculement » de la pression fiscale du travail ou de la production vers la consommation. L'opportunité d'une telle démarche en France doit être appréciée à l'aune, d'une part, de ses effets sur la croissance et la compétitivité, qui semblent légèrement positifs dans les pays étrangers précurseurs et, d'autre part, de sa capacité à procurer des ressources stables, sinon croissantes, à l'Etat. Cette question peut apparaître particulièrement épineuse s'agissant des taxes comportementales, à caractère « biodégradable ». L'augmentation progressive du tarif pose la question de la disparition progressive des mesures dérogatoires.

La création de la taxe carbone doit donner lieu à un réexamen des nombreuses niches fiscales environnementales qui, selon qu'elles favorisent ou qu'elles entravent la protection de l'environnement, envoient aujourd'hui des « signaux » contradictoires aux agents économiques tout en pesant de plus en plus lourdement sur le budget de l'Etat. On ne dispose d'aucune évaluation globale de la dépense fiscale en matière environnementale. Cependant, il est possible de recenser le coût des mesures dérogatoires chiffrées dans les annexes « Voies et moyens » des projets de loi de finances pour 2007, 2008 et 2009. Il en ressort que le coût de l'ensemble des « niches grises », entendues comme les mécanismes de défiscalisation au titre des accises énergétiques, avoisinait 5,3 milliards d'euros en 2009, soit davantage que le produit attendu de la taxe carbone. La même année, la dépense fiscale associée aux « niches vertes » était estimée à 1,6 milliard d'euros, après voir culminé à 2,1 milliards d'euros en 2008 en raison de la montée en puissance du crédit d'impôt « développement durable ». Au total, il est donc possible de considérer que l'ensemble des dépenses fiscales en faveur ou en défaveur de l'environnement grève les recettes de l'Etat d'un montant annuel proche de 7 milliards d'euros, dans le but d'envoyer des « signaux-prix » contradictoires aux différents agents économiques. A cette aune, la présentation de la taxe carbone comme véritable « tournant » de notre politique fiscale mérite d'être relativisée, une réelle inflexion de notre stratégie en matière de fiscalité écologique restant conditionnée à une évaluation et, le cas échéant, à un « recalibrage » progressif de l'ensemble des dispositifs en vigueur.

Depuis 2002, les gouvernements successifs ont mené des politiques de baisse des prélèvements sur les entreprises. M. Philippe Marini, rapporteur général, a renvoyé sur ce point aux travaux de la mission commune d'information du Sénat sur les centres de décisions économiques, et au rapport d'information (347, 2006-2007) de son rapporteur, M. Christian Gaudin.

Pour faire face à la crise, le soutien aux entreprises a constitué l'axe central de la politique économique du Gouvernement : par le soutien aux banques et aux assureurs-crédits, pour éviter la paralysie des circuits économiques, mais aussi par des mesures fiscales en faveur de la trésorerie des entreprises. Ces mesures de relance en faveur des entreprises, telles que le remboursement anticipé des créances au titre du crédit d'impôt recherche, mesure dont le projet de loi de finances pour 2010 propose d'ailleurs la reconduction, coûteront 14,8 milliards d'euros en 2009. Selon l'étude récemment réalisée par le Conseil des prélèvements obligatoires à la demande de la commission, en application de l'article L. 351-3 du code des juridictions financières, sur les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée, les entreprises et les employeurs ont perçu, entre 2001 et 2008, un gain global de 12,7 milliards d'euros tandis que les ménages et les employés bénéficiaient de 21,3 milliards d'euros d'allègements fiscaux et sociaux.

En matière de fiscalité des entreprises, la suppression de la taxe professionnelle est assurément une réforme de structure importante. Elle est destinée à procurer un allègement fiscal aux entreprises de 4,3 milliards d'euros par an, net d'impôt sur les sociétés, en régime de croisière. En 2010, les entreprises bénéficieront des effets de la réforme et percevront dans le même temps des dégrèvements de taxe professionnelle dus au titre de 2009. Leur gain en 2010 s'établira à 11,6 milliards d'euros.

La suppression de la taxe professionnelle s'accompagne de la création de deux impôts nouveaux, l'un assis sur l'ancienne part foncière de la taxe professionnelle, l'autre consacrant l'assiette « valeur ajoutée », déjà utilisée pour calculer la cotisation minimale de taxe professionnelle et son plafonnement. Il est trop tôt pour apprécier de manière fine les effets de la réforme sur les entreprises, par secteur d'activité ou par niveau de chiffre d'affaires. En outre, il faut désormais évaluer ces effets au regard du nouveau texte de référence, qui est celui proposé par la commission des finances de l'Assemblée nationale, lequel, parmi les nombreux aménagements qu'il apporte, a proposé de « territorialiser » l'assiette « valeur ajoutée » et de transférer deux milliards d'euros de produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des départements vers les communes et les établissements publics de coopération intercommunale.

a estimé qu'une bonne réforme de la fiscalité locale doit obéir à trois principes : maintenir une cohérence entre les compétences des collectivités territoriales et les sources de financement de ces collectivités ; rejeter le principe de spécialisation de la fiscalité locale, qui est une « fausse bonne idée » ; garantir, autant que possible, le respect de l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales. Par ailleurs, il convient de concilier deux exigences en partie contradictoires : inscrire l'ensemble de la réforme, y compris son volet relatif aux collectivités territoriales, dans la loi de finances initiale pour 2010, afin de donner de la visibilité à ces dernières ; réaliser, au cours de l'année 2010 les inévitables ajustements, qui seront nécessaires pour l'entrée en vigueur complète du dispositif en 2011.

a présenté un chiffrage de la réforme préconisée par la commission des finances, parfois qualifiée de « triptyque » ou de « trilogie », consistant à supprimer l'impôt de solidarité sur la fortune et le bouclier fiscal, et à créer une tranche supérieure de l'impôt sur le revenu. Les travaux exploratoires de la commission suggèrent que si l'abrogation de l'impôt de solidarité sur la fortune et du bouclier fiscal susciterait une perte de recettes de l'ordre de 3,4 milliards d'euros, la mise en place d'une tranche supplémentaire d'impôt sur le revenu à un taux de 50 % à partir de 83 406 euros ne rapporterait que 2 milliards d'euros, ce qui obligerait à inclure cette nouvelle tranche dans un « bouquet substitutif » de recettes fiscales, dont les autres éléments pourraient, par exemple, consister en la suppression de la déductibilité de la CSG sur les revenus du capital, en l'augmentation d'un point de l'imposition sur les plus-values mobilières et en l'alignement à 18 % de l'imposition des plus-values immobilières.

La pression sur les dépenses est forte. Certes, il importe de poursuivre la recherche systématique d'économies. Cependant, les dépenses de l'Etat sont rigides, et les marges de manoeuvre portent essentiellement sur une enveloppe de l'ordre de seulement 110 milliards d'euros, constituée des dépenses d'intervention et de fonctionnement. Par ailleurs, les charges inéluctables qu'il faudra supporter dans l'avenir sont lourdes et tiennent pour une large part au vieillissement de la population. Les dépenses liées au vieillissement pourraient augmenter de 3,2 à 7 points de PIB en 2050 par rapport à la situation de 2004. Aux charges liées au vieillissement, il faut ajouter l'augmentation probablement durable du chômage, et l'« épée de Damoclès » de la charge de la dette.

A moins de supposer un rattrapage de la perte de PIB due à la crise, sans mesures nouvelles alourdissant les prélèvements obligatoires, ramener à moyen terme le déficit public à son niveau d'avant la crise - sans parler du fait d'atteindre un niveau proche de l'équilibre - semble un exercice très difficile, pour ne pas dire impossible.

La dette consolidée issue des régimes obligatoires de base de sécurité sociale a atteint 109,1 milliards d'euros à la fin de l'année 2008, soit une progression de 14 % depuis la fin 2006. Les « déficits cumulés » du régime général en 2009 et 2010 s'élèveraient à 56,3 milliards d'euros (hors mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010). Le choix du Gouvernement de ne pas transférer ces déficits à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) a pour conséquence de les faire supporter par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Le plafond d'avances de l'ACOSS devrait être ainsi fixé à 65 milliards d'euros pour 2010 : une situation peu soutenable à moyen terme. Compte tenu des « tarifs » de reprise de ces déficits par la CADES, tout report de décision risque de se révéler de plus en plus coûteux.

Il ne serait pas responsable d'alourdir les prélèvements obligatoires tant que la crise n'est pas terminée. Ce serait en effet faire de la « relance à l'envers ». Pourtant, le supplément de déficit à combler du fait de la crise semble considérable. Le déficit public était avant la crise de l'ordre de 3 points de PIB chaque année, ce qui correspondait à son niveau structurel. Si le PIB baissait de 7 points et si ensuite la croissance reprenait son rythme tendanciel, le déficit structurel pourrait s'en trouver accru d'environ 5 points, et le déficit de 2009 et 2010, de l'ordre de 8 points de PIB, devenir structurel. Par ailleurs, dans le cas de figure où la croissance serait durablement égale à 1 % par an, le déficit public augmenterait, les dépenses progressant légèrement plus rapidement que le PIB, alors que les recettes croîtraient moins rapidement. Le déficit pourrait alors approcher les 10 points de PIB dans une dizaine d'années. Certes, il n'est pas possible de déterminer dès à présent l'ampleur des réductions de dépenses ou des augmentations de recettes nécessaires pour compenser les effets de la crise sur les finances publiques. Il est cependant probable que le montant de ces réductions ou augmentations soit élevé, représentant l'équivalent de plusieurs points de PIB. Un point de PIB valant environ 20 milliards d'euros, plusieurs dizaines de milliards d'euros devront être dégagés en supplément des 60 milliards d'euros nécessaires pour résorber les 3 points de PIB de déficit structurel initial.

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