Merci de votre invitation, Madame la Présidente. Je suis accompagnée de mon collaborateur, M. de Beer, sous-directeur de la fiscalité des entreprises après avoir été sous-directeur de la fiscalité des ménages. Il représentait la direction de la législation fiscale au comité des finances locales jusqu'à récemment. Sur le fond, j'aurais souhaité disposer de davantage de temps pour actualiser mes connaissances, être parfaitement au point sur des sujets dont j'ai été conduite à m'éloigner un peu, notamment la péréquation. Nous vous transmettrons des réponses très précises aux questions que vous nous avez adressées.
La question du chiffrage du coût de la réforme occupe une place considérable dans votre questionnaire et dans le débat sur la suppression de la taxe professionnelle, tendant à en faire, sinon un focus exclusif, du moins un sujet de tensions comme si la réforme ne s'appréciait qu'à l'aune de cette question. Je suis volontairement provocatrice : cette question n'a à mon sens aucun intérêt, bien que la question budgétaire soit un sujet de préoccupation dans le contexte actuel. Les écarts par rapport aux estimations sont limités. C'est la raison pour laquelle l'analyse par le seul prisme budgétaire ne traduit en aucune façon les vrais enjeux des deux réformes, celle de la taxe professionnelle et celle des finances locales. La taxe professionnelle représente, en rythme de croisière, quatre à cinq milliards d'euros pour l'État, si bien qu'il y a un surinvestissement sur ces questions au regard des sommes réellement en jeu. La suppression ou la réforme de nombreux impôts ou taxes, mises en oeuvre au cours des quinze dernières années comme, par exemple, la vignette automobile, ont également représenté quatre à cinq milliards d'euros. C'est pourquoi le thermomètre de l'amplitude budgétaire ne me paraît pas pertinent pour apprécier une réforme aussi complexe. Il faut bien évidemment vérifier les chiffres et en comprendre le sens, sans pour autant négliger d'autres aspects de la réforme. Nous manquons de recul pour apprécier certains aspects qui, à mon sens, le mériteraient. C'est pourquoi je vais concentrer mon analyse sur deux aspects, le volet « entreprises » et, avec modestie et prudence, le volet « collectivités territoriales ».
Sur le volet « entreprises », nous ne relevons pas de différence significative entre les données estimées et les données constatées, à l'exception notable des petites entreprises. Cette différence n'apparaît cependant pas centrale au regard des enjeux de la réforme. Cette difficulté a d'ailleurs fait l'objet d'une correction l'année dernière. La situation des très petites entreprises s'est trouvée perturbée, sans justification, avec des cotisations à la hausse du fait des dispositions retenues, notamment la hausse des cotisations syndicales pour celles relevant de la contribution minimale. L'effort issu de la réforme se répartit par ailleurs équitablement entre secteurs : industriel, services, banque, commerce, etc. Il demeure toutefois des difficultés, par exemple concernant les clauses qui permettaient de toiser l'impôt dans les services, lorsque la masse salariale est importante. La répartition constatée des gains entre grandes entreprises et petites entreprises est conforme aux attentes du Parlement, du fait de l'introduction d'un abattement de 1 000 euros pour les entreprises dont le chiffres d'affaires est inférieur à deux millions d'euros et, simultanément, de la mise en place d'une cotisation minimale de 250 euros. La liste des perdants est donc conforme à ce qui était attendu, sauf, il est vrai, s'agissant du nombre important de TPE dont je viens d'exposer la situation.
S'agissant de la territorialisation de la valeur ajoutée produite par les entreprises, il demeure un certain nombre de sujets dont tous n'ont pas été résolus : la valeur ajoutée produite dans certains territoires est assez difficile à localiser dans le domaine des transports, par exemple.
Il existe également des interrogations sur la comptabilisation du produit et des charges liés à la valeur ajoutée à des moments différents. Un décalage dans le temps peut en effet être constaté entre le moment où les produits sont inscrits en comptabilité et la date de création de richesse par l'entreprise.
Ces sujets - je suis volontairement provocatrice - sont anecdotiques au regard des véritables enjeux. De nouvelles difficultés pourraient apparaître avec le temps, mais je n'en relève aucune pour l'instant.
Sur les questions d'optimisation, il est encore trop tôt pour établir un bilan pertinent. La définition de l'optimisation a été précisée. Plusieurs dispositions ont été adoptées afin d'éviter que des restructurations d'entreprises aboutissent artificiellement à une minoration du montant de l'impôt, d'où la nécessité de surveiller le caractère déclaratif des informations transmises. Il est nécessaire de disposer de plus de temps pour analyser les remontées des services suivant ces questions.
Je reviendrai ultérieurement sur les obligations déclaratives lorsque j'aborderai le volet « collectivités territoriales ». Du point de vue des entreprises, depuis la publication du nouveau décret simplifiant la déclaration d'effectifs et présenté au comité des finances locales, il semblerait que cette dernière ne constitue plus, aujourd'hui, un sujet de préoccupation.
Cela ne signifie pas que la question de la territorialisation de la CVAE soit totalement close, ce qui me conduit à évoquer le sujet du point de vue des collectivités territoriales. J'aborderai essentiellement cette question du point de vue de l'élaboration de la réforme et de son évolution devant la représentation nationale. S'agissant de l'application de la réforme au niveau local, je vous encourage vivement à interroger MM. Jalon, directeur général des collectivités locales et Fenet, directeur adjoint chargé de la fiscalité à la direction générale des finances publiques, comme vous l'avez prévu.
Trois points m'ont particulièrement frappée au moment de l'adoption de la réforme et de ses modifications ultérieures. Premièrement, il existe une réelle difficulté à bénéficier d'une nouvelle répartition des impôts entre catégories de collectivités territoriales, ou entre communes et EPCI, qui soit en parfaite adéquation avec les mécanismes institutionnels et les modes de fonctionnement des structures locales. Nous y sommes presque parvenus, bien que je ne puisse totalement le garantir.
En 2009, lorsque la réforme de la taxe professionnelle a été adoptée, un ensemble de nouvelles règles a été proposé afin que la répartition des impôts entre catégories de collectivités, les votes relatifs aux allègements fiscaux, les transferts de compétences ou d'impôts et les compensations budgétaires soient en concordance avec les choix, notamment fiscaux, réalisés entre communes et EPCI. Ces règles ont toutefois fait l'objet de modifications en 2010 et il est certain que de nouveaux ajustements pourraient être apportés dans le cadre du collectif qui sera présenté demain en conseil des ministres. J'ignore si ce sentiment d'inachevé que laisse la réforme relève de la complexité des formes intercommunales dans notre pays, de notre difficulté à distinguer le domaine réglementaire du domaine législatif, de la qualité de l'ambiance, ou bien d'un ensemble de facteurs.
Le processus n'est pas achevé. Nous avons commencé à examiner avec la DGCL les détails restants pour compléter les volets fiscaux de la réforme des collectivités territoriales. Quelques coordinations font également défaut : pour ne citer qu'un exemple, les EPCI ne peuvent pas lever la taxe de balayage car aucune disposition ne le permet aujourd'hui. Il existe toujours des détails à perfectionner, des dispositifs à coordonner. C'est sans doute le prix inévitable de réformes de grande ampleur. Dans le souci que vous avez d'analyser concrètement les effets positifs de la réforme et les imperfections qui restent à corriger, il s'agit d'un point qui mérite réflexion.
Dans un deuxième temps - et je précise par avance qu'il ne s'agit là d'aucune volonté de provocation de ma part - de nombreuses interrogations subsistent sur la question relative à la territorialisation de la CVAE et ses effets concrets. Le choix du Parlement a été, me semble-t-il, d'établir clairement l'origine de l'impôt avant de le répartir par des mécanismes de péréquation. Ce choix impliquait une définition de la règle de rattachement de l'impôt au territoire. Cet exercice n'étant pas aisé, le texte initial avait suggéré de réserver cet impôt aux échelons départementaux et régionaux. Le Parlement a attribué à l'échelon communal une part importante de CVAE, ce qui a rendu d'autant plus nécessaire l'adoption d'une règle pertinente d'affectation de l'impôt.
Il faut désormais s'assurer que les règles, déterminées par étapes successives, s'articulent correctement. De longs débats ont eu lieu sur cette question l'année dernière lors de la discussion du projet de loi de finances. Nous avons à l'heure actuelle un système qui répartit cet impôt d'une manière conventionnelle, en fonction du foncier et des effectifs, avec des surpondérations dans certaines situations, en particulier lorsque les territoires disposent d'établissements à caractère industriel. De nouvelles demandes de surpondération sont formulées pour prendre en compte des nouveaux cas non prévus par le législateur. Il existe en outre une incertitude sur la qualité des données servant à répartir l'impôt que sont, d'une part, les valeurs locatives et, d'autre part, la déclaration d'effectifs. Cette dernière a été simplifiée pour des raisons de commodité de gestion et de réalisme : ainsi, les équivalents temps pleins ont été supprimés, les salariés itinérants ont été rattachés aux établissements principaux... En outre, la déclaration n'est pas aisée à contrôler.
Dans ce contexte, se ressent désormais le besoin d'une confrontation des données avec les réalités du terrain, afin de vérifier si le résultat est conforme à ce que le législateur avait souhaité. Je ne dispose pas des données nécessaires pour réaliser cet exercice, mais les principes de territorialisation de l'impôt méritent certainement d'être revus.
Le dernier point concerne la péréquation, qui est le pendant naturel de la territorialisation. Les projections de l'impôt et de sa dynamique démontrent que l'ampleur de la péréquation nécessaire est impressionnante, au niveau des trois échelons de collectivités territoriales. Impressionnante, mais pas hors de portée. Ces questions ont reçu des premières réponses avec, par exemple, le fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux. Les dispositions actuellement discutées dans le projet de loi de finances pour 2012 concernent le bloc communal. Leur discussion avait en effet été « réservée » pour laisser le temps de réflexion nécessaire à leur élaboration.
La mise en place d'une dynamique de péréquation ne va pas sans difficulté par rapport aux situations locales. Il est certain que cette question n'est pas close et sera un sujet central des prochains mois, dans une optique de solidité des finances locales et d'équité et d'aménagement des territoires. Nous sommes au début d'un chemin, dont nous savons qu'il est assez difficile.
Concernant l'impact économique, il est très tôt pour se prononcer et il s'agit d'une question qui relève de la direction du Trésor.
S'agissant des bénéfices non commerciaux, les chiffres demandés vous seront fournis. Nous connaissons la proportion exacte des effectifs de contribuables ayant obtenu des allègements d'impôts suivant les différents régimes déclaratifs auxquels ils sont soumis en matière de BNC et les nouveaux moyens correspondants. Ce point - les membres de la Commission des finances s'en souviennent - a fait l'objet d'un travail important de la direction de la législation fiscale, à la suite de l'annulation inattendue par le Conseil constitutionnel des dispositions relatives aux BNC dont les enjeux financiers étaient extrêmement lourds. Le Gouvernement n'a pas proposé de nouvelles dispositions en la matière, pour des raisons juridiques, les considérants du Conseil constitutionnel ayant fortement réduit le champ du possible sur cette question.
Sur les sanctions liées au processus déclaratif, M. Fenet vous apportera les précisions nécessaires. Au niveau de la première campagne de déclaration, aucune sanction n'est à relever. En effet, les relances amiables et les contacts directs avec les contribuables, sans sanction, ont été privilégiés : dans ces situations, l'approche de la DGFIP se veut constructive et non agressive dans sa relation avec le contribuable, choix qui se révèle efficace. Le nombre de contribuables ayant eu du mal à produire des déclarations exploitables est en outre limité pour une première année d'application. Pour l'avenir, une correction législative est à prévoir : en raison d'une modification effectuée l'an dernier, à l'occasion de la clause de revoyure, la sanction est devenue inapplicable en droit.
La question relative aux effets de la réforme sur les territoires les plus en difficulté peut se comprendre de plusieurs façons. Par construction, lorsqu'un impôt est territorialisé, les territoires en difficulté n'en bénéficient pas beaucoup. La réponse à cette question concerne donc plus la clause de sécurisation des budgets des collectivités locales et le volet péréquation, qui est en train de naître et dont j'espère qu'il sera amené à se développer dans le futur. S'il s'agit de savoir où se trouve l'impôt, je rappelle que la territorialisation a été définie de manière conventionnelle. Nous tâcherons de vous donner des éléments à ce sujet nonobstant cette réserve.